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Points de vue

A Kamel Daoud : face aux déviances, la faute n'est pas celle de l'islam

Rédigé par Chems-Eddine Hafiz | Vendredi 11 Mars 2016 à 11:16

           


A Kamel Daoud : face aux déviances, la faute n'est pas celle de l'islam
Kamal Daoud écrit bien, il écrit même très bien. Il est cultivé, il est même très cultivé. Bilingue, maîtrisant les langues de Molière et d'El Djahed, islamiste repenti et journaliste talentueux, sa chronique dans Le Quotidien d'Oran était une belle éclaircie dans le ciel des médias algériens.

J'ai défendu sa liberté de parole, même lorsqu'il refusait d'écrire en arabe, langue sacrée de l'islam, car dit-il, elle serait « piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue ». Je ne partageais pas du tout ce point de vue, car pour moi, la langue arabe, que je n’ai malheureusement pas eu la chance de mieux connaître, est certes, celle, sacrée de l’islam, mais rendant parfaite la chanson d’amour et la « poésie courtoise », le « gazal » qui s’est fait connaître avant l’avènement de l’islam.

Kamel Daoud a dû certainement lire quelques vers d’Imru-Qays et de Tarafa, de la cantilène chamelière (ou ḥidâ’), et des mouvements lyriques des Qasidas. Comment pouvoir fustiger cette si belle langue, alors que Kamel Daoud pourrait fredonner le Poème du manteau (Qasidat al-Burda) de Kaab Ibn Zuhayr ?

Lui, si cultivé pourrait donc reprendre la Triade omeyyade, (al-Muthallath al-Umawî), où les poètes bédouins Al-Akhtal, Djarir et Al-Farazdaq qui s’exprimèrent dans une poésie spécifique composée sur une égalité entre rime et mètre. Si Taha Hussein, doyen de la littérature arabe, était « piégé » par cette langue magnifique, aveugle et issu d’un milieu extrêmement pauvre, nous n'aurions jamais connu son œuvre monumentale Al-Ayyâm (Les Jours).

Du grain à moudre aux pourfendeurs de la culture arabo-musulmane

Au moment où des individus ont, en 2014, appelé à la mort de Kamel Daoud, j'ai trouvé
cet appel au meurtre scandaleux, ignoble et minable. Se taire, c’est mourir. Il ose parler, s’exprimer et écrire. C’est la richesse du débat. Il a beaucoup de talent mais il écrit des invraisemblances instrumentalisées aujourd’hui par des « islamophobes » patentés et pourfendeurs de la culture arabo-musulmane. Il a donné du grain à moudre à ceux qui estiment que l’islam est un mal absolu et que les musulmans ne peuvent s’intégrer en Europe, surtout en France, du fait de la laïcité.

Kamel Daoud, dans son article publié dans Le Monde, le 5 février dernier « Cologne, lieu de fantasmes », il écrit : « Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux : la vie? »

De nombreuses personnes dont je fais partie, qui sont dans « le monde d’Allah », ne vivent pas cette frustration que décrit allègrement Kamel Daoud. L’écrivain assène ses vérités, comme un médecin, penché sur le corps de son patient qu’il observe avec révulsion et diagnostique une maladie honteuse.

Non, pour la majorité des musulmans, le corps de la femme n’est pas à cacher, n’est pas un objet, il est un être humain qui dispose des mêmes droits que les hommes. Avec l’avènement de l’islam, la femme qui était un être inférieur, indigne, devint « la moitié du genre humain », possédant des droits propres.

A Kamel Daoud : face aux déviances, la faute n'est pas celle de l'islam

La faute n'est pas celle de l'islam

J’affirme haut et fort que le Coran et son Message ne sont pas responsables du sort peu enviable de la femme en pays d’islam. Il s’agit d’interprétations humaines malsaines, instrumentalisant la religion pour accabler les femmes et leur existence. Ce sont les réalités socioculturelles qui confinent la présence féminine dans l’espace obscur le plus réduit possible.

