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Politique

Le Concordat s’invite dans la campagne

Rédigé par Philippe Clanché | Jeudi 16 Février 2012 à 11:32

           


Le Concordat s’invite dans la campagne
La question du régime des cultes en Alsace-Moselle revient dans le débat à l’occasion de la campagne présidentielle. Au grand dam des principaux intéressés.
Le candidat François Hollande n’est pas très au point en matière de religion. Dans son discours du Bourget le 22 janvier, il avait annoncé son intention d’inscrire les principes de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État dans la Constitution. Devant le tollé des élus locaux d’Alsace et de Moselle, il a rapidement précisé que le statut des trois départements ne serait pas remis en cause.

Finalement, la proposition 46 de son programme consiste à insérer à l’article premier de la Constitution l’alinéa : « La République assure la liberté de conscien­ce, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle. » D’un coup, le régime spécifique d’Alsace-Moselle que l’on croyait menacé se voit donc promis à être gravé dans le marbre de la Constitution, ce qu’aucun de ses défenseurs n’avait rêvé !

Un statut populaire

Annexées par l’Allemagne au moment de la fameuse loi de 1905, l’Alsace et la Moselle bénéficient d’un droit local particulier, dont l’aspect le plus connu concerne les cultes. Le catholique vit sous le régime du Concordat, accord signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801, promulgué le 18 germinal de l’an X (1802). Pour les deux Églises protestantes (luthérienne et réformée, aujourd’hui réunies) et pour les juifs, des accords de même nature existent. Enseignement religieux à l’école pu­blique, paiement des ministres du culte par l’État, cursus dans les universités publiques, aide des municipalités aux paroisses ou synagogues : il fait bon être religieux dans l’Est !

Ce statut, original par rapport au reste de la France, est très populaire localement. Les dernières enquêtes d’opinion indiquent que 90 % des citoyens le soutiennent. Pourtant, les lieux de culte ne sont guère plus fréquentés qu’ailleurs, et de nombreuses familles usent de la dispense de cours de religion. Si 75 % des enfants suivent ces enseignements en primaire, ils ne sont que la moitié des collégiens et… un dixième des lycéens.

Et les vocations de mi­nistres du culte ne sont pas plus nombreuses. « Sur 2 400 postes prévus au budget du ministère de l’Intérieur, seuls 1 393 sont occupés aujourd’hui », indique Francis Messner, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du droit des religions (1).

Exceptions historiques

Les traitements sont pourtant nettement supérieurs à ceux de leurs collègues de la France de l’intérieur. « Un évêque perçoit un traitement équivalent à celui d’un professeur d’université en début de carrière. Curés, pasteurs et rabbins touchent autant qu’un professeur certifié, sans amplitude de carrière. Ils sont logés gratuitement, ou à défaut reçoivent une indemnité. Certains laïcs occupent des postes vacants de vicaires et de desservants (protestants) », détaille le chercheur qui précise que le tableau indiciaire de ces « agents d’État » a été conçu durant le IIe Reich allemand et a été revu en 1919. On remarquera également qu’un archevêque est mieux payé qu’un grand rabbin ou qu’un président d’Église protestante.

La proposition de François Hollande a rencontré quel­ques supporters, qui regrettent que le candidat du PS n’aille pas plus loin. « Ces exceptions, dues à des circonstances historiques particulières, n’ont plus de raison d’être aujourd’hui et doivent donc disparaître même si pour cela, des négociations et des étapes peuvent s’avérer nécessaires, écrit par exemple, dans un communiqué, Jean Riedinger, animateur de l’Obser­vatoire chrétien de la laïcité (2). C’est la loi de 1905 qui doit devenir la loi de l’ensemble de la République française. »

« Défendre la laïcité, c’est rappeler qu’en République une et indivisible la loi de 1905 a vocation à s’appliquer à tout le territoire national », affirme de son côté le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon.

Boule de neige ?

Le régime des cultes des trois départements d’Alsace-Moselle n’intègre pas l’islam, religion peu présente dans ces régions au début du XIXe siècle. Mais, selon Francis Messner, cette discrimination juridique ne se ressent pas vraiment dans les faits : « Hormis la prise en compte du salaire de ministres, qu’ils ne réclament pas, les musulmans bénéficient des mêmes avantages que les autres. Les collectivités locales ont aidé financièrement à la construction des mosquées de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse et de Sélestat, offrant souvent le terrain. »

Si François Hollande accède à l’Élysée, l’affaire serait loin d’être faite. D’autant qu’à gauche certains craignent qu’une remise en cause des règles religieuses ne fasse boule de neige sur l’ensemble du droit local, qui recèle des avantages appréciables. Outre deux jours fériés supplémentaires (la Saint Étienne le 26 dé­cembre et le Vendredi saint), les citoyens y jouissent de lois sociales très favorables.

Comme l’ensemble des responsables religieux concernés, Francis Messner pense qu’il ne faut donc ni toucher au système actuel dans sa diversité – même le très laïc programme commun de Mitterrand n’avait pas osé –, ni en faire un élément constitutionnel. « Cela fragiliserait le système mis en place par la loi de 1905, laquelle n’a jamais été figée, a évolué, et permet un soutien raisonnable aux communautés : exonérations fiscales, entretien des bâtiments… »


Notes
(1) Il a dirigé le Dictionnaire du droit des religions (CNRS éditions, 2010).
(2) Cet organisme est membre du Réseau des parvis qui fédère plusieurs dizaines d’organisations chrétiennes critiques.



Exceptions d’Outre-mer

Voici des réalités méconnues de beaucoup, et même de certains candidats. Les territoires d’Outre-mer (TOM) relèvent non pas de la loi de 1905 mais du décret Mandel, établi en 1939 par Georges Mandel, alors ministre des Colonies.

Les autorités peuvent sans problème participer au financement des lieux de cultes.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, les trois prêtres sont payés par la collectivité locale.
La Guyane, bien que département, demeure régie par une ordonnance royale de 1828. On y reconnaît le seul culte catholique et les 27 prêtres et leur évêque sont rémunérés par le Conseil général.
À Mayotte, île devenue département en 2011, les musulmans (95 % de la population) peuvent choisir un statut juridique dérogatoire au droit français ordinaire. Si les cadis (tout à la fois juges, notaires et officiers d’état civil musulmans) ne rendent plus la justice depuis un an, ils sont toujours consultés pour les juges ordinaires.






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