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Points de vue

Mumia Abu Jamal, une vie de résistance

Rédigé par Mireille Fanon Mendès-France | Mardi 29 Avril 2014 à 10:49

           


Une campagne de libération pour Mumia Abu Jamal lancée
Une campagne de libération pour Mumia Abu Jamal lancée
Le 24 avril, Mumia a eu 60 ans. Bon anniversaire Mumia !

Ce qui est pour nombre de personnes l’occasion de réunir famille et amis se concrétise pour Mumia par l’inévitable constat que, pour la 31e fois, son anniversaire va se dérouler dans la ville de Frackville, à quelque deux heures de New York.

« Abu Jamal ne sera plus condamné à mort, mais il restera derrière les barreaux pour le restant de ses jours, et c’est là qu’il doit être ». Depuis cette décision du procureur Seth Williams prise en décembre 2011, il est, pour l’heure, condamné à finir sa vie dans le centre pénitencier de Mahanoy.

Pourtant, Mumia Abu Jamal n’a jamais cessé de proclamer son innocence mais aussi de dénoncer la dissimulation de preuves qui, si elle n’avait pas eu lieu, auraient permis de l’innocenter ; les procédures plus que douteuses entourant son procès, qui n’ont pas permis le droit à « due process of law » (selon le 5e amendement de la Constitution américaine), allant de l’éviction de l’ensemble des jurés afro-américains jusqu’aux propos ouvertement racistes du juge Sabo qui, lors du premier procès de Mumia, avait, sans que cela lui soit reproché, affirmé « Je vais les aider à griller ce nègre » ; le rôle des médias et en premier lieu du Philadelhia Inquirer qui, constamment, a été le relais et le porte-voix de l’Ordre fraternel de la Police, organisation proche de l’extrême droite raciste. Le policier, que Mumia est supposé avoir assassiné alors que la balle qui l’a tué ne venait pas de son revolver, était membre de l’OFP.

Un cas emblématique aux Etats-Unis

32 ans après cette condamnation obtenue au détriment des amendements 5 et 14 de la Constitution des Etats-Unis, Mumia Abu Jamal reste un cas emblématique pour la société américaine. Il y a des hommes et des femmes qui le soutiennent et clament son innocence depuis le premier jour de son arrestation. Une mobilisation constante qui a réussi à assumer les frais exorbitants des différents avocats qui, pour certains, se sont contentés de seulement le représenter, sans faire valoir ses droits fondamentaux et pour d’autres qui l’ont défendu ou tenté de le défendre et ont dû faire face à une justice partiale qui s’est toujours retranchée devant des arguments juridiques spécieux.

Auprès des avocats, les mêmes soutiens construisent des campagnes pour faire entendre et reconnaître l’innocence de Mumia. La dernière d’entre elles « Bring Mumia home » (1) mobilise de jeunes étudiants, des universitaires et des enseignants au plan international pour faire reconnaître les droits civils de Mumia mais aussi plus largement pour dénoncer l’incarcération massive d’Afro américains – la moitié de la population carcérale est afro-américaine ; 70% des jeunes emprisonnés sont d’origine africaine- à la suite de procès le plus souvent entachés de vices de procédure et pour lesquels les jugements ne cessent de montrer que la justice fonctionne selon la loi du « deux poids, deux mesures ».

Ainsi des cas de Trayvon Martin et de Marissa Alexander. Le meurtrier du jeune Trayvon, George Zimmerman, d’origine hispanique, a utilisé le « stand your ground » (2) et a été acquitté. La même procureure a ensuite infligé 60 années d’emprisonnement à Marissa Alexander, Afro-américaine, qui avait tiré sur le mur pour effrayer son mari qui ne cessait de la violenter. Elle avait elle aussi, à l’instar de Zimmerman, utilisé le même argument « stand your ground ».

Trayvon Martin
Trayvon Martin

Un homme à abattre par tous les moyens

Face à une justice sur laquelle pèse le poids de la traite négrière, de la mise en esclavage et du colonialisme, face à une justice qui n’en a pas encore fini avec une histoire non partagée et encore moins assumée, il faut bien reconnaître que ce sont les lignes raciales qui dictent les verdicts et établissent le nombre d’années à passer en prison.

A cette ligne raciale s’ajoute, en ce qui concerne certaines personnes, dont Mumia Abu Jamal, la peur qu’elles suscitent par leur capacité à traquer les mensonges, à dévoiler les grands arrangements entre puissants du capital et dénoncer ce que le système contient en lui de colonialité du pouvoir.

