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Points de vue

Les musulmans pris entre deux feux

Rédigé par Aziz Oguz et Marc Cheb Sun | Jeudi 19 Novembre 2015 à 08:30

           


Les musulmans pris entre deux feux
Une nouvelle attaque terroriste commise au « nom de l’islam ». Depuis le 11 septembre 2001, en Occident ou en Orient, ces attentats ensanglantent le monde. Et ils éclaboussent tous les musulmans. En France comme ailleurs, les citoyens musulmans sont pris entre deux feux : une tentative de rapt de leur foi par les terroristes, d’une part ; une islamophobie décomplexée, d’autre part, qui cherche à instrumentaliser les déstabilisations.

Dans ce contexte de tension autour de la deuxième religion de France, D’ailleurs et d’ici choisit de mettre à l’honneur l’énergie musulmane, celle de tous ces citoyens qui puisent dans leur foi, parmi d’autres ressources, un fondement de leur engagement. Éducateurs, enseignants, entrepreneurs, artistes... Policiers aussi. « Des lâches, des barbares ! », nous disait Mohamed Douhane, commandant de police à Paris, dénonçant les tueurs de janvier. « Triplement endeuillé : en tant que Français, en tant que policier et en tant que musulman », il a parlé d’Ahmed Merabet, policier de confession musulmane dans le 11e arrondissement, abattu froidement par les frères Kouachi.

Sociologue, Elyamine Settoul démontre la part croissante de militaires issus de l’immigration dans l’institution militaire, qui a créé une aumônerie musulmane en 2006. Parmi les forces policières et militaires qui ont fait face aux terroristes ce week-end encore, il y a assurément des agents de confession musulmane qui ont mené leur travail à bien. Sans bruit, comme n’importe quel agent de l’État. Idem chez les médecins, les infirmiers, les pompiers et les secouristes. Les terroristes, eux, ont frappé une centaine d’innocents, de toutes origines, dans ce nord-est parisien métissé, jeune et populaire. Au stade de France aussi. Des lieux de mixité. Cette mixité que, précisément et plus que tout, ces criminels détestent.

Mais, voilà, ces terroristes ‒ et c’est leur intérêt ‒ jettent une suspicion, largement relayée par certains éditorialistes et politiques, sur cette grande masse de citoyens intégrés dans le tissu social, associatif, culturel, politique, entrepreneurial... Et fragilisent des débats légitimes dont les citoyens musulmans peuvent être porteurs. Dans Musulmans au quotidien, une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam, la sociologue franco-turque Nilüfer Göle montre à quel point ces musulmans ordinaires « ne voient pas de contradiction dans le fait (par exemple) de porter le foulard, de prier, de manger halal, de circoncire leurs enfants de sexe masculin, d’enterrer leurs proches dans un carré musulman et celui d’adhérer à la société française ».

Ce volume de D’ailleurs et d’ici donne la parole à cette majorité dite silencieuse, en fait non relayée. Comme Marième Tamata-Varin, Franco-Mauritanienne de 34 ans, maire de Yèbles, petit village de 900 âmes dans l’Est francilien. Elle vit en parfaite harmonie sa foi et son engagement républicain. Sa priorité numéro un est l’agrandissement de l’école communale, vétuste et exiguë. Mais elle fustige les « tensions inutiles », par exemple autour du plat de substitution au porc. Le maire de Stains (93), Azzédine Taïbi, lui, se bat avant tout contre les politiques d’austérité que sa commune, l’une des plus pauvres de France, subit de plein fouet. Tout en soutenant la construction d’un lieu de culte musulman : « On a une église, une synagogue, il faut aussi une mosquée. »

Tous les musulmans rencontrés ressentent violemment les massacres commis au nom de leur religion. Pour eux, l’islam véhicule des valeurs de tolérance, de paix.

