Société

Islam en France : « La République est fractionnée, alors même qu’on récuse le communautarisme »

Rédigé par Assmaâ Rakho-Mom | Mercredi 26 Mai 2010 à 02:51

« L’islam en France et en Europe, hier, aujourd’hui et demain. Pour une philosophie de vivre et construire ensemble l’avenir », tel est le thème du colloque organisé, samedi 22 mai, par l’Institut français interdisciplinaire des langues et des sciences de l’homme (IFILASH), à l’université Paris X-Nanterre. Avec une particularité, soulignée d’entrée de jeu par les organisateurs, celle de la pluralité des approches : juridique, sociologique, culturelle et historique.



En faisant le choix de réunir des personnalités venant d’horizons divers, voire diamétralement opposés, Françoise Duthu souhaitait voir sa thématique, celle de la participation des musulmans au vivre-ensemble dans les sociétés européennes, présentée sous des angles variés. Tel était l’intérêt de la rencontre. Économiste, auteur de Le Maire et la Mosquée (Éd. de L’Harmattan), et une des organisatrices du colloque, avec Maher el-Munajjed, linguiste, islamologue et comparatiste, elle aura réussi la prouesse de réunir sur une même estrade la sénatrice Alima Boumédiene-Thiery et le directeur du FIDEC (Forum international de dialogue et d’entente entre les civilisations) Abdallah Ben Mansour. Un alliage qui aura mené à un vrai débat mais aussi à de réels accrochages.

Le colloque débute avec une approche juridique, celle que présente la sénatrice Alima Boumédiene-Thiery (Verts). « Il est important de voir combien chaque fait divers entraîne le vote d’une loi », voire plusieurs, déclare-t-elle avant de revenir sur le cas de la burqa, qui débouchera sur une loi interdisant le voile intégral, une autre sur la déchéance de la nationalité et des recommandations s’agissant des attributions d’allocations familiales.

Une « inflation jurisprudentielle », qui amène la sénatrice à une conclusion : ses « collègues ne comprennent pas qu’avec des textes tels que ceux sur l’immigration, le mariage ou encore la nationalité, ce sont les libertés de toute la société qui reculent ». « Demain, ils seront piégés par ces textes », souligne-t-elle. Par ailleurs, insistant sur le paradoxe existant entre les discours antiracistes et tolérants et les différences de traitement médiatiques et politiques des cas Bourarach ou de mitraillage de mosquée, elle conclut en ces termes : « Demain, nous serons dans des trains si nous ne réagissons pas ! »

L’espace local, lieu central de la gestion de l’islam en France

Françoise Duthu aura, elle, choisi l’approche sociologique, en revenant sur son ouvrage-enquête Le Maire et la Mosquée. « L’espace local est le lieu central de la gestion de l’islam » en France, précise-t-elle d’emblée, reprenant ainsi les propos de Jocelyne Césari, spécialiste des minorités musulmanes en Europe et aux États-Unis. Et cette gestion n’est pas la même selon les villes (au cours de son enquête, elle a traité les cas de Montreuil, d’Argenteuil, de Créteil, de Bobigny et de Rosny-sous-Bois).

Tandis qu’à Argenteuil est appliquée une politique d’ordre public sécuritaire et postcoloniale, à Montreuil le maire à choisi « ses » musulmans (Africains et Comoriens). Cependant, les maires de Seine-Saint-Denis (93) s’accordent sur une chose : la mise en place d’une stratégie pour contenir l’UAM93, « un lobby menant une politique de front contre front qui ne mène à rien », selon Mme Duthu. Et celle-ci de souligner que « les situations très différentes selon les communes posent le problème de l’égalité d’application de la loi sur tout le territoire ». « La République est fractionnée alors même qu’on récuse le communautaire. »

Une division – consciente ou pas – des musulmans de France en quatre écoles

S’enchaînant à un rythme soutenu, les interventions mettent en relief les divergences de points de vue. Jusqu’à l’accrochage feutré mais sérieux. Nul ne niera le fait que l’intervention d’Abdallah Ben Mansour, « fougueuse, avec une vision théologique et policière », selon les propres termes du philosophe et président de séance Mohamed Hassen Zouzi-Chebbi, n’a pas manqué de faire tiquer, voire tressaillir, les intervenants précédents.

À plusieurs reprises, Alima Boumédiene-Thiery lèvera les yeux au ciel en mâchant nerveusement son chewing-gum. Déclamé debout, le discours du fondateur de l’UOIF s’est voulu être une approche « de l’intérieur de la boîte ». Et Abdallah Ben Mansour d’affirmer que « consciemment ou pas », les musulmans de France se divisent en quatre écoles : Frères musulmans, tablighs, salafistes et, enfin, les adeptes du Parti de la libération (Tahrir), très minoritaires.

Il préconise donc, d’une part, un « accompagnement théologique par le biais du Conseil européen de la fatwa » et, d’autre part, la « mise en place d’institutions permettant la sédentarisation de l’islam ». Il multiplie par ailleurs les anecdotes croustillantes mettant en scène des personnalités politiques ou encore les services secrets français.

Cependant, son ton péremptoire agace. Même si lui n’en a cure, assumant son rôle de trublion jusqu’au bout. « C’est l’état d’esprit qu’il faut changer, pour exorciser ses peurs et balayer devant sa porte », lance Mme Duthu durant la séance des questions-réponses, tandis que Mme Boumédiene-Thiery en profite pour conseiller d’« arrêter la schizophrénie ». L’ambiance est électrique. Vers 13 heures, la pause déjeuner tombe à point.

Se débarrasser des deux carcans « victimaire » et « minoritaire », pour briser les ghettos

La deuxième partie du colloque démarre avec l’arrivée, très attendue, de Tariq Ramadan, venu présenter sa théorie du « Nouveau Nous ». Auparavant, Françoise Duthu tient à préciser qu’elle n’a eu aucune difficulté à obtenir l’amphi pour la journée. Ce qui l’amène à reconnaître que les universitaires s’autocensurent beaucoup. « Arrêtons d’avoir peur de notre ombre ! », lance-t-elle.

Faut-il le préciser ? Si durant la matinée, seule une quarantaine de personnes a suivi les interventions et débats, la conférence de M. Ramadan se déroule face à près de 100 personnes. L’islamologue propose de « se réconcilier avec des objectifs communs pour avancer ensemble », « ne plus se poser la question de qui on est, mais où va-t-on ensemble ». En se débarrassant de deux carcans : « victimaire et minoritaire » pour aboutir à une seule interrogation : « Que voulons-nous réaliser en tant que citoyens de la nation ? » pour s’attaquer aux discriminations, au chômage, à la violence faite aux femmes, etc.
En bref, une théorie qui nous ferait revenir aux questions essentielles en « brisant les ghettos ».

La pluralité des origines de l’Europe

Autre temps fort, l’approche historique présentée par Bruno Drzewski, politologue, revenu « aux sources des diversités européennes » pour rappeler, en une fresque historique partant de l’époque romaine à la période coloniale en passant par le mouvement humaniste et la Renaissance, que « les racines judéo-chrétiennes de l’Europe » sont un leurre. « L’Europe est plurielle dans ses origines », souligne-t-il. Mais, par Europe, « on entend aujourd’hui seulement la partie occidentale du continent, oubliant l’est et sa présence musulmane séculaire ».

Tariq Ramadan l’a rappelé durant son intervention, l’école est un espace de débat, le lieu des échanges et de la critique. Le colloque, organisé dans une université telle que celle de Nanterre, a incontestablement réussi cette association.