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Marya Zarif : « Il faut prendre des initiatives pour que vive la culture syrienne en dépit de l’exil »

Rédigé par Lionel Lemonier | Lundi 6 Février 2023 à 11:05

Rencontre avec la dessinatrice Marya Zarif, auteure et co-réalisatrice de « Dounia et la princesse d'Alep », un film d'animation qui raconte avec tendresse, à travers les yeux d'une enfant syrienne, l'exil et le déracinement.



© Haut et Court
Scénariste et réalisatrice syro-canadienne, Marya Zarif est diplômée de l’Institut national de l’image et du son du Québec. Née en Syrie en 1982, elle a grandi à Alep. Elle connait bien cette région et a suivi de près les événements intervenus lors de la guerre civile. Elle entretient de forts liens avec les nombreux créateurs syriens qui se sont expatriés pour fuir la guerre.

En 2013, elle participe à la création de « La Maison de la Syrie » à Montréal pour défendre une « culture syrienne multiple, chaleureuse, inclusive, colorée, douce et aujourd’hui nomade ». En 2015, elle co-fonde la fondation Je veux jouer, destinée à transformer la vie des enfants syriens réfugiés grâce à des jeux. Cette fondation construit des parcs de jeux dans des camps de déplacés en Syrie. En 2020, elle créait, scénarisait et co-réalisait Dounia, une websérie d’animation jeunesse qui a précédé le film « Dounia et la princesse d’Alep » qui sort en salles mercredi 1er février.

Saphirnews : Marya, quel est votre lien avec la Syrie ?

Marya Zarif : Je suis née à Alep, dans une famille syrienne cosmopolite qui voyageait beaucoup. Je n’y ai pas passé beaucoup de temps avant mes 8 - 9 ans car ma famille s’était installée en Arabie Saoudite pour suivre mon père qui y travaillait. Je fréquentais l’école française. Puis, nous nous sommes réinstallés en Syrie où j’ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Je parlais déjà l’arabe et le français à la maison mais j’ai dû apprendre à lire et à écrire l’arabe classique pour être admise à l’école. Ensuite, je suis partie au Canada faire mes études. C’était dix ans avant que la guerre civile n'éclate.

Vous n’avez donc jamais vécu l’expérience de Dounia qui part sans savoir où elle va se réinstaller ?

Marya Zarif : Non, en effet. J’ai vécu le traumatisme de la guerre en écoutant ceux qui ont traversé ses épreuves. C’est sans comparaison avec les souffrances que nombre de Syriens ont connu. Mais j’ai ressenti l’effondrement brutal que la population de mon pays natal a vécu. Une sorte de gouffre de plus en plus béant dans lequel on perd sa maison, son quartier, des villes entières comme Alep et ses 12 800 ans d’histoire.

On perd aussi des amis, un mode de vie et des membres de sa famille en trop grand nombre. Chaque famille syrienne a subi des séparations, des morts en exil et des disparitions de proches. La Syrie n’a jamais été une démocratie, mais depuis 2011, c’est un effondrement total dont on commence à peine à se remettre.

Est-ce pour garder des liens forts avec la Syrie que vous avez créé la Maison de la Syrie ?

Marya Zarif : Ma famille n’a jamais cessé de cultiver ses liens avec la Syrie. Mon frère est avocat, musicien et travaille pour des ONG dans la région et ma sœur, psychologue et experte en droit de l’enfant, a travaillé avec les réfugiés. Quant à moi, participer à la création de la Maison de la Syrie était plutôt une façon d’aider au rapprochement culturel entre Canadiens et Syriens réfugiés au Canada ou immigrés de longue date.

Créer du contenu en utilisant notre culture permet aux Syriens des quatre coins du monde de se sentir dignes. La moitié du pays a été vidée de ses habitants pendant la guerre civile. Aujourd’hui, les Syriens constituent la plus grande population exilée au monde (plus de 12 millions de personnes ont été contraintes de fuir le pays dont 6,7 millions sont des déplacés internes selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, ndlr).

Pensez-vous que la culture nationale est en danger avec l'exil massif des Syriens ?

Marya Zarif : Il faut effectivement prendre des initiatives pour que vive notre culture en dépit des séparations et de l’exil d’une grande partie de la population, mais j’ai confiance dans la vitalité et les ressources des Syriens.

En Jordanie, le camp de Zaatari abrite encore 80 000 réfugiés syriens. Ils ont été jusqu’à 120 000 au plus fort de la guerre. Au début, il était constitué de tentes mais petit à petit, elles ont laissé place à des abris en dur et les habitants ont transformé ce camp en véritable ville, avec ses commerces et ses petites entreprises. Les Syriens ont des ressources incroyables.

Quelle est votre identité ?

Marya Zarif : Je me sens Syrienne, mais j’appartiens au monde. J’aime bien la réflexion de Leïla Slimani (l'écrivaine marocaine, prix Goncourt en 2016 pour Chanson douce, ndlr) qui, un jour, s’est exclamée : « Arrêtez de parler de mes origines comme si j’étais un bon vin. » Je viens d’une enfance, d’une famille et d’une histoire dont je me suis servie pour réaliser Dounia et la princesse d’Alep.

Le site d’Ain Dara avec les empreintes de géant de la déesse Ishtar que vous voyez dans le dessin animé existe vraiment. Ce site archéologique n’est pas très loin d’Alep et nous y allions souvent nous promener. La Syrie n’a pas toujours été qu'arabe ou musulmane. Les nombreux vestiges datant de l’Antiquité en attestent. Là-bas, il n’est pas rare de tomber sur les traces d’un ancien temple romain ou des bouts de colonnes avec des stickers ou des graffitis datant de toutes les époques.

Enfin, je viens aussi d’une histoire que l’on ne m’a pas racontée puisque je n’ai jamais connu mes grands-parents. En un sens, Dounia et la princesse d’Alep fait peut-être partie de mes recherches pour combler les vides.

Que devient Alep aujourd’hui ?

Marya Zarif : La reconstruction a commencé. Le souk historique est en train d’être remis à neuf, morceau par morceau. C’est bien parce que la vie reprend et il est essentiel que les gens puissent retravailler et retrouver leur dignité. Alep a été détruite et reconstruite des tas de fois durant sa longue histoire. Mais, en même temps, ça fait mal car c’est toute une culture qui a disparu avec l’ancien souk et la vieille ville.

Concrètement, cependant, les blessures et les problèmes de la société syrienne restent les mêmes. Les gens sont fatigués et aimeraient retrouver la paix et un peu de bonheur.

Avez-vous déjà eu l’occasion de revenir en Syrie ?