Victor Hugo, par Étienne Carjat (1876) © Cassowary Colorizations
En contradiction avec la doxa de l’époque post-révolutionnaire, hostile aux religions vues comme entraves à l’épanouissement individuel, Victor Hugo suit les traces de ses amis Alphonse de Lamartine et Alexandre Dumas. Anticlérical, il n’a pas reçu d’éducation religieuse, mais sa quête spirituelle a commencé très tôt. Après un grand retournement intérieur depuis l’islamophobie de ses premiers écrits, son œuvre poétique, imprégnée dans le fond et dans la forme par la pensée musulmane, recèle une centaine de citations de l’islam et du Prophète Muhammad, jusqu’à l’apogée des sublimes poèmes de la Légende des siècles, dont « L’An neuf de l’Hégire » est le summum.
Le grand mérite de Louis Blin, diplomate, docteur en histoire et arabisant, est d’avoir minutieusement relevé les traces de l’admiration de Victor Hugo pour l’islam en indiquant les sources contemporaines dont disposait le poète, le Coran, la Sunna, et la Sira dans les traductions des orientalistes. Y figure Histoire de la Turquie d’Alphonse de Lamartine (1854) qui contient la première biographie du Prophète non islamophobe. Bien que ne sachant pas l’arabe, Victor Hugo est parfaitement au courant de tout ce qui concerne le message coranique et la biographie de son Messager dans les moindres détails.
Le grand mérite de Louis Blin, diplomate, docteur en histoire et arabisant, est d’avoir minutieusement relevé les traces de l’admiration de Victor Hugo pour l’islam en indiquant les sources contemporaines dont disposait le poète, le Coran, la Sunna, et la Sira dans les traductions des orientalistes. Y figure Histoire de la Turquie d’Alphonse de Lamartine (1854) qui contient la première biographie du Prophète non islamophobe. Bien que ne sachant pas l’arabe, Victor Hugo est parfaitement au courant de tout ce qui concerne le message coranique et la biographie de son Messager dans les moindres détails.
Une admiration sans borne pour « cet homme auguste »
Il est remarquable que, malgré ces sources encore imprécises, Victor Hugo découvre le sens profond du Coran. L’auteur révèle en particulier « une série de fragments poétiques (peu connus) sur le Koran », Verset du Koran, composés en 1846, après la mort de sa fille Léopoldine en 1843. Dans ces « exercices de versification dérivés de versets coraniques, extraits de la traduction de Kazimirski », avec son génie poétique, il restitue en alexandrins « le cachet envoûtant de l’original arabe » lui donnant une tout autre dimension que les traductions littérales ne sauraient rendre. Ainsi, la sourate La Victoire (48, 10), devient sous sa plume :
« L’homme juste et croyant
Quand il prête serment a de graves pensées
Car il sent sur ses mains les mains de Dieu posées
Tout homme devant Dieu sert de gage à ses œuvres. »
Selon l’auteur qui a vu son présent livre paraître aux éditions Érick Bonnier après 64 refus ailleurs, ce qui fascine Victor Hugo dans le message coranique est la thématique eschatologique, car, nous dit-il, « il avait saisi le double sens exotérique et ésotérique du Coran », fondement de la mystique en islam, dont le Prophète, parangon des « beaux caractères », figure les deux aspects. Avec « L’An neuf de l’Hégire » (1858-1859), long premier poème de souffle épique de la trilogie Islam dans La Légende des siècles, consacré à la mort du Prophète, il donne libre cours à son génie, comme à son admiration sans borne pour « cet homme auguste ».
Le titre, quoiqu’inexact du point de vue historique car le Prophète meurt en juin 632, l’an dix de l’Hégire, est une allusion révélatrice de son identification avec le Prophète Muhammad : c’est en Belgique, où il s’est réfugié depuis huit ans en butte à l’ostracisme de ses pairs, qu’il compose son éloge au Prophète chassé de La Mecque par son clan. Après Voltaire et d’autres dépeignant le Prophète de l’islam résigné face à la mort, Victor Hugo nous en restitue une vision inoubliable avec des accents inégalés dans le poème « L’An neuf de l’Hégire » :
« Quand le moment viendra que je quitte la terre,
Étant le jour, j’irai rentrer dans la lumière (...)
Il se lava la barbe au puits d’Aboulféia.
Un homme réclama trois drachmes, qu’il paya,
Disant : - Mieux vaut payer ici que dans la tombe. –
L’œil du peuple était doux comme un œil de colombe
En regardant cet homme auguste, son appui ;
Tous pleuraient ; quand, plus tard, il fut rentré chez lui,
Beaucoup restèrent là sans fermer la paupière,
Et passèrent la nuit couchés sur une pierre
Le lendemain matin voyant l’aube arriver :
- Aboubèkre, dit-il, je ne puis me lever,
Tu vas prendre le Livre et faire la prière.-
Et sa femme Aïscha se tenait en arrière ;
Il écoutait pendant qu’Aboubèkre lisait,
Et souvent à voix basse achevait le verset ;
Et l’on pleurait pendant qu’il priait de la sorte.
Et l’ange de la mort vers le soir à la porte
Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.
– Qu’il entre. – On vit alors son regard s’éclairer
De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;
Et l’ange lui dit : – Dieu désire ta présence.
– Bien, dit-il. Un frisson sur ses tempes courut,
Un souffle ouvrit sa lèvre, et Mahomet mourut. »
Avec Le Cèdre (1858), troisième poème de cette même trilogie intitulée Islam, Victor Hugo s’identifie à « Omer, cheikh de l’islam et de la loi nouvelle / Que Mahomet ajoute à ce qu’Issa révèle ».
