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Points de vue

Une Syrie au milieu des tensions

Rédigé par Marc Endeweld | Mercredi 4 Décembre 2013 à 00:00

           

Autour du pays en guerre, les enjeux géopolitiques et énergétiques se superposent, rendant le jeu d’alliances entre États de plus en plus mouvant. Un bourbier explosif.



Une Syrie au milieu des tensions
La Syrie est une mosaïque de communautés. On trouve des Arabes sunnites pour environ 65 % de la population. Mais également des Kurdes sunnites (15 %), dont la ­grande majorité se considèrent comme Kurdes avant d’être sunnites. Les Turkmènes représentent 1 % de la population, et les Arméniens 2 %.

Côté minorités confes­sionnelles, on compte des alaoui­tes (10 %), des chiites duodécimains (1 %), des ismaéliens (1 %), des druzes (3 %) et des chrétiens, dont les Arméniens. La région côtière est dominée par les alaouites, alors que les sunnites et les chrétiens sont surtout concentrés dans les villes. C'est dans ce cadre que se déroule depuis mars 2011 un mouvement de contestation qui peu à peu a pris la tournure d'une guerre civile.

Un Etat tampon

Si la situation militaire sur le terrain est extrêmement compliquée, elle se complique ­encore un peu plus lorsqu’on s’intéresse à l’échelon régional. La guerre civile syrienne prend alors à la fois un aspect de conflit régional entre mondes perse et arabe, entre sunnites et chiites, et elle semble être le jeu d’un face-à-face aux relents de Guerre froide entre États-Unis et ­Russie. De fait, la Syrie est devenue un État tampon où s’affrontent pro-Saoudiens et pro-Iraniens, avec en toile de fond l’opposition Russie–États-Unis.

Mais sur le « front » énergétique, d’autres acteurs régionaux apparaissent et démontrent que le jeu régional ne peut se résumer aux oppositions binaires. Bien sûr, la Syrie a peu d’hydrocarbures. Ceux-ci ne constituent donc pas un enjeu direct du conflit. En revanche, le transit d’hydrocarbures, notamment le gaz, peut être un objet ou un facteur aggravant de tensions régionales. La Russie souhaite en effet conserver son monopole sur le marché européen ; et la Turquie ambitionne de ­devenir un carrefour énergétique, avec ­Nabucco – projet de pipeline ­européen sur son territoire – et le gaz du Moyen-Orient.

Dans ce jeu à plusieurs bandes, la position géographique de la Syrie est par conséquent stratégique. Le Qatar, qui se partage avec son grand voisin iranien l’un des plus grands champs gaziers du monde dans le golfe Persique, vit sous la menace, brandie par l’Iran, de la fermeture du détroit d’Ormuz, par lequel transitent les méthaniers qataris.

L'aide du Qatar

D’où, en 2009, le rapprochement entre Doha et Damas au sujet d’un projet de gazoduc terrestre allant du golfe Persique jusqu’en Turquie, en passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Syrie. Mais, deux ans plus tard, la Syrie préfère signer la construction d’un pipeline avec l’Iran et l’Irak, qui sera relié au South Stream, le gazoduc russe.

Voilà qui expliquerait l’aide ­importante que le Qatar apporte aux rebelles – The  Financial Times a évoqué le chiffre de 3 milliards de dollars ! Dans cette analyse, l’implication du Qatar dans le conflit syrien serait donc autant due à des motivations économiques qu’à une stratégie géopolitique contre l’Iran. D’autres experts estiment, eux, que l’exportation du gaz par bateau ne pose pas vraiment de problèmes pour le Qatar, et que le projet de gazoduc est un enjeu très secondaire pour le petit émirat.