Mumia n’a jamais cessé de combattre, dès son premier engagement, la domination qui soumet des millions d’hommes et de femmes sous aliénation sociale, économique, politique en les appauvrissant, les marginalisant et les excluant, ce qui peut se constater aussi bien au plan individuel qu’au plan institutionnel, via la mise en place de redistribution de ressources matérielles et symboliques selon les lignes raciales.

En cela, il dérange le système et dès lors tous les moyens sont bons pour le contrer et le mettre hors d’état « de nuire ». Si pour l’Ordre fraternel de la police, Mumia Abu Jamal est devenu l’homme à abattre pour venger l’honneur de William Faulkner, pour le système il est devenu un homme à réduire au silence et pour ce faire, il met tout en place pour que du fond de sa prison, la représentation d’un Mumia terroriste soit construite. Il est alors mis en place des procédures pour le museler, l’encadrer et le contrôler encore plus, afin que sa voix, symbole de celles des sans voix, ne puisse plus s’entendre hors des murs de Mahanoy.

Certains vont même jusqu’à l’utiliser pour refuser la nomination de Debo P. Adegbile en tant que procureur général adjoint de la Division des droits civils au Département de la Justice, candidat proposé par Barack Obama. Il lui a été reproché d’avoir assumé la fonction de directeur du contentieux du Legal Defense fund de la NAACP qui représente Mumia depuis 2011 mais ce qui pèse le plus lourd dans cette campagne est le fait que Debo P. Adegbile fut l’un des juges qui a voté pour la transformation de la peine de mort en prison à vie. Une décision impardonnable !

L'oeuvre du racisme contre Abu Jamal

L’OFP, par une campagne raciste et violente à l’égard d’Adegbile - ce qui leur a permis de renforcer sa haine contre Mumia - conduite à coups de courriers, de lobby auprès des sénateurs républicains et démocrates, s’est dévoilé pour ce qu’il est, une organisation raciste qui, sous couvert de défendre le droit et l’honneur des policiers, est la vitrine d’une police agissant à coup de « racial profiling » favorisé par la mise en place du « stop and frisk ». A l’issue de cette bataille, le Sénat leur a donné raison par un vote de 52 contre et 47 pour.

Cette campagne visant à désigner Mumia pour cible et surtout pour seul responsable de la non-nomination de Debo P. Adegbile l’oblige à décupler ses forces pour résister à cette discrimination dominante et à cette inégalité institutionnalisée qui l’ont soumis à vivre en prison.

Il le fait par le biais d’émissions de radio régulières et par la publication de livres (3) visant à dénoncer ce qui constitue les éléments racialisants d’une société qui ne vise qu’à favoriser la permanence de ces lignes raciales ; il se bat aussi sur le plan juridique pour obtenir le droit à un recours efficace qui jusqu’à maintenant lui a été refusé ; ainsi des documents, des circonstances ou des faits pourraient être pris en considération et cela pourrait faire la différence. Les années d’isolement total passées dans le couloir de la mort sont autant de traitements inhumains et de violations graves de ses droits humains, dont le droit à la dignité humaine.

La torture ou les traitements inhumains et dégradants, interdits dans le droit coutumier, sont une norme de jus cogens et aucun Etat ne peut les pratiquer sans s’exposer à en répondre. Si la torture devient une pratique courante exercée par des agents publics, la responsabilité du gouvernement est engagée (4). Il faut noter que la Convention européenne des droits de l’Homme a assimilé le couloir de la mort (5) à un traitement inhumain et dégradant, répondant du régime de la torture.

Le combat de Mumia n’est pas terminé ; sa fin dépendra certainement de la volonté des Etats-Unis de réellement mettre fin à une répression raciale et politique mise en place à travers des abus délibérés au sein du système judiciaire.

(1) Campagne de libération de Mumia Abu Jamal Bring Home Mumia
(2) Une personne peut légitimement recourir à la force « en légitime défense » sans obligation de se retirer. Voir ici
(3) Entre autres, We want freedom, Mumia Abu-Jamal, Le Temps des Cerises (2006)
(4) TPIY, le 10 Décembre 1998, Furundzija
(5) Article 3 ; CEDH, Soering c/ Royaume Uni

Mireille Fanon Mendès-France est experte du groupe de travail sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, Elle est aussi la présidente de la Fondation Frantz-Fanon.





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