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Aya Cissoko : « Les enfants des quartiers défavorisés peuvent s’en sortir autrement que par le sport »

Rédigé par | Mercredi 31 Aout 2016 à 12:30

Triple championne du monde de boxe amateur, Aya Cissoko a raccroché les gants en 2010 au profit de la plume. Son autobiographie « Danbé » (« Dignité » en bambara), sortie en 2011, retraçait son parcours sportif et l’histoire dramatique de sa famille. Elle a perdu son père et son petit frère suite à un incendie criminel en 1986. « Danbé » a été adapté en téléfilm diffusé en janvier 2015. En mars dernier est paru « N’ba » (« Ma mère »), un second ouvrage biographique consacré cette fois à sa mère. Auteure engagée et constamment en dehors des sentiers battus, elle milite pour une plus grande conscientisation de la jeunesse des quartiers populaires.



Aya Cissoko, auteur des autobiographies « Danbé » et « N’ba ». © Aaron Kocevar

Saphirnews : Faut-il faire plus de prévention sur la gestion financière des carrières de sportifs ?

Aya Cissoko : J’interviens énormément sur ce terrain parce que j’ai envie de conscientiser les gamins afin qu’ils comprennent qu’il y a très peu d’élus. Et parmi ceux qui sont champions, très peu gagnent de l’argent. Dans les établissements scolaires, la première question est souvent : « Vous êtes riche, Madame ? Vous avez trois titres de championne du monde ». Je leur dis que j’ai gagné beaucoup plus d’argent en allant travailler. Lorsque je boxais, j’avais une activité professionnelle à côté. Il faut aussi qu’on arrête avec le discours d’intégration par le sport pour les classes défavorisées.

Pourquoi ?

Aya Cissoko : Les enfants des quartiers défavorisés peuvent s’en sortir autrement que par le sport. On lui accorde trop de place dans le processus d’intégration. On ne devient pas citoyen, réfléchi et conscient avec le sport. Un coach me disait : « Je vais leur apprendre à taper dans un sac et quand ils en sortiront, eh ben, ils sauront taper dans un sac… » Et le reste ?

Cependant, on voit peu de modèles de réussite pour ces jeunes en dehors des sportifs.

Aya Cissoko : Quand je regarde autour de moi, il y a énormément de gens qui s’en sortent (rires). Il y en a même plus qui s’en sortent par autre chose que le sport. Sinon, ce serait la guerre. Il faut qu’on arrête avec ces idées reçues. C’est la faute des médias. Vous imaginez si tous les Noirs et Arabes étaient des sportifs ? On en rigole mais c’est tragique. Moi-même en tant qu’écrivaine, je suis fatiguée qu’on me réduise à la boxeuse.

Alors venons-en à votre livre, quel a été l’élément déclencheur pour sa rédaction ?

Cissoko Aya © Jean-Baptiste Pellerin
Aya Cissoko : C’est la mort de ma mère. J’avais démarré l’écriture d’un autre livre mais sa mort est survenue de manière brutale en mai 2014. J’ai éprouvé le sentiment d’urgence de la raconter. « L’écriture permet aux morts d’accéder à l’immortalité en les inscrivant dans la mémoire des vivants. » J’adore cette formule mais je ne sais pas de qui elle est. En même temps, j’avais envie de parler aux miens, au clan avec lequel j’ai pris mes distances mais auquel j’appartiens de toute façon, que je le veuille ou non. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé de faire cohabiter français et bambara.

Introduire du bambara était un choix évident pour vous ? Est-ce une identité qui vous porte ?

Aya Cissoko : Il était hors de question de faire parler ma mère en français. Ma mère ne me parlait qu’en bambara. Quand j’écrivais je l’entendais parler en bambara. Respecter ce qu’elle était passait par le langage aussi. Je suis héritière dune culture dont je suis très fière et c’est aussi une culture qui a le droit de cité. Je suis le fruit dune double culture et je n’ai pas l’ambition de hiérarchiser ces cultures. Ma double culture n’est pas un problème pour moi. Je suis en paix depuis longtemps car connaitre sa double culture permet de s’en détacher plus facilement.

Et pourtant, il y a une cassure avec une bonne partie des membres de votre famille dont vous parlez dans vos ouvrages.

Aya Cissoko : Quand j’ai perdu mon père, les hommes du clan se sont réunis et ils ont dit à ma mère qu’ils n’étaient pas en capacité d’assurer les besoins d’une femme et de ses enfants. En conséquence, ils lui ont conseillé de retourner au pays. Ma mère a dit que son état de santé ne le permettait pas et que, si son mari a pris autant de risques pour venir ici, c’était pour une bonne raison. La sanction a été une mise au ban, elle a subi une mise en quarantaine pendant X années.