« L’homme juste et croyant
Quand il prête serment a de graves pensées
Car il sent sur ses mains les mains de Dieu posées
Tout homme devant Dieu sert de gage à ses œuvres. »
Selon l’auteur qui a vu son présent livre paraître aux éditions Érick Bonnier après 64 refus ailleurs, ce qui fascine Victor Hugo dans le message coranique est la thématique eschatologique, car, nous dit-il, « il avait saisi le double sens exotérique et ésotérique du Coran », fondement de la mystique en islam, dont le Prophète, parangon des « beaux caractères », figure les deux aspects. Avec « L’An neuf de l’Hégire » (1858-1859), long premier poème de souffle épique de la trilogie Islam dans La Légende des siècles, consacré à la mort du Prophète, il donne libre cours à son génie, comme à son admiration sans borne pour « cet homme auguste ».
Le titre, quoiqu’inexact du point de vue historique car le Prophète meurt en juin 632, l’an dix de l’Hégire, est une allusion révélatrice de son identification avec le Prophète Muhammad : c’est en Belgique, où il s’est réfugié depuis huit ans en butte à l’ostracisme de ses pairs, qu’il compose son éloge au Prophète chassé de La Mecque par son clan. Après Voltaire et d’autres dépeignant le Prophète de l’islam résigné face à la mort, Victor Hugo nous en restitue une vision inoubliable avec des accents inégalés dans le poème « L’An neuf de l’Hégire » :
« Quand le moment viendra que je quitte la terre,
Étant le jour, j’irai rentrer dans la lumière (...)
Il se lava la barbe au puits d’Aboulféia.
Un homme réclama trois drachmes, qu’il paya,
Disant : - Mieux vaut payer ici que dans la tombe. –
L’œil du peuple était doux comme un œil de colombe
En regardant cet homme auguste, son appui ;
Tous pleuraient ; quand, plus tard, il fut rentré chez lui,
Beaucoup restèrent là sans fermer la paupière,
Et passèrent la nuit couchés sur une pierre
Le lendemain matin voyant l’aube arriver :
- Aboubèkre, dit-il, je ne puis me lever,
Tu vas prendre le Livre et faire la prière.-
Et sa femme Aïscha se tenait en arrière ;
Il écoutait pendant qu’Aboubèkre lisait,
Et souvent à voix basse achevait le verset ;
Et l’on pleurait pendant qu’il priait de la sorte.
Et l’ange de la mort vers le soir à la porte
Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.
– Qu’il entre. – On vit alors son regard s’éclairer
De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;
Et l’ange lui dit : – Dieu désire ta présence.
– Bien, dit-il. Un frisson sur ses tempes courut,
Un souffle ouvrit sa lèvre, et Mahomet mourut. »
Avec Le Cèdre (1858), troisième poème de cette même trilogie intitulée Islam, Victor Hugo s’identifie à « Omer, cheikh de l’islam et de la loi nouvelle / Que Mahomet ajoute à ce qu’Issa révèle ».
Une « spiritualité œcuménique » qui inspire
Morfondu dans son exil, Victor Hugo « se croyait lui aussi investi d’une mission prophétique » : en plein déchaînement public islamophobe, il met en avant la mission de Muhammad (paix et salut sur lui), sceau des prophètes, continuateur de celle d’Issa (Jésus). Le Cèdre, héros onirique personnifié, symbolise le lien entre le calife Omar Ibn Khattab et saint Jean l’Evangéliste, soit entre l’islam et le christianisme et l’Orient et l’Occident. « C’est un cèdre plongeant ses racines dans le cœur oriental de l’humanité qui viendra en songe le réveiller de son sommeil apocalyptique et le ramener au monde des vivants, un cèdre ressemblant étrangement à Victor Hugo lui-même », nous dit l’auteur.
Profondément religieux, sans pour autant adhérer, autant qu’on sache, à une religion spécifique, poète avant tout, Victor Hugo ne cesse de nous inspirer par sa « spiritualité œcuménique ». Louis Blin nous montre dans son ouvrage l’exemple d’un génie universel parvenu à surmonter les préjugés de son époque. En cela, il peut être vu comme le précurseur de grandes figures proches de l’islam comme Charles de Foucauld, Antoine de Saint-Exupéry, Louis Massignon... et d’autres Occidentaux qui l’ont embrassé comme René Guénon, Étienne Dinet, Isabelle Eberhardt, Vincent Monteil, Eva de Vitray-Meyerovitch, Roger Garaudy, Maurice Béjart, pour ne citer que ceux-là. Son influence fut et demeure immense dans la perception de l’islam en France et traduit la place de cette religion au sein de la culture francophone.
Profondément religieux, sans pour autant adhérer, autant qu’on sache, à une religion spécifique, poète avant tout, Victor Hugo ne cesse de nous inspirer par sa « spiritualité œcuménique ». Louis Blin nous montre dans son ouvrage l’exemple d’un génie universel parvenu à surmonter les préjugés de son époque. En cela, il peut être vu comme le précurseur de grandes figures proches de l’islam comme Charles de Foucauld, Antoine de Saint-Exupéry, Louis Massignon... et d’autres Occidentaux qui l’ont embrassé comme René Guénon, Étienne Dinet, Isabelle Eberhardt, Vincent Monteil, Eva de Vitray-Meyerovitch, Roger Garaudy, Maurice Béjart, pour ne citer que ceux-là. Son influence fut et demeure immense dans la perception de l’islam en France et traduit la place de cette religion au sein de la culture francophone.
Louis Blin, Victor Hugo et l'islam, Erick Bonnier, septembre 2023, 390 pages, 22 €