Points de vue

« Faire du CFCM le symbole de l’unité des musulmans de France et le lieu de défense de l’intérêt de l’islam de France »

Par Mohammed Moussaoui

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Mercredi 8 Septembre 2010 à 23:31

Le 7 septembre, au pavillon Dauphine, à Paris, le Conseil français du culte musulman (CFCM) organisait l'iftar (repas de rupture du jeûne). À la table des invités, le ministre de l'Intérieur, le ministre de l'Immigration, des secrétaires d'Etat, des élus politiques, des représentants religieux et des cadres associatifs. Un dîner précédé par le discours inaugural de Mohammed Moussaoui, président du CFCM, dont voici la teneur.



Au nom du Conseil français du culte musulman, je suis heureux de vous accueillir ce soir, autour de notre traditionnel Iftar qui incarne et célèbre les valeurs de fraternité, de partage, symboles de ce mois sacré de Ramadan. Neuvième mois du calendrier lunaire, il est le Témoin de la révélation du saint Coran.

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Le CFCM, instance représentative de l’islam de France est aujourd’hui une voix utile, nécessaire et reconnue. Réunissant la quasi-totalité des mosquées de France, le CFCM a imprimé de manière définitive le culte musulman au cœur du paysage religieux de notre pays. Je saisis cette occasion pour rendre un hommage appuyé à mon prédécesseur et cher frère le Recteur Dalil Boubakeur et à tous ceux qui ont servi l’islam de France et les intérêts des musulmans de France au sein de notre institution.

Depuis notre précédent iftar, une année s’est écoulée et beaucoup de choses se sont passées. L’emballement médiatique et politique autour de la place de l’islam et de sa capacité à s’intégrer dans la société, les dérapages qui ont émaillé les débats sur l’identité nationale, le voile intégral, la votation suisse sur l’interdiction des minarets, le halal, etc., ont nourri une forme de crispation et menacé le vivre-ensemble.

Des sondages réalisés au cours de ces débats, annonçaient, entre autres, que 40 % des Français jugeaient la pratique musulmane incompatible avec la vie en société. Ce résultat est le plus mauvais depuis vingt ans, même s’il y a lieu de le nuancer et en tenant compte du contexte dans lequel les sondages ont été réalisés.

Notre propos n’est nullement d’entonner un quelconque refrain victimaire, mais force est de constater que les débats se sont transformés en une polémique sur l’islam. Des formes d’instrumentalisation ont stigmatisé l’ensemble des musulmans de France de manière choquante et ont suscité chez eux interrogations, incompréhension et inquiétudes.

L’islam de France a toute sa place dans notre République au même titre que les autres religions. Le Président de la République l’a rappelé à l’occasion du congrès de Versailles dans ces termes : « Nous ne sommes pas menacés par le cléricalisme, nous le sommes davantage par une forme d’intolérance, qui stigmatiserait toute appartenance religieuse. Je le dis en pensant en particulier à nos concitoyens de confession musulmane. Nous ne devons pas nous tromper de combat, dans la République la religion musulmane doit être autant respectée que les autres religions. »

Je saisis cette occasion pour saluer la présence hautement symbolique du Premier Ministre, M. François Fillon, à l’inauguration de la mosquée Al-Ihsan à Argenteuil. Une première et un signe de reconnaissance et de respect pour la communauté musulmane de France, qui intervenait quelques jours seulement après la signature, le 17 juin dernier, d’une convention-cadre entre le ministère de l’Intérieur et le CFCM portant sur la mise en œuvre d’un suivi opérationnel et statistique des actes antimusulmans à l’instar de ce qui existe déjà pour les actes antisémites.

Cette convention est la condition d’une meilleure prise en compte de la réalité d’un phénomène auquel ni les pouvoirs publics ni les représentants de l’islam de France ne sauraient se résoudre. En effet, les actes à caractère explicitement antimusulman ont doublé en l’espace d’une année et les chiffres de l’année 2010 ne sont guère rassurants.

Pour l’année 2009, le bilan des actes de violence raciste fait état de 1 028 actes, dont 30 % concernent la composante musulmane, qui a vécu une année rythmée par des profanations de ses mosquées et ses lieux de sépulture.

