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Dieu Football Club : «Le foot français bloque sur le voile mais a une avance sur la société»

Rédigé par | Mardi 9 Décembre 2014 à 06:00

Parler religion et football sans verser dans le sensationnalisme ou la caricature tendant à présenter les cultes - l'islam en particulier - comme des « problèmes » : le pari est réussi avec « Dieu Football Club », un livre passionnant et instructif écrit par Nicolas Vilas, présentateur de l'émission « Tribune foot » sur Ma chaîne sport. Son ouvrage, qui fait le point sur la gestion du fait religieux dans les vestiaires, est le fruit de trois ans de travail durant lesquelles une centaine d'entretiens de joueurs de toute confession (ou non), d'entraîneurs et de dirigeants ont été cumulés. Le journaliste sportif a répondu aux questions de Saphirnews, avec qui le débat épineux du voile a été évoqué, dans un milieu, le foot, où la religion est pourtant bien mieux vécue que dans le reste de la société française.



Nicolas Vilas (à droite), ici avec Raymond Domenech, est auteur du livre « Dieu Football Club ».

Saphirnews : Quelle est aujourd’hui la place du fait religieux dans le monde du football ?

Nicolas Vilas : On a souvent tendance à décrire le football comme un sport qui se tourne de plus en plus vers la religion. La première partie du livre, plus empirique et plus historique, rappelle que les premiers jeux de ballons, il y a 3 000 ans, étaient liés à des rites religieux ; que beaucoup de clubs, en Europe, au Maghreb ou en Amérique du Sud aussi, sont le prolongement d’institutions religieuses. La FFF (Fédération française de football, ndlr), par exemple, l’est aussi d’une façon indirecte (son ancêtre, le Comité français interfédéral, a été fondé par des hommes issus du patronage paroissial, ndlr).

Aujourd’hui, parce que le football est très médiatisé, parce qu’on fait beaucoup de gros plans sur les joueurs, on s’intéresse plus à la question religieuse. Peut-être aussi parce qu’il y a aujourd’hui plus de musulmans et donc plus de joueurs de cette confession… On en parle plus parce qu’on se rend compte qu’il y a une vraie problématique en France quant à la place de la religion, des pratiques religieuses dans l’espace public et notamment de l’islam. On s’attarde plus là-dessus, alors que les signes de croix sur les joueurs ont toujours existé, parce qu’il y a des pratiques qui sont moins dans la tradition de ce qu’une certaine France se fait de sa société et de son histoire.

Moins dans la tradition aussi parce que l’émergence contemporaine du football est liée à la religion chrétienne ?

Nicolas Vilas : Oui et non. Dans le chapitre consacré au Maghreb, où les partis politiques et les associations politisées étaient interdits (pour les autochtones, ndlr), les sociétés sportives étaient devenues des moyens d’affirmation nationaliste et politique et, souvent, l’un des symboles qu’elles ont employés pour affirmer leur différenciation et leur nationalisme était initialement la religion. Le Mouloudia (Club d'Alger, ndlr) est né ainsi (en 1921, la veille du Mawlid commémorant la naissance du Prophète Muhammad, ndlr). Au Maghreb, on peut dire que l’émergence du foot est liée au christianisme parce que les premiers clubs qui ont existé découlaient souvent d’institutions religieuses. On peut l’affirmer aussi parce que le football institutionnalisé est né en Europe occidentale, traditionnellement présenté comme de culture judéo-chrétienne. Mais ce n’est pas le cas partout.

L’un des aspects passionnants de votre livre a justement à voir avec l’émergence du foot au Maghreb. Comment ces pays ont réussi à se réapproprier ce qui était à l’origine le sport du colon ?

Nicolas Vilas : On a plusieurs explications. C’est vrai qu’il y avait certaines sociétés sportives qui n’étaient réservées qu’aux colons. Les indigènes, eux, étaient rejetés par certaines de ces sociétés mais ils ont quand même adhéré à ce sport, qui n’était pas bien perçu par les traditionnalistes religieux parce que justement, pour eux, c’était un sport amené par le colon. Ce qui est intéressant à constater, c’est qu’il y a eu une prise de conscience, par la jeunesse de l’époque, de l’importance que pouvait représenter le sport à l’avenir. Elle s’est rendue compte que le football, et le sport globalement, allait être un fantastique vecteur de communication, presque de propagande, des idées nationalistes et indépendantistes qui étaient intimement liées à la religion parce qu'elle n'était pas la même partagée avec les colons. Ces aspects historiques sont passionnants, tout comme les dimensions politique et social que peut prendre ce sport et la religion n’en est pas loin.

