Éditorial

13-Novembre, le temps de la justice

Rédigé par | Samedi 18 Septembre 2021 à 10:25

Par un hasard de calendrier, les commémorations des attentats du 11 septembre 2001 ont coïncidé avec le début du procès hors norme des attentats du 13 novembre 2015 perpétrés à Paris. Deux traumatismes provoqués par la même idéologie mortifère, à savoir le jihadisme, mais qui font appel à deux visions différentes pour répandre la justice.



Les images du départ chaotique des Américains laissant en août Kaboul et l’Afghanistan aux mains des Talibans en dit long sur le bilan des 20 années de lutte contre le terrorisme islamiste engagées au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Un échec cuisant pour la plupart des observateurs internationaux.

Si aucun attentat de l’ampleur du World Trade Center n'a été reproduit sur le sol états-unien - un fusil à un seul coup selon des experts -, force est de constater que le nombre d’attentats attribués au jihadisme n’a cessé d’augmenter depuis. La forte hausse des partisans acquise à la cause des attentats est aussi observée. De quelques centaines de combattants dans les rangs d'Al-Qaïda en 2001, ils sont maintenant plusieurs centaines de milliers d’individus à investir le jihadisme mondial, nourris par la rancœur des invasions successives de pays musulmans.

Parmi les recrues, on trouve depuis les attentats de Londres en 2005 (sans mentionner le cas de Khaled Kelkal, impliqué dans l'attentat à la gare Saint-Michel en 1995) des jeunes gens nés et/ou socialisés en Occident qui se retournent contre leurs propres pays. Bien sûr, nous ne sommes pas au plus fort de la tempête comme ce fut le cas en 2015, au point culminant de Daech. Mais la dernière attaque de l’EI narguant les militaires américains et faisant une centaine de morts à Kaboul fin août prouve que la menace est toujours présente. Si les profils et les modes d’actions changent, le terrorisme islamiste s’inscrit, lui, dans le temps long en mettant au défi l’État de droit de nos sociétés.

Effet « kiss-cool »

Chaque attentat islamiste coche à deux objectifs simultanés tel le fameux effet « kiss-cool ». Outre le fait de semer l’effroi auprès des populations conformément à la nature intrinsèque du terrorisme, le but est aussi et surtout de prendre en défaut nos systèmes démocratiques en les conduisant à renier leurs valeurs. La suspicion généralisée, la production de lois et de tribunaux d’exception sont des dommages qui font partie intégrante de leur stratégie. Le second effet serait donc une sorte de pousse à la faute qui soutiendrait l’idée que notre système démocratique n’est pas si vertueux qu’il n'y parait.

Les jihadistes, comme cela a déjà été dit plusieurs fois, ont tout intérêt à mettre nos sociétés sous tension en dressant les populations les unes contre les autres. Les attentats dans les pays occidentaux ont aussi pour conséquence négative de diffuser des formes de suspicion et de crainte à l’égard de concitoyens identifiés comme musulmans, alimentant ainsi un racisme spécifique.

Ces sentiments de frustrations et de double peine sont à chaque fois habilement exploités par les propagandistes dans le recrutement de nouveaux partisans à la cause djihadiste.

C’est dans ce sens que la réponse va-t-en-guerre de Bush au Moyen-Orient après les attaques d’Al-Qaïda sur le sol américain et son incapacité à traduire, 20 ans après, les principaux inculpés devant un tribunal digne des standards de justice d’un État démocratique constituent de graves erreurs qui profitent aux jihadistes.

La justice comme ultime réponse aux djihadistes

En France, six ans après la soirée d'horreur du 13 novembre 2015, c’est une autre approche qui nous guide. Celle de la justice encadrée par notre État de droit. Face à ces trois insupportables heures de déchaînement de violences barbares ayant provoqué 131 morts et des centaines de blessés, nous répondons par neuf mois d'un procès minutieusement préparé dans lequel seront jugés 20 accusés. Un procès hors norme donc par sa charge émotionnelle, le nombre de protagonistes impliqués (environ 1 800 parties civiles, 300 témoins, plus de 330 avocats…), le défi posé par la sécurisation des lieux, le tout sur les traces d'un autre procès historique clos quelques mois plus tôt, celui des attentats de Paris en janvier 2015.

Le président de la Cour d’assise spéciale, Jean Louis Périès, aura lui-même ces mots : « Ce procès est qualifié d’historique et de hors norme… », tout en prenant soin de préciser que « l’essence même du procès criminel, c’est le respect de la norme, de l’application de la procédure pénale et le respect des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense. »

Ce procès représente une étape importante dans le processus de résilience des victimes directes mais aussi pour la communauté nationale. La captation vidéo entière du procès constituera un matériau d’importance pour la postérité. Une leçon pour les prochaines générations que le respect de l'Etat de droit doit demeurer notre boussole.

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