Les ambitions turques

Autre acteur régional d’importance : la Turquie. Depuis la découverte, fin 2010, d’un supergisement de gaz et de ­pétrole au large des côtes d’Israël, du Liban et de Chypre, la Turquie ne cesse de manifester ses ambitions régionales, notamment sur le dossier énergétique. L’US Geological Survey (USGS) a estimé que l’ensemble de ce nouveau bassin – dénommé « Léviathan » par les Israéliens ! – contient 1,7 milliard de barils de pétrole récupérable, et 700 milliards de mètres cubes de gaz récupérable.

Depuis cette découverte, la Turquie, dirigée par l’islamo-conservateur Recep Erdogan, a développé un discours belliqueux – source de tensions avec Israël – illustrant la volonté nouvelle d’Ankara d’étendre son influence sur un périmètre jadis administré par l’Empire ottoman. Le président turc a ainsi rappelé que la présence turque « dans ces eaux à travers l’histoire » justifiait « son droit de contrôler les eaux territoriales dans l’est de la Méditerranée ». L’ambition turque de s’affirmer comme une puissance régionale infléchit une diplomatie qui, jusqu’alors, visait surtout le « zéro problème » avec ses voisins.

Une Syrie au milieu des tensions

Les intérêts russes

Ce changement, peu perçu par les médias occidentaux, explique la nervosité de Moscou sur le dossier syrien. Au-delà des rivalités diplomatiques avec les États-Unis, la Russie est déterminée à rivaliser avec les ambitions turques.

D’un côté, la Turquie, pauvre en ressour­ces énergétiques, veut restaurer son influence historique sur le Moyen-Orient et en Asie centrale en devenant un nœud énergétique entre l’Est et l’Ouest. De l’autre, le président russe veut redonner à la Russie la place qu’elle occupait dans la région jusqu’à la fin de la Guerre froide. Russie et Turquie se retrouvent sur des flancs opposés : Moscou soutient le régime de Damas, allié de longue date, Ankara appuie les rebelles.

Le désintérêt géostratégique des Américains pour la région complexifie l’analyse. Loin de l’ère Bush et de la ­guerre en Irak, les États-Unis d’Obama se sont peu à peu désengagés de l’Europe et du Moyen-Orient pour s’intéresser à la sphère Asie-Pacifique et à ses perspectives de croissance.

Pour les États-Unis, qui devraient atteindre leur indépendance énergétique à l’horizon 2017 grâce à l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste, l’alliance historique avec l’Arabie saoudite, autre pays qui ­finance les rebelles, perd de sa pertinence.

Déjà, le dossier égyptien a montré les divergences des deux alliés. Les Américains soutenaient le président Morsi, alors que les Saoudiens ont largement soutenu financièrement son opposition. Et certains d’évoquer la possibilité d’un renversement des alliances dans la région, les Américains semblant vouloir normaliser leurs relations avec l’Iran.

Une diplomatie de fier-à-bras, la France à contre-pied

L’heure n’est donc plus à « punir » Bachar al-Assad, selon le terme martial de François Hollande. En proposant que la Syrie remette, sous une forme à définir à l’heure où nous écrivons, son arsenal chimique entre les mains de la communauté internationale, Moscou a rebattu les cartes. Et au grand jeu de poker auquel nous avons assisté, la diplomatie française s’est retrouvée dans une position fragile.

Bien sûr, pour se réconforter, François ­Hollande et ses diplomates rappellent que, sans la menace militaire franco-­américaine, jamais la Russie n’aurait pris une telle initiative. Il n’empêche. Dans ce jeu diplomatique de fiers-à-bras, la France a été prise à contre-pied. Depuis le conflit armé au Mali, François Hollande ne cesse d’évoquer « la guerre contre le terrorisme », sans grandes nuances, réactivant le discours néo-conservateur américain qui a connu son apogée sous le règne de George W. Bush, et qui met en scène une « guerre des civilisations », entre un « Occident » et l’islam. De fait, François Hollande donne l’impression de ne pas avoir pris en compte le changement de stratégie de son allié américain dans cette partie du globe.

Première parution de l'article le 4 octobre 2013 dans Témoignage chrétien.

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