La promiscuité et la misère en terre d’islam sont à l’origine des frustrations et déviances sexuelles, ce n’est pas l’islam qui a confiné les femmes dans cet état que l’on retrouve dans d’autres sociétés et dans d’autres confessions. Mais, il est vrai également que certains théologiens musulmans, serviteurs zélés d’un système patriarcal exacerbé, ont détourné la parole sacrée pour confiner la femme dans une posture de soumission au mâle. Heureusement que de nombreux musulmans ne se sont pas laissés berner par ces interprétations juridiques erronées et douteuses.

Dois-je rappeler à notre éminent Kamel Daoud que le premier être humain devenu musulman, aux côtés de notre Prophète bien-aimé, était Khadija, son épouse qui l’a soutenu au moment de la révélation, et qu’Aïcha sa dernière épouse, fut la première autorité religieuse de Médine, en sa qualité de mufti.

Le Coran, révélé il y a 15 siècles a conçu un système de participation des femmes à la représentation politique (bay‘a) auprès du Prophète de l’islam. Je ne lui ferai pas l’affront de lui rappeler que le texte coranique prend en considération deux dimensions essentielles, celle universelle, qui invoque les notions de croyance et du rapport entre l’homme et son Créateur, et une dimension sociale. Cette dernière condamne une période dite antéislamique pour l’adapter à une situation socioculturelle de l’époque, révolutionnant les mœurs, mettant en exergue la notion de famille, du mariage des liens entre êtres humains, que ce soit le voisinage, les orphelins ou les femmes.

Cette dimension est entièrement basée sur les règles de l’éthique et de la justice. Un juriste et théologien musulman du 13e siècle, Ibn Qayyim al-Jawziyya, pourtant élève de l’illustre Ibn Taymiyya, défenseur de l’école rigoriste hanbalite, avait déclaré que « la principale finalité divine est la justice et l’équité entre les êtres humains, tout ce qui peut assurer la justice et l’équité dans une société est islamique et n’est pas incompatible avec la voie religieuse ».

Se réconcilier avec lui-même

En vilipendant la sexualité torve des jeunes maghrébins et en accusant le Coran d’en être le principal responsable, Kamel Daoud est vite contredit par les viols collectifs commis en masse par de jeunes indiens, celui notamment, largement médiatisé, sur une jeune adolescente dans un bus en 2012, qui succomba à ses blessures quinze jours après son agression. Des enlèvements et viols de petites filles sont monnaie courante en Inde.

Aucun des violeurs n’étaient ni maghrébins, ni musulmans. Est-ce de jeunes maghrébins qui ont violé deux Françaises le 27 février dans le Golfe de Thaïlande ? Que dire des dernières statistiques qui énoncent que 903 viols sont commis quotidiennement, soit 329 708 viols chaque année dans le monde, dont 95 136 aux Etats-Unis ?

Si Kamel Daoud, qui avait confessé être passé par la case « islamiste », a un compte à régler avec cette religion, je lui conseille vivement de reprendre son éducation religieuse et de revisiter son Algérie natale. D’un côté, qu’il s’ouvre au monde et qu’il reconnaisse que plus d’un milliard d’êtres humains vivent leur foi musulmane sans causer de tort à personne. De l’autre, dans le tréfonds de l’Algérie éternelle, il pourrait revivre l’épopée de Lalla Fatma N'Soumer, méditer sur les nombreuses femmes qui ont combattu la colonisation, sur un pied d’égalité avec leurs frères d’armes. Il pourrait enfin se réconcilier avec lui-même.

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Chems-Eddine Hafiz, avocat au barreau de Paris, est co-auteur de Droit et religion musulmane (Éd. Dalloz, 2005) et auteur de De quoi Zemmour est devenu le nom (Éd. du Moment, 2010).






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