Livres

Marc Cheb Sun : « À nous de créer une autre voix via des médias alternatifs »

Rédigé par Mérième Alaoui | Jeudi 12 Novembre 2015 à 08:00

Le deuxième volume du livre cocktail « D’ailleurs et d’ici ! », qui mêle analyses, reportages, portraits, le tout piloté par Marc Cheb Sun, est en librairie depuis le 5 novembre. Ayant pour titre « L'énergie musulmane et autres richesses françaises », cet ouvrage collectif est alimenté par les contributions d’acteurs de terrain : enseignants, éducateurs, artistes, entrepreneurs, journalistes, militants associatifs… Mais surtout des jeunes Français qui représentent le visage de la France multiculturelle niée par les médias et la classe politique dominante. Une nouvelle affirmation salutaire, qui reste éminemment politique pour l'ancien directeur de Respect Mag.



Marc Cheb Sun a dirigé l'ouvrage « D’ailleurs et d’ici ! ». Parmi les contributeurs du volume 2 de l'édition 2015 : Aziz Oguz et Samia Hathroubi pour le chapitre « L'énergie musulmane » ; Balla Fofana et Mabrouck Rachedi pour le chapitre « L'énergie numérique » ; Maral Amiri et Karim Madani pour le chapitre consacré aux « Identités fermées ».

Saphirnews : Avec le nouveau volet de « D’ailleurs et d’ici ! », votre ambition reste la même : impulser un débat sur la reconnaissance de la France plurielle. Un objectif salutaire à la veille des régionales où le FN est donné favori…

Marc Cheb Sun : La montée du Front national (FN), on peut la constater, on peut se battre contre, mais le grand danger est que ce parti devienne une boussole. On voit certains hommes politiques qui reprennent les thèses du FN, voire les dépassent, comme Nadine Morano et sa sortie sur les « races ». On voit aussi que d’autres n’osent plus parler d’égalité, de reconnaissance de la pluralité. Tous les thèmes pourtant fondamentaux qui peuvent être repris par le FN deviennent « dangereux ».
On me dit souvent : « Attention, tu vas faire monter le FN. » Mais non ! Il faut déconstruire pour construire. Je veux l'affirmation d’une France plurielle forte. Il ne faut pas renoncer : au contraire, c’est à nous de créer une autre voix via des médias alternatifs. Surtout, ne pas rester dans l’attente. Contre la peur du FN, on brandit un livre pour redonner de la dignité à un objet innovant. Et surtout nous sommes au cœur de débats et de rencontres comme nous l’avons fait avec 2 000 collégiens
pour le premier numéro de D'ailleurs et d'ici.

Vous donnez largement la parole aux musulmans, pourquoi ?

Marc Cheb Sun : Après les attentats de janvier la seule réaction audible était « je suis Charlie ». Toutes autres voix étaient bannies. Mais plus il y a de tensions, plus il y a des questionnements et des réflexions légitimes.
La particularité de donner la parole aux musulmans, c’est avant tout de susciter la rencontre. Les traumatismes post-Charlie sont omniprésents. Il y a donc un besoin de montrer l’énergie des fidèles, de ceux qui gardent la tête haute, de restituer des paroles de musulmans du quotidien, sans traiter de l’islam instrumentalisé, de la violence. Le chapitre « L’énergie musulmane » veut clairement rendre hommage.
Il faut décoloniser nos imaginaires. Aujourd’hui, en pleine période de débats politiques, très centrés sur les thèses de l’extrême droite, il fallait donner la parole à tous. Car on constate que ceux qui sont censés élever le débat – les philosophes, les romanciers, les intellectuels – sont apeurés, coincés dans une paranoïa totale. Le pessimisme identitaire s’abat sur eux.

Vous réaffirmez donc l’importance du débat sur la base d’un objet spécial, un « beau livre ». Pourquoi ?

Marc Cheb Sun : Oui… Il faut s'indigner, savoir dire « non », réagir... Mais cela ne suffit pas. Sinon l'agenda de ceux qui veulent nous assigner à certaines places deviendra le nôtre. Il faut donc inventer d'autres espaces, d'autres voix et leur donner écho. C'est pour cela que je veux créer un espace d'analyse, de témoignage mais aussi de création.
En mêlant littérature, journalisme, prises de parole, arts plastiques, photographie, je veux faire de « D'ailleurs et d'ici ! » un espace de contre-culture. On parle du déclin des médias, mais ceux qui osent, avec un positionnement très particulier, qui s’adresse donc à une communauté de lecteurs, réussissent. Regardez, par exemple, le magazine féministe « Causette », ou « Le 1 », l’hebdomadaire de l’ancien patron du Monde, Eric Fottorino.

Ce dernier mois a été marqué par les dix ans des révoltes des banlieues de 2005, par la marche de la dignité qui fait écho à la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983… Quel est votre regard sur ces bilans ?

Marc Cheb Sun : À titre personnel, je constate une régression de la société française. Les révoltes de 2005, ce grand cri de désespoir, n’a pas été pris en compte. Dix ans après, on parle des musulmans et de l’islam comme on parlait hier des banlieusards. Mais cela cache simplement le tabou des inégalités, de la discrimination raciale, des contrôles au faciès.
On fait beaucoup d’analyses mais on oublie le plus important : la lecture de notre pays comme étant une société postcoloniale. L’obsession identitaire qui est à l’œuvre aujourd’hui n’est autre que cela. Par exemple, j’ai été marqué dernièrement par une émission de débats à la télévision sur le sujet « Avoir 15 ans en banlieue ». Tous les invités représentaient la loi, la prévention de la délinquance… Des hommes blancs évidemment. Cela est représentatif pour moi d’un traitement colonial de la question.

Marc Cheb Sun (sous la direction de), D'ailleurs et d'ici ! L'énergie musulmane et autres richesses françaises, Éd. Philippe Rey, novembre 2015, 148 p., 15 €.
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