(…) On peut parler du Maghreb où il y avait des derbys (des rencontres sportives entre deux équipes d’une même ville, ndlr) entre colons et indigènes… ou presque car il y avait des quotas à respecter. Mais on peut aussi voir ce qui ce passe au Royaume-Uni, notamment en Ecosse, avec le derby entre le Celtic (Glasgow) et les Rangers. Un derby entre catholiques et protestants et, pourtant, les deux religions sont installées de façon historique dans cette région. La formation de derbys est souvent liée à des facteurs sociaux, économiques et également religieux.

Avec quels acteurs du football avez-vous eu le plus de mal à parler religion ?

Nicolas Vilas : Les joueurs en soi ont été très réceptifs et se sont pas mal arrêtés sur le sujet. Je n’ai pas eu de réticences particulières, je n’ai eu qu’un tout petit nombre de refus. Il y a une grande tolérance dans les vestiaires, même avec les entraîneurs aujourd’hui. Ce ne sont pas les joueurs eux-mêmes qui étaient opposés à l’idée de parler mais certains de leurs conseillers qui, parce qu’on allait évoquer des questions religieuses et qu’ils ne savaient pas quel serait le message final du livre - ce que je peux comprendre -, étaient réticents à ce que leurs clients puissent s’exprimer sur leur religion. Pareil pour les dirigeants de clubs.

Aussi, on est quand même dans un pays où il y a beaucoup de corporatisme et certaines corporations ont beaucoup de réticences à évoquer la religion. J’ai eu beaucoup de mal à toucher les arbitres. Eux-mêmes étaient assez ouverts à l’idée d’en parler mais le blocage est venu d’en haut. Un arbitre a témoigné dans l’anonymat par peur de représailles de sa direction. C’est un peu dommage mais autrement, il n’a pas été difficile de faire témoigner les personnes.

Quels points communs avez-vous décelé entre les joueurs qui ont témoigné ?

Nicolas Vilas : Pour moi, qui ne suis pas croyant, le point commun, toutes confessions confondues, que j’ai décelé, c’est qu’elle (la religion, ndlr) apporte souvent à des joueurs un certain équilibre. C’est en tous cas ce que j’ai ressenti parce que je les ai sentis tous convaincus par ce qu’ils vivaient.

Très souvent, ils ont fait des centres de formation et sont coupés de leur environnement familial, de leurs repères habituels liés à leur enfance et ils ont besoin de nouveaux repères. Parfois, la religion leur permet de ne pas tomber dans certaines dérives, de les protéger par rapport à certaines d’entre elles comme l’alcool, les sorties, les femmes, le fait de dépenser son argent n’importe comment. Pour certains, elle est une forme de protection contre les blessures… Elle leur apporte un certain bien-être.

La France serait le pays où la gestion du fait religieux dans le sport est l’une des plus problématiques. C’est un constat que vous êtes à même de confirmer avec votre enquête ?

Nicolas Vilas : Je dirais plutôt l’inverse. Je pense que la France a eu un certain retard quant à la cohabitation entre les pratiques religieuses de certains joueurs et l’exercice de la fonction de footballeurs pendant pas mal d’années par rapport à d’autres pays et d’autres clubs mais ce retard a été comblé. Le foot français a une certaine avance sur le reste de la société. Aujourd’hui, les clubs savent gérer certaines problématiques liées à des habitudes alimentaires, aux prières, aux périodes de jeûnes, de chômage comme Kippour ou l’Aïd… Ce sont de problématiques dites normales, qui sont gérées de façon paisible et qui font partie des habitudes des clubs.

Maintenant, une problématique reste ouverte et est également une problématique de société, c’est le port du voile pour les joueuses. Pour moi, c’est un cas qui est hyper captivant parce que la France est candidate à l’organisation de la Coupe du monde féminine en 2019 et la FFF se planque derrière la laïcité pour ne pas autoriser le port du voile dans l’espace public et donc dans le stade… A part ça, il y a une réelle ouverture au sein du football par rapport à la société sur la religion.

Vous dites que ce livre veut offrir des pistes de réflexion, l’une d’elles concerne-t-elle le modèle de société à promouvoir en France ?

Nicolas Vilas.
Nicolas Vilas : Non je n’ai pas cette prétention. La seule chose que je constate, à travers les témoignages de joueurs, c’est qu’on nous vend un modèle de société en France mais qu’on est très loin de la finalité que voulaient atteindre nos décideurs et nos élus. Le communautarisme est dénoncé en France depuis des décennies mais on a les inconvénients sans les avantages du modèle anglais parce que le communautarisme n'est pas assumé. Je ne dis pas que le modèle à l’anglaise est génial mais tous les politiciens s’accordent à dire qu’il y a échec de notre modèle d’intégration.