Un des combats de votre mère sera justement de regagner sa place. Paradoxalement, une fois sa lutte achevée, vous prenez le contrepied en vous éloignant de vos proches.

Aya Cissoko : Les combats des parents ne sont pas les nôtres. Ma mère a mené son combat pour exister. Même si ce sont les miens, je n’oublie pas ce qu’ils ont été. Je me suis construite dans ce rejet, j’ai été témoin de ces humiliations. La tradition, si on la respecte, est là pour assurer la cohésion du groupe et pour protéger ses membres les plus faibles. A partir du moment où on pervertit la tradition et où elle sert a asseoir une autorité d’un individu ou d’un groupe d’individus, on trahi le ferment de notre société. Ceux qui ont été honnêtes avec nous, je suis toujours en lien avec eux et les autres non.

C’est difficile de parler de soi, de sa famille lorsqu’on vient de cette culture mandingue. Comment composer avec la question de la pudeur ?

Aya Cissoko : Déjà, je ne dis pas tout même si j’en dis beaucoup. Quand on décide d’écrire un livre comme ça, on prend énormément de distance. J’ai fait des recherches, interrogé les gens autour de moi. Il y a eu un travail d’archives par exemple pour les actes de naissance, actes de mariage et autres lettres. J’ai essayé d’être la plus précise possible. J’ai effectué un vrai travail de recherches et raconter tous ces parcours migratoires aussi.

Pourquoi vous êtes-vous autant attardée sur les parcours des autres membres de ta famille, leurs galères, leur quotidien ?

Aya Cissoko : Depuis mon adolescence, je suis attirée par ces figures d’hommes et de femmes africaines. Quand on s’attarde sur leurs visages, on sent qu’il y a une gravité chez eux. On sent que ce sont des gens qui se sont construits avec le poids du sacrifice. Lorsqu’ils ont fait le choix de partir, ils ne savaient pas s’ils allaient arriver en vie et l’actualité nous le dit au quotidien. Le départ est dangereux. Ce sont des personnes qui connaissent des humiliations quotidiennes et, à côté de ça, qui ont de la dignité, qui fait que nous, on sait pourquoi on est là.

Elles disent : « Nous, avec nos salaires médiocres, on va nourrir tellement de gens. Vous, avec 1 500 euros, vous ne vous en sortez pas et nous, avec cette somme, si vous saviez tout ce qu’on est capable de faire. » J’ai vraiment envie de dire aux jeunes : intéressez-vous a vos parents, ayez la démarche de les interroger, soyez fiers deux, ne vous fiez pas que à ce que l’histoire raconte dans les livres. Oui, nos pères et nos mères sont des héros.

Dans « N’ba », on découvre votre beau-père Filélikéla, marabout de profession. Pourquoi l’avoir complètement évincé dans « Danbé », votre première autobiographie ?

Aya Cissoko : Il y a des choses qu’on est prêt à dire, c’est une question de maturité. Puis, une écriture à quatre mains, c'est particulier. Même si Marie (Marie Desplechin, co-auteure de Danbé, ndlr) est adorable, c’est quelqu’un d’extérieur à ce monde et je n’étais pas prête à lui confier des choses. Le fait d’être seule m’apporte cette liberté. C’était aussi intéressant de raconter ce rapport de l’Africain au mystique qui me fascine. Il y a quelque chose d’universel dans cette peur du lendemain, ce besoin d’être rassuré en permanence.

Avez-vous fait appel à la magie du marabout Filélikéla pour tes compétitions de boxe ?

Aya Cissoko : Non… Je m’entraîne depuis l’âge de 8 ans et j’étais déjà très douée avant de le connaître. Même la science des marabouts ne marche pas toujours (rires). J’ai toujours été très active, je n’ai jamais attendu que les choses me tombent du ciel. C’est ma mère qui me l’a appris. Elle disait : « Si tu crois que quelqu’un va te donner, il faut rester assis. » D’ailleurs, la morale de l’histoire, c’est que si ma mère s’était dit « Je suis avec un marabout qui brasse de l’argent, j’arrête de travailler », la honte l’aurait rattrapée. Quand il meurt, elle se rend compte qu’il n’a pas toujours été honnête.

Après la boxe, Sciences Po et les livres, quelle est votre prochaine ambition ?

Aya Cissoko : Je travaille sur un documentaire qui s’appellera Le Passeur. Je n’en dis pas plus ! (rires)

Aya Cissoko, N'ba, Calmann-Levy, mars 2016, 272 p., 17 €.