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Points de vue

Adieu Cheikh Maurice Bejart

Le chorégraphe, le musulman

Rédigé par Chems Youssef | Vendredi 23 Novembre 2007 à 22:36

           

Un danseur musulman est mort. Minuit dans une petite chambre verte et pâle de Lausanne. Enfin presque minuit. Une main faible et belle se soulève avec peine, sans force mais bien décidée à saisir une étoile là, derrière ce triste plafond antichambre des cieux.



Maurice bejart a  été élu membre libre de l'Académie des Beaux-Arts française en 1994.
Maurice bejart a été élu membre libre de l'Académie des Beaux-Arts française en 1994.
Il en a connu des étoiles, des dizaines, de celles qui dansaient à celles qui le faisaient rêver dans les déserts d’Iran. Mais cette nuit du 21 novembre 2007, c’est un musulman, Maurice Béjart, l’un des plus grands chorégraphes, aimé et respecté, qui essaie de s’accrocher à « la corde d’Allah », de se rapprocher de son Dieu qui, pendant tant d’années, lui a donné créations, envies et volontés de réunir enfin la danse et le sacré.

Fils du philosophe de Gaston Berger, il se jette pour se renforcer, dans les exercices de la danse et tenta même quelques entrechats autour des toros bravos camarguais, juste pour prouver, si besoin était, qu’il allait être capable de prendre le monde, juste par sa volonté. Son torse large, celui d’un lutteur acharné semble une fois pour toute enfoncer les obstacles et il en brisera plus d’un. Ne serait-ce que celui essentiel pour lui d’imposer l’amour de la danse si nécessaire par le profane et pourquoi pas la variété.

Dans les années 1970, une rencontre avec la Shabanou Fahra, dans les coulisses du Rudaki Hall Opéra House, basculera sa vie. La monarchie iranienne fête ses 2 500 ans à Persépolis. Il commet alors deux œuvres dansées, « Golestan » et surtout « Fahra », hommage à l’Impératrice. Mais surtout, il y établit des liens étonnants avec les musiciens iraniens Nourredine Razavi ou Dariush Talaï, ainsi qu'avec un maître soufi Ostad Elahi. Sa vie change : il rejoint l’islam et désormais sa carrière artistique, morale et spirituelle en subira toutes les plus délicates influences. Pour lui, la danse sera pour toujours liée à la divinité. Et désormais, il gardera toujours près de lui, un petit livre de poche à cinq sous Le Traité de l’Amour, d’Ibn Arabi.

A un journaliste, il confiera un jour : « Le catholicisme a été pour moi très révélateur. J’ai été élevé au Sacré Cœur de Marseille et, pendant douze années, j’ai prié à toutes les messes du matin. En même temps, mon père, le philosophe Gaston Berger, me disait que toutes les religions se valent, et qu’il convient d’en choisir une et de s’y tenir. Qu’il faut en adopter une très jeune pour que le fait religieux soit en vous, et une fois à la maturité choisir et rester. Celui qui n’a pas eu de religion au départ risque de ne jamais découvrir cette dimension essentielle de l’existence. »

Il ajoute que, dans la mesure où l’islam prête actuellement à toutes les ambiguïtés politiques ou religieuses, il serait ridicule de d‘assimiler Khomeyni à Philippe II, sectaire Roi d’Espagne, et il assène définitivement que « l’islam est sans doute l’une des religions les plus tolérantes qui soient ».

Le sang noir de son arrière grand-mère maternelle, Fatou Diagne, originaire du Sénégal, lui a donné toutes les tolérances et toutes les mixités. Il s’y plongera plus que souvent et les inspirations de ses ballets le refléteront largement. Pour lui, « les races n’existent pas, nous sommes tous le résultat d’un métissage. Et ceux qui disent le contraire ne sont que des esprits attardés ». Il ne faiblira jamais, il est musulman, il le restera. Il y a peu il précisait comme si cela était encore nécessaire que « l’Islam est aussi une culture, une philosophie. Un art de vivre au quotidien. Parfois de l’art et de la littérature, mais surtout un moyen de s’élever vers le ciel. Mais jamais une arme de guerre et de massacres. Et que malheureusement ce qui est beau, grand et noble ne tarde pas à être gâché ».

En discourtoisie avec la France, il demande sa naturalisation belge afin que dans sa biographie on n’inscrive pas « Maurice Béjart, chorégraphe français ». La France, ensuquée dans ses chapelles germano-pratines, l’a laissé partir. Elle n’a pas su le séduire. Dommage pour nous. Merci aux Suisses et aux Belges.

Adieu Cheikh Béjart, les scènes onctueuses du jardin de Raouwda, celles du Paradis, sont à toi. Danse toujours, encore et encore pour nous, pour Allah. Merci.

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Youssef Chems est écrivain. A paraître « Hadj Amor, Pour l’amour de Dieu »





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