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Religions

Les acteurs religieux aux avant-postes pour défendre la liberté religieuse de tous

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 27 Mai 2014 à 06:00

           

Le ministère des Affaires étrangères et le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) organisaient, mercredi 21 mai, une journée d’études consacrée aux droits de l’homme et aux religions dans l’action extérieure de la France. Embrassant un sujet bien vaste, ce colloque témoignait aussi de la volonté du Quai d’Orsay de tenir mieux compte des acteurs religieux pour renforcer la diplomatie.



Salon de l'Horloge du Quay d'Orsay © Ministère des Affaires étrangères et européennes/Frédéric de La Mure.
Salon de l'Horloge du Quay d'Orsay © Ministère des Affaires étrangères et européennes/Frédéric de La Mure.
Diplomates, universitaires et religieux étaient réunis, mercredi 21 mai, autour du thème « Droits de l’homme et religions dans l’action extérieure de la France » au ministère des Affaires étrangères. Ce vaste sujet était abordé le temps d’une journée, organisée par Roland Dubertrand, conseiller pour les affaires religieuses, et le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère ainsi que le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE).

« Liberté d’expression et droits de l’homme » et « Les religions en première ligne pour la défense de la liberté religieuse : témoignages d’acteurs » avaient pour titres les deux derniers débats auxquels a pu assister Saphirnews, un des rares médias à avoir fait le déplacement. Dans la première table ronde, Daniel Vosgien, sous-directeur des droits de l’homme et des affaires humanitaires du Quai d'Orsay, est revenu sur les relations entretenues entre les Etats sur les questions de la liberté d’expression.

La « diffamation des religions », un concept en débat

« Depuis 10-15 ans, il y a un face-à-face entre, d’un côté, l’Union européenne, les Etats-Unis et le Canada et, de l’autre, les pays de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Entre la tradition chrétienne et la tradition islamique », a fait savoir ce dernier. Pour illustrer son propos, Daniel Vosgien est revenu sur une résolution des Nations unies émanant de l’OCI et visant à condamner la « diffamation des religions », née au lendemain des caricatures danoises du Prophète Muhammad en 2006. Bien que les pays occidentaux et le Japon se soient montrés hostiles à cette résolution qui suggérait, à leurs yeux, de pénaliser ces atteintes, la résolution a été adoptée car ils étaient minoritaires, raconte le diplomate.

Renouvelée quelques années de suite, elle a, depuis, été abandonnée au profit d’une autre décision « consensuelle » parlant d’« intolérance » et de « stéréotypes négatifs ». Il y a toujours un « risque que certains pays réintroduisent la "diffamation" », note M. Vosgien comme obstacle à la liberté d'expression. Globalement, le diplomate, sans apporter une définition officielle de l'islamophobie qui gagnerait à clarifier les discours, fait savoir que la France s'oppose au processus engagé depuis 2001 par l’OCI visant à « faire de l’atteinte à l’islam une forme de racisme ».

Le logo de l'OCI.
Le logo de l'OCI.

Les libertés des minorités de tous bords en question

Depuis l'Hexagone, cette position de la diplomatie française passe mal auprès de ceux qui y voient une forme de non reconnaissance de l'islamophobie dans le pays, matérialisée ces dernières années par des discours publics de haine à l'égard de l'islam toujours plus marqués et une hausse continue d'agressions qui appellent à être combattues de toutes les forces. D'ailleurs, des organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International n’ont de cesse d'alerter les pouvoirs publics de la montée de l’islamophobie en Europe. La demande de protection des religions se heurte alors au « problème de la sécularisation des organisations internationales », constate Olivier de Frouville, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas.

Dans cette confrontation de points de vue, gare à la tentation de cibler l’islam. Les organisateurs ont pourtant choisi de poursuivre la table ronde en traitant de la liberté religieuse dans les pays de culture islamique. Le tableau dressé par Naël Georges, docteur en droits de l’homme à l’université de Genève, est bien sombre. Ce dernier a présenté les nombreuses réticences émises par des pays arabo-musulmans lors de la rédaction de la Charte internationale des droits de l’homme. Les blocages de pays comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou encore l’Iran, au nom de leur « incompatibilité avec la charia », portent sur des articles concernant le droit de changer de religion ou, pour les femmes, de se marier avec un non-musulman. Dans ces Etats, les violations de la liberté religieuse s’illustrent par de la discrimination religieuse dans les Codes du statut personnel ou la peine capitale pour apostasie, comme c’est le cas en Arabie Saoudite, cite le chercheur syrien.

