Economie

Le Qatar abandonne les banlieues françaises

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Jeudi 12 Juillet 2012 à 08:51

Finalement, le « fonds banlieues » annoncé par le Qatar en décembre 2011 pour financer les projets des habitants des quartiers populaires ne verra jamais le jour, a-t-on appris fin juin. Les 50 millions d’euros de ce fonds ne disparaissent pas pour autant. Ils vont revenir aux petites et moyennes entreprises (PME) françaises, au grand regret des entrepreneurs de banlieues qui avaient vu dans cette aide une opportunité à saisir.



L’appel à projet lancé par l’ambassade du Qatar à destination des banlieues avait séduit ses habitants. Le fonds de 50 millions d’euros visait à soutenir les projets des entrepreneurs de ces zones fortement touchées par le chômage.

Mais,aujourd’hui, il en a été décidé autrement. Les porteurs de projet de banlieues ne verront jamais cet argent. Pour eux, ce revirement est une totale désillusion. D’autant plus qu’ils avaient été nombreux à constituer un dossier en réponse à l’appel à projet.

« Nous avons reçu environ 400 dossiers », indique Kamel Hamza, le président de l’Aneld (Association nationale des élus locaux pour la diversité), dont les membres s’étaient rendus sur invitation au Qatar en novembre 2011 et avaient réussi à convaincre l’émirat de miser sur les banlieues françaises. L’annonce, quelques semaines après du déblocage d’un fonds de 50 millions d’euros, avait été pour eux une victoire.

Espoirs déçus

Aujourd’hui, à l’Aneld, on ne comprend pas ce revirement. « Nous n’avons même pas été informés. Nous l’avons appris par la presse », commente amer M. Hamza.

Révoltée, l’association a lancé une pétition pour que ce fonds revienne aux banlieues. Elle est visible en ligne « mais l’action la plus importante se fait sur le terrain. On fait les marchés pour faire signer la pétition, », précise le président de l’Aneld.

« Nous rencontrons des présidents d’associations qui désiraient nous remettre des dossiers et nous leur apprenons la nouvelle. Tout le monde est déçu car ce projet était comme une bouffée d’oxygène et suscitait beaucoup d’engouement. C’était en plus un mécanisme qui permettait de renouer un lien avec les responsables associatifs », explique-t-il.

Ce dispositif était perçu comme une chance à saisir pour les entrepreneurs en herbe de banlieues touchés de plein fouet par le chômage. Quand on connaît la difficulté à accéder à un prêt pour lancer son activité, cette aide venue du Qatar était la bienvenue.
« Mais le pire, c’est que des gens ont dépensé de l’argent pour faire leur business plan », déplore Kamel Hamza.

Une décision politique

Le fonds de 50 millions d’euros de l’émirat sera à présent alloué aux PME alors que le fonds Oséo existe déjà pour ce type d’entreprise, remarque le président de l’Aneld. « Les PME seront retenues sur des critères économiques, il ne s’agit en aucun cas d’un fonds communautaire », précise Mohamed al-Kuwari, l’ambassadeur du Qatar en France au Parisien. Et c’est Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif qui sera chargé de présélectionner les meilleurs dossiers.

Pour l’Aneld, le coupable est tout trouvé : l’Etat. D’ailleurs, la pétition de l’association s’adresse à François Hollande, le Président de la République. Elu UMP à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Kamel Hamza rappelle que l’annonce du « fonds banlieues » avait suscité un tollé dans l’échiquier politique et notamment à gauche. François Hollande n’avait d’ailleurs pas caché son scepticisme.

« Certains élus de gauche parlaient d’argent sale mais, maintenant, cet argent est le bienvenu mais pas pour la banlieue que l’on oublie complètement. Pourtant, les Noirs et les Arabes ont majoritairement voté à gauche mais, après les élections, on l’oublie », commente M. Hamza. Mais c’est Marine Le Pen, la présidente du Front national, qui avait été la plus virulente en fustigeant un investissement sur une base communautaire.

Face à de telles réactions, le Qatar avait même reporté la mise en œuvre de son fonds, à la demande de la France, pour laisser passer la période sensible de l’élection présidentielle.

Aujourd’hui, l’Aneld, composée d’élus de droite comme de gauche, ne comprend pas la reprise du fonds par le gouvernement.
La pétition de l’association a pour l’heure recueilli 3 000 signatures. « Au bout de 10 000 signatures d’ici à septembre, nous remettrons cette pétition à l’Elysée », indique M.Hamza encore remonté.

Un fonds d'investissement pour les banlieues ?

Les pressions politiques auront donc fait plier le Qatar qui souhaitait aider les jeunes de banlieues et ainsi contribuer au développement des talents qui s’y cachent. Mais la France qui a refusé cette main tendue au moment où le pays subit de plein fouet les conséquences de la crise économique saura-t-elle enfin mettre les moyens nécessaires pour lutter contre le taux de chômage important dans ces zones ?

Durant la campagne présidentielle, François Hollande avait évoqué la création, au sein de la Banque publique d’investissement, la nouvelle structure publique de financement qu’il va mettre en place, une « filiale dédiée aux quartiers ».

« Dans nos quartiers, y compris les plus déshérités, il y a tant de jeunes qui veulent entreprendre et ne le peuvent pas, qui vont vers une banque qui leur refuse le moindre microcrédit, qui vont vers des actionnaires qui leur refusent leur concours. Je veux que la Banque publique d’investissement ait une filiale dédiée aux quartiers pour développer l’entreprise dans ces quartiers et faire naître ces projets qui ne voient pas le jour », avait-il déclaré.

Par ailleurs, l’Aneld dit avoir été contactée par des fonds d’investissement. Mais « on attend de voir. On veut des garanties », indique prudemment M. Hamza.