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Société

Marche pour la justice et la dignité : la résistance des familles contre l'impunité policière

Rédigé par | Lundi 20 Mars 2017 à 17:15

           

Halte à l'impunité de la police ! C'est derrière cette bannière que de nombreuses familles de victimes de violences policières, soutenues par des associations antiracistes et des mouvements politiques de gauche, ont manifesté dimanche 19 mars à Paris. A un mois de l’élection présidentielle, et après les affaires Adama Traoré et Théo Luhaka qui ont ébranlé les quartiers populaires, l’événement a revêtu un intérêt des plus importants pour faire connaître auprès du plus grand nombre les drames engendrés par les dérives des forces de l’ordre.



En tête de cortège de la Marche pour la justice et la dignité organisée à Paris dimanche 19 mars, les familles de victimes de violences policières étaient présentes pour dénoncer l'impunité.
En tête de cortège de la Marche pour la justice et la dignité organisée à Paris dimanche 19 mars, les familles de victimes de violences policières étaient présentes pour dénoncer l'impunité.
« Police partout, justice nulle part » et « Pas de justice, pas de paix » furent parmi les slogans les plus courus de la Marche pour la justice et la dignité, organisée avec succès dimanche 19 mars. Celle-ci a rassemblé plusieurs milliers de personnes (7 500 selon la préfecture de police, plus de 10 000 selon les organisateurs) entre les places de la Nation et de la République, 18 mois après une première manifestation similaire en plein cœur de la capitale.

De nombreuses familles de victimes de violences policières figuraient en tête du cortège - à l'exception notable de la famille Traoré, qui n'a pas souhaité s'associer à l'initiative - pour dire « stop à l’impunité policière », à l'instar d'Amal Bentounsi, la sœur d’Amine Bentounsi, tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012. « Aujourd’hui, c’est nous qui avons perdu un être cher mais demain, cela peut-être vous », lance-t-elle au départ de la marche.

Hawa Gueye, soeur de Babacar Gueye, tué en décembre 2015 à Rennes.
Hawa Gueye, soeur de Babacar Gueye, tué en décembre 2015 à Rennes.

« On demande à la justice de faire son travail »

Hawa Gueye est la sœur de Babacar Gueye, un jeune Sénégalais mort entre les mains de la police à Rennes le 3 décembre 2015. « Il était chez un ami sénégalais, quand il a été pris d’une crise d’angoisse. Les secours sont venus mais Babacar dans sa crise a pris un couteau de cuisine pour s’auto-mutiler », nous raconte Hawa Gueye, qui hébergeait Babacar depuis un an au moment des faits. Les agents de police dépêchés alors ont essayé de le maîtriser à coup de taser, sans succès. L’immigré sénégalais est mort en prenant cinq balles.

Selon les analyses médicales, le jeune homme n’avait pas consommé d’alcool ni psychotrope mais elle Hawa déclare toujours attendre un rapport d'autopsie. Les policiers ont porté plainte contre Babacar Gueye pour tentative de meurtre et ont ainsi invoqué la légitime défense. « Je suis le seul membre de sa famille en France, mais je ne suis pas toute seule car beaucoup de gens sont autour de moi pour m’aider. On doit continuer à se battre car tout ça n’est pas normal », déclare-t-elle, la voix chevrotante et pleine d’émotion.

« Voir autant de monde, ça réconforte. Etre aux côtés d’autres familles fait qu’on se sent moins seuls. Il faut éveiller les consciences et qu’on n’arrête de croire que ce sont des cas isolés », explique Lassana Dieng, dont le frère Lamine Dieng est mort étouffé à 25 ans dans un fourgon de police en 2007. « C’est un combat qu’on mène depuis dix ans et malgré ça, on n’a pas réussi à faire notre deuil. Le juge a relaxé les policiers et on a fait appel. On a l’impression que lorsque les affaires ne sont pas médiatisées, on n’est pas pris au sérieux », raconte-t-il avec amertume.

« On demande à la justice de faire son travail et d'incriminer les policiers en question. Une contre-autopsie nous a permis de savoir que Lamine a été étouffé pendant l’interpellation », ajoute Lassana Dieng. Le drame de son frère a par ailleurs beaucoup de similitudes avec l’affaire Adama Traoré, dont la mort pourrait être liée aux techniques d’interventions des forces de l’ordre qui ont coupé la respiration des deux jeunes hommes.

« La violence de l’Etat, la partie visible de toutes les violences structurelles de notre société »

Farid El Yamni, frère de Wissam El Yamni, mort le 1er janvier 2012 à Clermont-Ferrand, dénonce la violence d’une société qui laisse faire. Son frère a été interpellé par la police mais est ressorti du commissariat en état comatique. Il est décédé neuf jours plus tard. « Cinq ans après, nous n’avons toujours pas la vérité médicale, on nous balade complètement comme c’est le cas dans toutes les affaires de violences policières. Puisqu’il n’y a pas de justice, il n’y a pas de paix. La seule chose qui nous reste, c’est résister, marcher, dire avec nos membres et notre parole que ce n’est pas normal ce que l’on vit », explique-t-il. « La violence de l’Etat est la partie visible de toutes les violences structurelles de notre société », déplore Farid El Yamni, qui a participé à l’écriture de l’appel de la marche.

Parmi les familles de victimes, il y a aussi celles qui déplorent des grandes blessures. C’est le cas de Christian Tidjani, le père de Geoffrey Tidjani qui a perdu un œil lors d’une manifestation contre la réforme des retraites en 2010. Le policier a été condamné à un an de prison avec sursis, un an d’interdiction d’exercer et deux ans d’interdiction de port d’arme. Mais jugeant la peine trop lourde, il a fait appel et a même été promu dans la hiérarchie. De quoi révolter la famille et ses soutiens.

Vers un Observatoire national des violences policières ?

Christian Tidjani, est à l’origine de la création de l’Assemblée des blessés, des familles, des collectifs, contre les violences policières, collectif fondé en novembre 2014 après la mort de Rémi Fraysse lors d'une manifestation contre le barrage de Sivens. « Nous cherchons à créer la convergence entre les familles de blessés car nous avons les mêmes problématiques : criminalisation de la famille, les non-lieux, relaxes, des procès à rallonge. Il faut savoir qu’en moyenne, une affaire de violences policières faut attendre dix ans en France », espère-t-il.

Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, espère quant à elle grâce à cette manifestation impulser la création d’un Observatoire national des violences policières, une plateforme qui va cartographier les cas de morts, de blessés et de contrôles au faciès, dans le but de mettre en commun le travail des différents collectifs engagés sur la question et qui, pour la plupart, travaillent déjà en réseau depuis plusieurs années.






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