Ils sont le fruit d’« interprétations (isolées) de la loi musulmane » et ne sauraient refléter l’ensemble des positions de la communauté musulmane, prend-il toutefois soin de préciser. « Nous ne sommes pas dans un match », tempère, de plus, Guy Aurenche, président du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire), animateur de cette séance.

Si les atteintes aux libertés au nom de l’islam de certains pays ne peuvent qu’être condamnés, le refus de lutter contre l’islamophobie peut tout autant être déploré.

« Sauver l’islam des Etats totalitaires »

En outre, dans les relations internationales, le facteur religieux gagnerait à ne pas être l’objet de tous les fantasmes. Les religions jouent d’ailleurs un rôle clé pour la défense de la liberté religieuse pour tous. La dernière table ronde, riche en témoignages de plusieurs religieux, a pu le démontrer.

Confrontés à la réalité du terrain, ces hommes de foi restent lucides face aux défis à relever. Ainsi, Michel Dubost, évêque d'Évry et président du Conseil épiscopal pour les relations interreligieuses, trouve « indigne » tout « ce qui se dit sur l’islam dans la presse ». Il déplore également que la charte de la laïcité affichée dans les écoles « parle de liberté de conscience mais pas de liberté de culte ».

« Il y a tendance à sacraliser les conflits. Notre rôle est de les désacraliser. Ce ne sont souvent pas des problèmes religieux », ajoute-t-il. Jean-Arnold de Clermont, ancien président de la Fédération protestante et actuel membre de l’observatoire Pharos, chargé d'éclairer sur la diversité culturelle et religieuse dans le monde, juge également qu’il y a une « instrumentalisation du religieux » comme c’est le cas en Centrafrique sujette à une grave crise politique et humanitaire.

Dans un autre registre, Haïm Korsia, aumônier militaire en chef du culte israélite, a préféré louer le modèle français de l’aumônerie. Il a salué le fait que ce « modèle d’équité » met sur le même pied d’égalité les chefs aumôniers de différentes confessions, à l’inverse du modèle anglo-saxon où un seul aumônier chapeaute tout le groupe.

Tareq Oubrou, le recteur de la mosquée de Bordeaux a choisi, quant à lui, de montrer que « la dignité de l’être humain » garantissant la liberté religieuse est inscrite dans le Coran. Il faut « sauver l’islam des Etats totalitaires », a-t-il clamé. De la même manière, Alexandre Siniakov, à la tête d’un séminaire orthodoxe russe, a tenu à parler de l'implication sur ce sujet de l’Eglise orthodoxe, qui offre « le droit de confesser sa foi, de prier mais aussi de ne professer aucune religion ».

Laurent Fabius, au colloque « Religions et politique étrangère » en novembre 2013. © F.de La Mure/Mae.
Laurent Fabius, au colloque « Religions et politique étrangère » en novembre 2013. © F.de La Mure/Mae.

Le fait religieux, allié du Quai d’Orsay

Considérant que le fait religieux doit être considéré comme un allié, le Quai d’Orsay, par la voix de Roland Dubertrand, promeut « une démarche de mieux intégrer le facteur religieux à notre travail ». Le ministère s’inscrit ainsi dans « une plus grande ouverture vers les acteurs religieux ».

Un exemple concret ? Le soutien aux actions communes des trois responsables religieux de Bangui (Nicolas Guerekoyame-Gbangou, chef de l'Eglise protestante centrafricaine, Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui et chef de l'Eglise catholique, et l'imam Omar Kobine Layama, président de la Conférence islamique), nous répond-il. Nous estimons qu’« ils jouent un rôle clé dans la réconciliation », explique-t-il. Cette politique, initiée par la création d’un pôle Religions en 2009, s’illustre notamment par le soutien du ministère des Affaires étrangères à l’Interfaith Tour, un tour du monde mené par cinq jeunes engagés dans le dialogue interreligieux.

Dans une société française où la question des communautés reste taboue, le Quai d’Orsay réaffirme son attachement au fait religieux, quelques mois après le colloque « Religions et politique étrangère » tenu en novembre 2013 en présence de Laurent Fabius.





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