Politique

La fiche « S », qu’est-ce que c’est au juste ?

Rédigé par Mérième Alaoui | Vendredi 27 Novembre 2015 à 09:00

La fiche S pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » est une appellation ancienne revenue au cœur de l’actualité en 2015 depuis les attentats de janvier et, plus encore, après le carnage de vendredi 13 novembre. Mais une fiche S, quésako ? Qui vise-t-elle ? Quelles conséquences a-t-elle sur la vie des personnes impliquées en particulier depuis l’état d’urgence ?



Ayoub El-Khazzani, auteur présumé de l’attaque commise en août dans le Thalys, Yassin Salhi, auteur d’un attentat manqué en juin à Saint-Quentin-Fallavier, Sid Ahmed Ghlam, accusé d’avoir voulu commettre un attentat contre une église en région parisienne, ou encore les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher... Leur point commun : ils étaient tous fichés « S ». Ainsi, si ces hommes étaient connus des services de polices, comment sont-ils arrivés à commettre des attentats avec une apparente facilité ? Dans ce cas, à quoi bon faire des fiches « S » ?

Depuis les attentats de Paris, la droite presse le président de la République de neutraliser les détenteurs de fiche S. Le président des Républicains Nicolas Sarkozy propose de tous les assigner à résidence avec un bracelet électronique tandis que Laurent Wauquiez est allé jusqu'à proposer des « centres d’internement »... Une proposition qui n'a pas fait bondir le gouvernement puisque François Hollande a décidé de porter leurs propositions pour avis devant le Conseil d’Etat.

Jusqu'alors, on parlait officiellement de 5 000 fiches S, mais cette semaine, Manuel Valls a déclaré sur Canal l'existence de « 20 000 fiches S » dont « 10 500 concernent les individus mis en attention pour leur appartenance à la mouvance islamique, la mouvance radicale, ou leur lien avec la mouvance ». Ils ne représentent en réalité pas tous un danger mais les personnalités politiques sont nombreuses à vouloir le faire croire.

Des assignations à résidence facilitées

Depuis que l’état d’urgence est décrété, le ministre de l’Intérieur peut d'ores et déjà assigner à résidence toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Cette définition élargie permet d’inclure les individus qui sont dans le radar des autorités « par leur comportement ou leurs fréquentations, propos ou projet », selon les termes de l’étude d’impact du texte fourni par le gouvernement.

Jusqu'à la mise en place de l'état d'urgence, un(e) fiché(e) S, qui n'est pas au courant qu'elle l'est au nom du secret défense, n’entraînait pour les autorités aucune obligation de suivi ou de surveillance. Depuis, la situation a changé. Mardi soir, le ministère de l'Intérieur annonçait le chiffre de 266 assignations à résidence, probablement fichées S et qui ont vu leur logement perquisitionné. Par arrêté ministériel, elles ont obligation de rester à leur domicile de 21h à 7H30, et doivent se présenter impérativement au commissariat le plus proche quatre fois par jour entre 8h30 et à 20h.

Des mesures strictes pour des personnes sur lesquelles des soupçons pèsent mais sans aucun délit à leur reprocher. Exemples de « comportement "répréhensible" selon l’administration » pour le Collectif contre l’islamophobie en Frannce (CCIF) : « Vous avez fréquenté, connu ou croisé une personne ayant été impliquée dans un acte terroriste ou appartenant à une organisation considérée comme dangereuse », lit-on dans son guide.

Selon le décret de 2010 en vigueur, la fameuse fiche S contient l’état civil, le signalement, la photographie, les motifs de recherche, la conduite à tenir en cas de découverte et quelques autres détails. Elle est supposée être temporaire. Si une personne fichée ne commet aucune infraction et se fait oublier, sa fiche est en principe effacée au bout d’un an. C’est ce qui s’est produit pour Yassin Salhi, fiché de 2006 à 2008, avant de disparaître du registre...

Un fichier vieux de plus de 40 ans

Cette fiche S appartient en réalité à un fichier de police vieux de plus de 40 ans - devenu européen - qui est le fichier des personnes recherchées (FPR). Il comporterait à ce jour plus de 400 000 noms au total, que ce soit des mineurs en fugue, des évadés de prison, des membres du grand banditisme, de personnes interdites par la justice de quitter le territoire, mais aussi de militants politiques ou écologistes.

Le FPR compte au total 21 catégories avec une lettre par classification comme par exemple « M » pour les mineurs en fugue, « V » pour les évadés, « E », « IT » pour interdiction du territoire et bien sûr « S » pour sûreté de l’Etat. Une personne peut être fichée S sans pour autant avoir commis de délit ou de crime, mais simplement pour avoir eu des relations avec un suspect fiché.

Concrètement, les raisons de l'établissement de la fiche S demeurent floues. Les fichés sont des personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ». Des « indices » appréciés de façon plus ou moins objective par les agents de la Direction générale de la sûreté intérieure (DGSI), qui établit les dossiers... Les fiches peuvent être émises sur simple transmission de renseignements provenant d’autres pays, sans que les personnes concernées soient nécessairement en France.

« Sans discernement et avec le risque de se tromper, on fiche à tour de bras avec personne pour surveiller », livre un agent cité par Le Point. Dans le cadre de l'état d'urgence, les fiches ont dû se multiplier, de par les 1 200 perquisitions administratives recensées. Au grand dam de musulmans inquiets, principales cibles de mesures d'exception aux conséquences dangereuses pour l'avenir.