Points de vue

La Chapelle-Pajol : lutter contre le harcèlement de rue, oui mais partout !

Rédigé par Anaïs Bourdet | Mardi 23 Mai 2017 à 11:45



« Non à la récupération politique à des fins sécuritaires et racistes de la lutte contre le harcèlement de rue » © Stop HDR
Nous voilà face à une affaire Cologne bis ou Sevran bis, au choix. Mais visiblement, nous n’avons rien appris de ces affaires. Un collectif dénonce le harcèlement de rue envers les femmes dans un quartier populaire à forte concentration immigrée, et tout de suite les réseaux sociaux, la presse et les politiques s’emballent.

Avant toute chose, entendons-nous bien : dénoncer le harcèlement de rue est nécessaire. Et je n’apprendrai à personne mon attachement pour la défense de la liberté de mouvement des femmes, où que ce soit. Je ne nie donc pas les témoignages des personnes qui ont lancé cette alerte. Ces comportements sont à bannir, quel que soit l’agresseur. Mais justement, je dis bien : quel qu’il soit.

Le harcèlement sexiste s’illustre partout et de la part de n’importe qui

Nous, Stop Harcèlement de rue et Paye Ta Shnek, dénonçons ensemble le harcèlement de rue depuis des années. Bizarrement, celui-ci ne trouve de place parmi les grands titres que lorsqu’il pointe du doigt une catégorie précise d’hommes, toujours la même : les hommes pauvres, réfugiés, immigrés et/ou issus de l’immigration.

Alors même que le travail de recensement entamé depuis plusieurs années par Paye Ta Shnek et Stop Harcèlement de rue a prouvé et re-prouvé que le harcèlement sexiste s’illustrait partout et de la part de n’importe qui, on continue de ne s’émouvoir que quand on peut désigner un coupable issu d’une prétendue altérité. Le fameux « C’est eux, ce n’est pas nous » dont je parle souvent ici.

Un double problème au traitement médiatique de La Chapelle-Pajol

Encore une fois, dénoncer le harcèlement de rue est indispensable, mais comme je l’ai dit au moment du buzz autour du prétendu café interdit aux femmes à Sevran, cette dénonciation DOIT se faire de façon globale et non ciblée, sous peine d’être non seulement inutile mais aussi dangereuse. Voici donc ce qui me dérange dans le phénomène médiatique qui a émergé avec l’affaire La Chapelle-Pajol.

À lire les articles qui fleurissent partout depuis deux jours, on pourrait croire que le harcèlement de rue est apparu dans une rue précise du 18e arrondissement de Paris, il y a moins d’un an. Histoire pour tout le monde de décentrer, je vous invite à lire ou à relire les milliers de témoignages que les collectifs Stop Harcèlement de rue et Paye Ta Shnek récoltons depuis cinq ans.

À lire ces mêmes articles, le harcèlement de rue serait culturel, importé par caisses depuis cet horrible pays que serait l’Islamie. Répandre cette idée est dangereux puisque génératrice de stigmatisation - déjà largement installée - pour les personnes musulmanes ou supposées musulmanes, y compris pour les femmes. Mais c’est aussi dangereux pour les victimes de harcèlement de rue dans leur immense diversité, car toute une partie de leurs harceleurs n’est JAMAIS montrée du doigt. Je parle bien là de ceux que personne ne considère comme « autres », ceux qui se pensent universels, ceux qui peuvent harceler bien tranquillement sans émouvoir qui que ce soit et qui, contrairement à ce que l’ambiance médiatique veut nous faire croire, sont nombreux !

Aussitôt, on parle d’envoyer plus de policiers sur place et de verbaliser les harceleurs, alors que le jour même, vendredi 19 mai, je recevais le témoignage d’une femme agressée verbalement et poursuivie, à Paris dont on a refusé de prendre la plainte… N’y voyez pas là une simple ironie du sort : c’est comme ça que ça se passe. En cas de harcèlement, on nous répond toujours qu’en l’absence de coups et blessures, la police ne peut rien pour nous. Où se situe donc la solution dans cette proposition ? Je la cherche toujours.

Le patriarcat, ce n’est pas l’islam qui l’a inventé

Aussitôt, la fachosphère s’emballe, tout le monde devient soudainement féministe, alors que ces mêmes personnes nous enjoignent constamment à bien fermer nos gueules. De qui se moque-t-on ? Les droits des femmes ne mobilisent jamais l’opinion publique comme c’est le cas dans ce genre de situation. Soudainement, tout le monde devient défenseur de nos fragiles femelles nationales, contre un prétendu oppresseur venu de l’extérieur.

Alors j’ai une grande nouvelle : le harcèlement de rue fait des victimes toute l’année, partout, et ce depuis bien longtemps. Il existait bien avant les premières vagues migratoires. Et ce n’est pas l’islam qui l’a inventé : c’est le patriarcat, ce virus installé depuis des siècles dans l’immense majorité des sociétés.

Il nous faut penser plus global

Alors, si vous voulez vraiment lutter contre le harcèlement de rue, c’est merveilleux : joignons nos forces et poussons la société à se remettre en question. La lutte contre le harcèlement de rue passe par l’éducation et l’urbanisme, qui sont tous deux une affaire de long terme. La société doit se remettre en question : comment elle fabrique le sexisme, des ghettos, de la stigmatisation, et des espaces non sécurisés. Comment elle nous mène au point où nous en sommes.

Je le répète : des femmes sont harcelées et se sentent en insécurité PARTOUT. Un coup d’éclat de temps à autre, histoire de se donner bonne conscience et de se dédouaner en pointant l’autre du doigt, ne nous aidera jamais. Il nous faut penser plus global, beaucoup plus global, et vite.

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Anaïs Bourdet est fondatrice du blog Paye Ta Shnek, qui lutte contre le harcèlement de rue.