Points de vue

732 : Charles Martel arrête les Arabes à moitié

Par Seyfeddine Ben Mansour

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Mercredi 19 Décembre 2012 à 00:00



A l’appel de plusieurs partis de gauche, environ 150 à 200 personnes ont défilé jeudi 25 octobre à Poitiers « contre la xénophobie ». La manifestation entendait répondre à l’occupation, samedi 20 octobre, de la future grande mosquée de la ville par environ 70 militants du groupe d’extrême droite Génération identitaire, qui avaient notamment hissé une banderole arborant la date de 732, en référence à la victoire de Charles Martel. Quatre de ces militants ont été mis en examen, notamment pour incitation à la haine.

La bataille de Poitiers se prête certes d’autant mieux à l’exploitation idéologique que son statut est hybride : à mi-chemin entre le fait historique et le mythe fondateur. Emblématique, la formule 732 : Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers est censée représenter la victoire sans appel de la chrétienté et de cette nation en germe qui, plus tard, sera appelée France.

La réalité historique, est, quant à elle, infiniment plus complexe. D’une part, la colonisation du midi de la France par les Arabes a précédé et suivi la bataille de Poitiers : de la prise de Narbonne en 719 à la destruction en 975 de l’enclave arabe du Fraissinet, elle s’étale sur plus de deux siècles.

D’autre part, il est douteux que les Arabes aient jamais eu le projet de s’implanter dans des régions pour eux aussi septentrionales : la bataille de Poitiers était à l’origine un raid mené par ‘Abd ar-Rahman, gouverneur en chef de l’Andalousie, et destiné à piller la région ; non à la coloniser. On sait du reste que Charles Martel avait laissé à dessein les armées arabes s’alourdir de butin à mesure de leur progression depuis Pampelune au sud, afin de tirer parti de ce handicap de manière décisive une fois parvenus aux environs de Tours.

La norme dans la stratégie coloniale arabe était en effet d’éviter les exactions, pour, au contraire, se concilier les populations soumises, notamment au travers d’une politique de tolérance. C’était notamment le cas de la province d’Arbouna (Narbonne), dernière des six provinces arabes dépendant de Cordoue. A sa tête, en 734, le gouverneur Yusuf Ibn ‘Abd ar-Rahman conclura un traité avec le duc de Provence aux termes duquel le premier occupera un certain nombre de places fortes dans la vallée du Rhône afin de protéger la Provence… des attaques de Charles Martel.

L’héritage arabe des villes françaises

La province, qui correspond grosso modo à l’actuel Languedoc-Roussillon, comprend notamment, outre sa capitale, Arbouna (Narbonne), les villes d’Ajda (Agde), Bazyih (Béziers), Nima (Nîmes), Majlouna (Castelsarrasin) et Qarqachouna (Carcassonne).

La division administrative arabe disparaîtra en 759, tout comme disparaîtra en 975 le micro-Etat de Farakhchinit (Fraissinet), fondé en 891 dans le golfe de Saint-Tropez et qui étendra son influence jusqu’aux Alpes et au Piémont.

Néanmoins, il s’en faut que la disparition de ces structures politiques coloniales n’ait entraîné celle des musulmans du midi de la France. Les traditions orales sont riches en attestations de la souche arabe de nombre de populations locales, jusque dans les Alpes et le Jura. « Nous […] avons vu ces familles au teint brun, aux coutumes bizarres, au nom sans contredit oriental, et qui se disent elles-mêmes arabes […] », souligne ainsi l’historien A. Vingtrinier en 1862.

Parmi les stèles funéraires datant des XIe et XIIe siècles, découvertes dans l’Hérault et à Montpellier, celle d’un juriste (faqih), preuve de l’existence à cette époque tardive d’une communauté structurée. Enfin, la toponymie est par endroits, clairement arabe : ainsi la Moïe (miyah, « eaux »), petit torrent dans la Drôme, Almanarre, quartier d’Hyères où se dressait autrefois un phare (manar), ou encore, non loin de là, le village de Ramatuelle, de l’arabe rahmat Allah, « divine miséricorde ».