Si on veut que les religions cohabitent d’une meilleure façon, il faut qu’on les connaissent mieux. Or, le problème aujourd’hui est qu’on refuse tout débat autour de cette question au nom de la laïcité ou, je dirais vraiment, du laïcisme qu’on nous présente comme de la laïcité. Il ne faudrait surtout pas parler de religion parce qu’on est dans l’espace public... Au final, on ne connaît pas la religion de l’autre, il n’y a pas de dialogue et, au contraire, des tensions qu’on constate aujourd’hui pleinement. Les gens sont dans les préjugés et les amalgames parce qu’on ne connaît rien sur le judaïsme ou l’islam, qu'on en sait un peu sur le christianisme et encore, à l’école, on n'en parle plus. Vous me direz qu’avant on parlait beaucoup du christianisme, pas des autres : ce n’est pas mieux mais, aujourd’hui, on ne parle de rien. Certains diront que c’est du domaine de l’intime, que c’est aux familles d’inculquer ça mais, moi, je pense que dans l’espace public, si on veut que les religions cohabitent bien, il faut aussi les connaître un peu.

Revenons sur le débat du voile (hijab) dans les stades. Cette question doit-elle être vécue comme un « problème » pour vous ? Vous êtes-vous fait un avis dessus ?

Nicolas Vilas : Ceci faisait partie des avis très tranchés que j’avais peut-être avant d’écrire le bouquin et sur lequel j’ai évolué parce que je me suis rendu compte que je n’étais pas un laïc mais un laïciste. Pour moi, dans l’espace public, il ne fallait absolument pas qu’il y ait une représentation religieuse, quel que soit la religion… Finalement, en multipliant les entretiens, je me suis dit qu’il y a des blocages qu’on se fait sans forcément les maîtriser. Je n’ai pas d’avis tranché sur cette question mais ce qui m’emmerde le plus dans cette histoire, c’est de me dire que si je l’interdis, je vais l’imposer à une femme alors que je pars du postulat que c’est son choix et qu’on est dans un pays libre. Je ne vois pas au nom de quoi je devrais lui interdire le voile.

On dit souvent que les femmes voilées vivent de façon traditionnaliste, et ne sont pas du tout ouvertes. J’en ai parlé avec des joueuses qui m’ont fait cette remarque : si elles étaient si fondamentalistes, elles ne joueraient même pas au football ! Et on va les interdire de jouer juste parce qu’elle porte un voile (…) alors qu’elles ont une volonté d’ouverture dans la société et qu’elles n’ont pas de problème à jouer contre des femmes non voilées. Helena Costa, qui a été sélectionneuse de l’Iran et du Qatar, m’a dit que le voile est aussi une façon de s’émanciper, alors je préfère voir les choses comme cela.

Je peux comprendre que cela puisse contrarier des personnes parce que chaque individu a son histoire, ses préjugés plus ou moins conscients… mais enfin, je me souviens que, quand j’étais petit, ma grand-mère allait à l’église, qu’elle portait le voile sur la tête pour y aller et que cela ne posait de problèmes à personne. Il faut respecter les choix de chacun.

Vous évoquez là une évolution d’opinion, ce qui m’amène à une dernière question. Qu’est-ce que toutes vos rencontres vous ont apporté ?

Nicolas Vilas : Justement, la nuance entre laïcité et laïcisme. Surtout, j’ai eu beaucoup de retours positifs de joueurs qui disent en apprendre beaucoup sur les religions mais y compris sur la leur… Tout passe par la connaissance et la meilleure façon d’apprendre, c’est par le dialogue avec des gens qui sont autour de soi. Aujourd’hui, on a tendance, dès qu’on aborde cette question, à être braqué et à la présenter comme un sujet « sensible ». Quand j’ai commencé le livre, on m’a dit que j'allais galérer, qu’on ne va pas vouloir en parler, surtout avec l’actualité, mais en fait, je n’ai que des bons retours. On peut parler d’un sujet très sérieux sans tomber dans le buzz, l’aspect sensationnaliste. Tout dépend de la façon dont on le présente.

(…) Alors attention, je disais que le foot a certaines avances par rapport à la société mais les préjugés, le racisme perdurent encore dans ce domaine parmi les joueurs et les dirigeants. Le foot est à l’image de la société et il est tout sauf parfait. Par contre, il faut arrêter de le présenter comme une bulle où tout le monde gagne des millions alors qu’il s’agit d’une toute petite minorité, où les mecs ne pensent à rien à part à leurs voitures, aux sorties et aux femmes… Chacun a une histoire, des croyances parfois. Si je prône le dialogue et la communication, c’est aussi pour ne pas tomber dans les généralités et les amalgames.

Nicolas Vilas, Dieu Football Club. Quand la religion s'immisce dans le football, Hugo Sport, novembre 2014, 208 pages, 16,50 €



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur