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Société

Virginie Martin : « Dans les médias, on parle à la place des femmes voilées »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 16 Juin 2014 à 10:45

           

« Je suis de plus en plus féministe », lance Virginie Martin, samedi 7 juin. La présidente du laboratoire politique Think Tank Different était l’une des huit ambassadrices de la 1ère édition du W(e) Talk ! organisée à Paris. Ce jour là, huit femmes aux parcours singuliers ont été mises à l’honneur. La politologue n’a pas hésité une seconde à participer à un événement célébrant la réussite de femmes plurielles. C'était tout naturel pour la docteure en sciences politiques qui travaille sur la « déconstruction des représentations hégémoniques » et milite pour un « féminisme pluriel ». Saphirnews a voulu en savoir plus. Entretien.



Virginie Martin, présidente du Think Tank Different.
Virginie Martin, présidente du Think Tank Different.

Saphirnews : Votre féminisme pluriel permet d’intégrer les femmes voilées, une nécessité visiblement...

Virginie Martin : Dans le féminisme laïc traditionnel, la femme voilée est rejetée et dans les milieux patriarcaux, hyper classiques, en tant que femme, forcément car le patriarcat se dit supérieur aux femmes. On travaille à une sorte d’universel des différences. Les différences ont le droit de s’exprimer dans une sorte d’universalité des différences mais pas un universel surplombant, dominant, hégémonique qui te dit « Tu te blanchis » selon l’expression de l’historien Pascal Blanchard et « Ne fais plus voir ta différence ».

Aujourd’hui, la différence entre assimilation et intégration ne peut plus se faire. On est dans l’intégration-assimilation. C’est aussi une lutte globale de tous les jours contre les stéréotypes en tout genre. En tant que femme, on me donne une injonction à être cohérente par rapport à mon sexe. Et si, par mon tempérament, je ne le suis pas, je suis exclue.

Virginie Martin : « Dans les médias, on parle à la place des femmes voilées »

Avec ce féminisme inclusif, n’avez-vous pas du mal à faire passer votre message, notamment dans la sphère médiatique ?

Virginie Martin : Moi, en tant qu’universitaire, j’ai le droit d’avoir les champs de recherche qui m’interpelle. Avec Pierre Lénel (vice-président du Think Tank Different, ndlr), on a écrit sur le féminisme post-colonial (La contribution des études post-coloniales et des féminismes du "Sud" à la constitution d’un féminisme renouvelé, Revue Tiers Monde, 2012) en disant - à partir des travaux de Christine Delphy, de Nacira Guénif ou d’Eric Fassin - quel est ce féminisme qui s’impose à tous les féminismes du monde. Comme s’il n’y avait qu’un féminisme et qu’une façon d’être féministe.

Le féminisme, c’est une simple égalité des droits et d’exercice des droits entre les hommes et les femmes. C’est faire que les dominations masculines soient moins fortes et nous permettent de respirer normalement. Ce n’est pas plus que cela pour moi, le féminisme. C’est un droit de base.

Quand on voit le viol comme arme de guerre, les violences ou encore les inégalités salariales, on constate que les dominations masculines sont encore fortement là. Quand je parle de féminisme, elle n'est pas dogmatique. Il y a des féminismes pluriels et ils vont s’exercer de manière différente parce qu’ils sont situés différemment. Je ne fais pas de relativisme.

Ce qui m’insupporte, c’est qu’en France, dans les médias, on parle à la place des femmes voilées. C’est incroyable. Je ne comprends toujours pas. On décide ex-nihilo que la femme voilée a forcément derrière elle une figure tutélaire masculine, dominatrice, méchante qui l’oblige à (porter le voile, ndlr). Comme si elle n’était pas actrice d’un certain nombre de choix. Evidemment, on intègre tous des dominations. Même dans le monde du féminisme dit occidental. On est tous - plus ou moins - le fruit de nos structures, de nos dominations, de nos émancipations. C’est un faux sujet philosophiquement. J’ai intégré des dominations masculines. J’ai aussi intégré des émancipations personnelles. Comme tout le monde. Moi aussi, je subis des dominations, même si je ne suis pas voilée. Tout ce système est très hypocrite.