Les musulmans anglais ont largement affiché un « Not in my Name », totalement décomplexé. « Les Britanniques musulmans, leaders politiques en tête, n’ont pas à cacher leur religiosité, explique Samia Hathroubi, investie dans le dialogue interreligieux. Ils ont pu condamner les exactions terroristes avec leur référentiel religieux et identitaire. En revanche, en France, on est sommé de gommer nos différences. D’où le malaise : on demande quotidiennement aux citoyens de confession musulmane de n’être que Français et, tout à coup, on exige d’eux une expression à partir de leur identité religieuse. Cela explique les réticences. »

Certains ont le sentiment que l’on exige une réaction. Que s’ils ne réagissent pas publiquement, ils seront considérés comme étant complices des actes terroristes. « En 2011, le Norvégien Anders Behring Breivik se considérait comme un croisé de la chrétienté, il a tué 77 personnes. Je ne crois pas qu’un seul chrétien ait eu le sentiment de devoir se dissocier de cet acte », nous dit l’éditorialiste Rokhaya Diallo.

Le journaliste Ousmane Ndiaye pense, lui, qu’il est primordial de prendre position. « Réagir en tant que musulman, c’est aussi réagir en tant que républicain ! Ne pas le faire, sur injonction des extrémistes, ou de la bêtise islamophobe, c’est tomber dans un piège. Sortons de l’anonymat et faisons un pas vers l’autre pour dissiper les crispations et faire tomber, comme dirait Édouard Glissant, les "murs d’incompréhension". »

Ces débats sont riches, et chaque position est respectable : ils existent en dehors de toute sommation à s’exprimer. Mais doivent trouver davantage d’échos : aux médias d’en restituer l’expression. Car la société française a besoin d’en connaître l’intensité.

Les musulmans développent aussi un travail de réflexion sur leur vision de l’islam. C’est notamment le cas de toute une génération née majoritairement en France. Recteur de la mosquée de Lens, à 36 ans, Abdellah Arrid, est, parmi d’autres, un symbole de cette génération d’imams made in France. Il fustige ceux qui recherchent, dans les textes religieux, des postures et comportements figés, oubliant leur essence spirituelle. « Le Livre sacré n’est pas là pour dicter des fatwas (avis juridiques), dire ceci est halal (autorisé), ou haram (interdit). Il doit permettre de se ressourcer. » Pour lui, les musulmans de culture française doivent s’emparer des Textes avec leur vécu. Sans quoi, ils seront victimes de preneurs d’otages en tout genre, terroristes islamistes ou leaders d’opinion décrivant une violence « intrinsèque » à l’islam.

Ces citoyens musulmans sont partout... Des aumôniers s’investissent contre le radicalisme, des jeunes accompagnent d’autres jeunes dans des parcours de réussite, des enseignants éduquent contre toute forme de racisme, notamment antisémite ou islamophobe. Des artistes, de la prose à l’humour ou à l’image, font vibrer un public métissé. Des entrepreneurs inventent, y compris à partir de dynamiques communautaires, et participent ainsi à l’essor du pays.

Cette énergie de résistance aux instrumentalisations, cette énergie à transmettre, à penser, à créer cette énergie citoyenne, vivante, libre (tout ce que les fondamentalismes détestent), existe contre vents et marées.

Nous avons voulu nous en faire l’écho, comme « une richesse française », puisque c’est de la France dont nous parlons aujourd’hui. Car, plus que jamais, notre jeunesse a besoin de voir reconnaître sa force et sa détermination. Plus que jamais, notre pays a besoin de sa dynamique.

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Aziz Oguz, journaliste, a coordonné le chapitre sur l'énergie musulmane de l'ouvrage D’ailleurs et d’ici. Marc Cheb Sun, auteur, éditorialiste, a publié D’ailleurs et d’ici, l'affirmation d'une France plurielle (Éd. Philippe Rey, 2014) et D’ailleurs et d’ici, l'énergie musulmane et autres richesses françaises (Éd. Philippe Rey, 2015).





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