Points de vue

Communautarisme à l’école : l’enquête du Figaro ressemble à un canular

Rédigé par Bernard Girard | Lundi 21 Avril 2014 à 06:00



La ficelle est toujours aussi grosse mais tant que l’opinion publique ne s’en lasse pas, pourquoi s’en priver ? Le Figaro en rajoute une couche sur « le communautarisme musulman (qui) défie l’école ».

Se basant sur une enquête de police confidentielle – tellement confidentielle qu’on n’en trouve la trace nulle part –, le quotidien entretient avec obstination la grande frayeur de son lectorat. Le procédé est classique : aucune information sérieuse ni vérifiable, avec en prime des montages photos qui feraient ricaner dans n’importe quelle école de journalisme.

Le « front bleu » à force de prier

La note de police porte sur 70 faits divers, à propos desquels le journaliste extrapole sans état d’âme sur quelque 65 000 établissements scolaires et leurs 12 millions d’élèves. Il faut croire cependant que la chose est grave : devant la façade d’un établissement non identifié, trois femmes entièrement voilées personnifient la menace identitaire.

Le document révèle « un état des lieux édifiant », des faits qualifiés de « surréalistes ». Qu’on en juge un peu :
•des élèves priant avec une telle ferveur, qu’ils en ont « le front bleu » ;
•des jeunes filles qui n’acceptent pas de se maquiller dans un CAP d’esthétique – car c’est bien connu, il n’y a d’esthétique que dans le maquillage ;
•un absentéisme « frisant les 90 % lors des grandes fêtes religieuses » (en comparaison, combien de familles catholiques envoient leurs rejetons à l’école le jour de Noël ou de Pâques ?) ;
•mais surtout, comble de l’insolence, le refus de certains élèves de consommer de l’alcool pendant les « cours d’œnologie » (sic). On savait bien que le lobby de l’alcool avait toujours un droit de regard sur l’école, mais de là à penser que l’œnologie était une matière scolaire à part entière, voilà effectivement quelque chose de « surréaliste »

Tout à sa pensée purificatrice, Le Figaro a même déniché dans des salles de classe des élèves « dissimulant leur djellaba dans leur pantalon ».

Et pour faire plus réaliste, Christophe Cornevin, grâce à qui ce scandale est enfin dénoncé, a cru bon illustrer son papier non pas par des photos prises à l’intérieur des établissements – images qu’il aurait eu bien du mal à dénicher –, mais par une « infographie Le Figaro ». En réalité, un montage de dessins exposant aux yeux des lecteurs effarouchés hijab, niqab, qamis et autres jilbab... Autant d’incontournables de la mode lycéenne d’aujourd’hui.

L’école menacée par le refus du maquillage

Voilà donc les manifestations les plus marquantes de ce « repli identitaire », qui, pour Le Figaro, « inquiète la police » et menace la République. La République et son école menacées par le hijab et le niqab, le refus de l’alcool ou le maquillage ?

Ou plutôt par tous ces petits trucages et ces gros mensonges complaisamment relayés par une large partie de la presse qui (comme c’est le cas avec ces articles), relèvent davantage du canular que de l’information mais qui, repris bien inconsidérément par des politiciens de droite comme de gauche, instillent peurs et fantasmes dans les esprits.

Pour contrer la visibilité de l’islam dans la société et à l’école, le choix facile qui a été retenu toutes ces dernières années, au nom d’une laïcité galvaudée, débouche sur une impasse.

Avec du recul, on ne voit pas pourquoi la stigmatisation – en germe par exemple dans l’interdiction du foulard en milieu scolaire ou encore l’exclusion humiliante des sorties scolaires de mères de familles voilées – serait préférable à un accommodement avec des pratiques ou des revendications qui n’ont rien d’exorbitantes, comme la légalisation des grandes fêtes religieuses juives ou musulmanes, plutôt que des seules chrétiennes. Une option qui, faut-il le rappeler, était préconisée il y a plus de dix ans par la commission Stasi avant d’être défendue par des politiques – Eva Joly entre autres – plus avisés et plus tolérants que la moyenne.

Une évidence difficile à assimiler on dirait

Plus fondamentalement, plutôt que de se complaire dans une posture de forteresse assiégée tout en cherchant à y enfermer l’école avec elle, la République serait mieux inspirée de s’interroger sur ses propres dysfonctionnements.

Si des élèves constamment montrés du doigt par des polémiques malsaines peuvent éprouver, pour quelques-uns d’entre eux, le besoin de se référer à d’autres valeurs qu’à celles de l’école, c’est d’abord dans l’organisation et les fondements d’un système éducatif qui ne leur permet pas de s’y reconnaître – et encore moins d’y réussir – qu’il faut en chercher la raison. Bien davantage, me semble-t-il, que dans une très improbable incompatibilité entre une religion et le monde moderne.

L’éducation reste avant tout une question sociale, une évidence que le quotidien de Dassault – et beaucoup d’autres avec lui – a visiblement du mal à assimiler.

Bernard Girard est enseignant et tient le blog Journal d'école. Première parution le 14 avril sur le blog Rue 89 Journal d'un prof d'histoire.