L’élan de solidarité et de soutien exprimés par les forces vives de la nation ainsi que les rappels des principes qui fondent la République ont renforcé notre confiance dans la capacité de notre pays à endiguer ce phénomène avec la fermeté et le volontarisme nécessaires.

Les musulmans de France ne sont pas prêts d’oublier la visite historique du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 26 janvier dernier à Notre-Dame-de-Lorette pour condamner la profanation des tombes de ces vaillants combattants de la liberté et honorer leur mémoire et leurs sacrifices.

Et à cette occasion le Président avait rappelé : « Être Français, qu’on le soit de naissance ou qu’on le devienne, c’est avoir la France en héritage, non pas comme un patrimoine figé qui devrait être jalousement gardé dans un musée, mais comme un héritage qui n’aurait d’autre testament que de nous en montrer dignes et de le faire fructifier pour les générations futures. »

Les musulmans de France n’oublieront pas non plus les deux cérémonies émouvantes aux cimetières de Tarascon et de Strasbourg les 9 mai et 2 juillet derniers, auxquelles vous avez participé, Monsieur le Ministre Hortefeux, et à l’occasion desquelles vous avez réaffirmé qu’« aucun acte antimusulman, aucune violence, aucune insulte, aucune attaque antimusulmane ne saurait être acceptée ».

C’est l’occasion pour moi de saluer, également, les gestes de solidarité et de soutien que les représentants des cultes juif, catholique et protestant ne cessent de manifester à l’égard des musulmans de France. À l’occasion du vote suisse sur la construction des minarets et le débat qu’il a suscité en France, le Cardinal Monseigneur Vingt-Trois a souligné qu’«on ne peut pas être pour la liberté religieuse et refuser que les musulmans aient droit à des lieux de prière dignes ». Le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, a pour sa part appelé « l’Europe à changer son regard sur l’islam » et le Président Claude Baty a rappelé « le principe fondamental des droits de l’homme qui permet à chacun de manifester sa religion tant en public qu’en privé et d’accomplir librement les rites de son culte ».

Les musulmans de France sont dans leur immense majorité des citoyens responsables qui respectent le pacte civique et adhèrent totalement aux valeurs qui régissent notre pays.
La crainte légitime de l’intégrisme ne doit pas se transformer, au prix d’amalgames et d’un certain populisme, en un rejet de l’islam et des musulmans.

Les musulmans de France ne comprennent pas et n’acceptent pas que certains, ouvertement ou insidieusement, sèment le doute sur leur adhésion pleine et entière aux valeurs de la République. Ils souhaitent que leur pratique religieuse soit perçue comme un élément de leur liberté individuelle, plutôt qu’une source permanente de débats publics.

Des pratiques et des comportements marginaux ne doivent, en aucun cas, conduire à la stigmatisation de la religion musulmane. Nous devons travailler, ensemble, pour faire reculer ces pratiques minoritaires et permettre à l’islam de modération et du juste milieu, porteur de valeurs de paix et de respect, de s’exprimer davantage et de participer pleinement à la construction du lien social et du vivre-ensemble auquel nous sommes profondément attachés.

Monsieur le Ministre Hortefeux, je n’oublierai pas que vous avez été le premier à mesurer, à comprendre et à partager ma préoccupation quant à l’usage abusive du terme « islamiste » pour désigner les terroristes ou les extrémistes, dont le comportement est la négation même des valeurs et principes de l’islam. Rien ne peut justifier de rattacher des criminels à une religion même s’ils prétendent agir en son nom.

Qu’il me soit permis de relever que cette focalisation sur l’islam intervient, paradoxalement, au moment où pouvoirs publics et représentants du culte musulman œuvrent ensemble, pour apporter des réponses concrètes aux problèmes liés au culte musulman en France, telles que la construction des mosquées, la création de cimetières confessionnels ou de carrés musulmans, l’abattage rituel, l’organisation du pèlerinage, la formation des cadres religieux. Ces questions sont au centre des préoccupations du CFCM.

Concernant la formation des cadres religieux, nous pensons que la réflexion doit être menée en termes à la fois de formation continue et de mise à niveau pour ceux qui exercent.

La multiplication d’instituts de science islamiques couplés à des formations d’imams n’a pas pour l’heure permis de dégager une maquette commune. Nous ne perdons pas espoir afin qu’un institut national voit le jour.

Quelle que soit la forme envisagée, toute solution devra intégrer les aspects liés au financement des études et la reconnaissance par l’ensemble de la communauté musulmane.

Lors de sa visite à l’Institut catholique de Paris qui accueille depuis 2008 chaque année des imams et des aumôniers dans sa formation intitulée « Religions, laïcité, interculturalité », Monsieur le Ministre Éric Besson a fait part de son soutien au développement de deux nouvelles formations du même type dans des universités publiques de province.

L’intérêt du CFCM et des pouvoirs publics pour cette formation dite « profane », qui intègre tous les savoirs nécessaires à un futur cadre religieux dans l’islam de France, à côté des savoirs proprement théologiques, reste entier. Il reste à renforcer la coordination entre l’enseignement de ces savoirs et celui des fondements religieux de sorte que les étudiants puissent trouver des débouchés et que l’ensemble des instances cultuelles y souscrivent.

Autre question qui nous tient à cœur, celle des mosquées. La France compte environ 2 000 lieux de culte et salles de prière pour plus de 5 millions de musulmans. Une étude réalisée en 2005, montre que seuls 4 %, ont une surface supérieure à 1 000 m2 et que 40 % ont une surface inferieur à 100 m2. C’est dire que la surface cultuelle reste très insuffisante. Nous estimons, en effet, qu’il faudrait, au moins, la doubler pour permettre aux fidèles de prier dans des conditions dignes.

Cela dit, depuis quelques années, nous connaissons une remarquable phase de rattrapage. Des projets ambitieux ont vu le jour, comme en témoignent les nombreuses inaugurations dont celles que nous avons faite ensemble, Monsieur le Ministre Hortefeux, à Clermont-Ferrand et avec le Premier ministre, à Argenteuil. Une meilleure mise en œuvre de la circulaire du ministère de l’Intérieur de mai 2009 démontre toutes les possibilités juridiques dans le cadre du droit existant.

Par ailleurs, pendant longtemps et pour des raisons que nous ne comprenons pas, de nombreux lieux de culte musulmans ont essuyé le refus d’être assurés. Aujourd’hui, nous notons une évolution, puisque des grands groupes d’assurance proposent des formules adaptées aux besoins des mosquées, mais nous sommes encore loin d’une situation normale.

Quant aux carrés musulmans, le CFCM se réjouit du vote à l’unanimité du conseil municipal de Strasbourg, le 8 juin dernier, pour la création d’un cimetière musulman sous gestion publique. Cette décision historique a été rendue possible grâce à une application dynamique du droit local alsacien, qui permet d’en étendre les bénéfices à l’islam.

Nous espérons que d’autres mairies répondent favorablement au travail de sensibilisation mené par nos CRCM et le ministère de l’Intérieur pour la mise en œuvre de la circulaire de février 2008 portant sur l’aménagement des cimetières et les groupements confessionnels des sépultures. Car l’un des signes forts d’appartenance à une communauté nationale est aussi de pouvoir reposer à sa mort sur sa terre.

L’histoire des musulmans de France, de leurs sacrifices lors des deux Guerres mondiales ainsi que leur participation à la reconstruction de la France constituent une partie importante de notre mémoire. Le Conseil français du culte musulman entend contribuer aux efforts d’entretien de cette mémoire. C’est aussi un moyen d’enraciner et de fortifier le sentiment d’appartenance à la nation et à son histoire chez les futures générations.

À ce propos, je salue chaleureusement le maire de Paris M. Bertrand Delanoë, qui a accepté la proposition d’un partenariat entre le CFCM et la ville de Paris portant sur des projets en lien avec la mémoire des musulmans de France.

Un autre dossier nous préoccupe également, il s’agit de l’abattage rituel qui conditionne l’offre halal. Le CFCM, conscient de l’importance de ce dossier, a concentré son action sur la défense de l’abattage rituel.

Je tiens à réaffirmer aujourd’hui que le soutien des pouvoirs publics et l’action concertée avec le Consistoire central nous ont permis, après de long batailles, de défendre, au niveau européen, l’abattage rituel garanti par le principe de la liberté religieuse.

En parallèle, le CFCM a réussi avec l’aide des pouvoirs publics à empêcher l’adoption, au niveau européen, d’une norme halal autrichienne qu’il estime non conforme aux règles de l’abattage rituel. Le CFCM entend proposer avant la fin de cette année un référentiel halal français et permettre ainsi de régler le problème de la certification et de responsabiliser les acteurs du marché halal pour rassurer le consommateur.

L’action concertée entre le CFCM et le Consistoire central sur le dossier de l’abattage rituel m’amène à dire quelques mots sur les relations entre les juifs et les musulmans qui partagent beaucoup de préoccupations communes, notamment sur le plan rituel. Ces préoccupations peuvent faire l’objet de concertation et de coopération à mener dans un esprit de solidarité et de respect mutuel. C’est l’occasion, pour moi, de saluer les représentants du culte juif, le Président Joël Mergui et le Grand Rabbin Bernheim, ici présents, et leurs souhaiter ainsi qu’à l’ensemble de nos concitoyens juifs une bonne et heureuse nouvelle année (Roch ha-Chanah) 5771, dont la fête coïncide cette année avec la fête musulmane de l’Aïd el-Fitr.

Je dis également en toute simplicité que les musulmans de France, tout comme les juifs et les chrétiens de France, ont des attaches légitimes avec les lieux et les populations de la terre de Palestine.

Nos concitoyens, épris de paix et de justice, ont le droit d’exprimer leur soutien ou leur compassion aux populations de la terre de Palestine face à des souffrances qui durent depuis des décennies. Mais ce soutien ne saurait être source de tension entre musulmans et juifs de France.

Nous, musulmans de France, animés par les valeurs de justice et d’équité qui fondent notre morale, sommes conscients de notre devoir de partager avec nos concitoyens un destin commun au sein de notre nation, espace de paix que nous devons tous préserver et protéger.

Avant de conclure, un mot sur le projet de réforme du CFCM.

Nous sommes, naturellement, attachés à une bonne gouvernance, laquelle nécessite une évaluation régulière et transparente. Ainsi, dès le mois de juin 2008, nous nous sommes engagés à réformer les critères de représentation au sein du CFCM dans un esprit de consensus et dans le respect de la diversité de l’islam de France.

Afin de mener à bien cette mission, nous avons mis en place, dès le mois d’octobre 2008, un groupe de réflexion qui s’est fixé comme objectif de faire des propositions sur des questions portant, notamment, sur le règlement électoral et les critères de représentativité. Le but étant d’améliorer les dispositifs actuels et de consolider les acquis.

Des discussions et des débats autour des différentes propositions se sont déroulés dans un esprit fraternel et très constructif, et chacune des composantes a su tenir compte de l’intérêt collectif pour faire évoluer sa propre proposition. Je tiens à saluer cette attitude qui témoigne de l’engagement entier, responsable et authentique de ses composantes.

J’espère que nous pourrons soumettre et faire adopter par notre Assemblée générale, dès le mois d’octobre prochain, le projet de réforme des statuts et du règlement électoral et permettre ainsi le renouvellement de nos instances en juin 2011 sur une base agréée par tous.

Notre conviction commune est d’œuvrer à faire de notre institution le symbole de l’unité des musulmans de France et le lieu de défense de l’intérêt de l’islam de France.

Pour conclure, je réaffirme notre engagement à servir les musulmans de France, à poursuivre, à renforcer et à consolider le dialogue avec les pouvoirs publics et l’ensemble des composantes de la société dans l’intérêt de notre pays et de nos concitoyens.

Je ne peux conclure sans une pensée pour nos compatriotes, les journalistes de France 3 Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, otages en Afghanistan.

Qu’il me soit permis d’élever des prières, en ce moment de bénédiction, pour que toutes les personnes privées injustement de leur liberté ou menacées dans leur vie retrouvent très vite leurs familles et leurs proches.

En vous souhaitant à nouveau un bon iftar.

Je vous remercie.