On voit bien aussi qu’il y a plein de féminismes notamment islamiques qui existent largement et prennent des contours là encore différents. Ils peuvent être en terre d’islam ou ailleurs. Si, en terre d’islam, il peut y avoir un féminisme type d’Etat par exemple comme au Maroc, il peut y avoir des initiatives bien plus individualisées dans la péninsule (arabique) car il y a un esprit un peu plus américanisé comme à Dubaï. Cela ne veut pas dire que l’Occident et la République à la française puissent se permettre de condamner cela et dire que n’est pas du féminisme, qu’ils ne reconnaissent pas cela comme une tentative d’être traités de manière égalitaire et de plus en plus égalitaire. Le féminisme franco-français occidental très laïc a une espèce de « je sais tout » qui, moi, me perturbe car il reproduit de la domination là où il voudrait émanciper. Une femme ne va pas pouvoir, parce qu’elle est voilée, venir à certaines actions du 8 mars (la Journée internationale des droits des femmes, ndlr) parce que ça va choquer, déranger.

Pierre Lénel, vice-président du Think Thank Different.
Pierre Lénel, vice-président du Think Thank Different.

Mais comment expliquez-vous que le féminisme pluriel que vous portez soit si isolé ? Qu’argumentent les autres figures féministes pour refuser d’intégrer dans leur lutte des femmes voilées ?

Virginie Martin : Pour elles, le féminisme islamique est un oxymore. Il y a des pseudos intellectuels de gauche qui le disent très fortement. C’est une tradition de la gauche d’avoir tué les religions. Elle ne peut pas voir aujourd’hui des religions revenir avec des marqueurs visibles dans une société non transculturelle (dans le sens d’une hybridation des cultures). Dans cette France, la matrice, l’ADN politique, philosophique, institutionnelle, constitutionnelle est quasiment incompatible avec la pluralité puisqu’on dit que la République est une et indivisible.

Le processus absolu, c’est l’intégration. Soit « Enlèves les marqueurs de ce que tu es », « Tu n’es ni un homme, ni une femme mais un citoyen français », ou « Tu n’es pas catholique, musulman, juif, tu es un citoyen français ». On s’est crispé autour cette laïcité de 1905 au départ beaucoup plus ouverte. Pour dire au final, ni Dieu, ni maître car ce Dieu est par définition de soumission. Alors que dans beaucoup de situation de domination, il y a aussi des émancipations qui se donnent à voir.

On a beaucoup travaillé (dans le livre coécrit avec Pierre Lénel en préparation, ndlr) par exemple sur Sarah Attar, qui a couru le 800m aux Jeux Olympiques de Londres (en 2012, ndlr). Si cela était arrivé en France, comment la France aurait réagi alors que le comité olympique a dit « OK » ? On peut supposer qu’elle est en situation de relative domination venant d’Arabie Saoudite mais en même temps, elle coure dans un monde occidental vu par des milliards de gens. Elle est en pleine émancipation à venir, (mais pas pour) les féministes françaises complètement laïcisées. Chaque fois que l’on parle de multiculturalisme dans ce pays, on dit tout de suite communautarisme, c’est la réponse qu’on agite. En France, cette fille n’aurait peut être pas pu courir. Il y aurait peut être eu des manifestations autour du stade pour qu’elle ne coure pas alors que sa course était un symbole magnifique.

Pour Pierre Lénel, présent lors de cet entretien, le changement vers une conception de la laïcité plus proche de l'esprit de 1905 ne pourra pas se faire sans le monde politique. « Jean Baubérot reconnu internationalement développe une laïcité ouverte. (...) Mais la question, c’est comment faire advenir cette conception qui paraît plus proche de 1905 au niveau du politique et des acteurs politiques », indique le vice-président du Think Tank Different. Pour l’heure, avec des réseaux et des pressions très fortes, le débat reste impossible, note-t-il, mais il ne faut « jamais lâcher ».






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