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Religions

Enseignement islamique en France : le casse-tête de la programmation

Rédigé par Assmaâ Rakho-Mom | Jeudi 10 Juin 2010 à 10:56

           

Lundi 7 juin 2010, l'enseignement islamique en France était au menu de la dernière table ronde organisée par l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) pour l'année 2009-2010. Un « enseignement doublement nécessaire » selon Jean-Philippe Bras, directeur de l'EHESS-IISMM et accessoirement animateur des débats, car « en dépend la formation des cadres musulmans et c'est une demande pressante de la population musulmane ».



Enseignement islamique en France : le casse-tête de la programmation
Quoique feutrés, les débats n'auront pas manqué de mettre en relief les divergences d'analyses mais aussi les convergences de points de vue entre les différents intervenants. Et c'est face à une vingtaine de personnes, les places étant limitées, qu'ont été entre autres débattus les sujets de la définition du cadre religieux musulman, de la formation de ce dernier ou encore de la création d'instituts d'enseignement islamiques.

Se sont succédé sur ces thèmes Bernard Godard, chargé de mission au bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur, Samir Benhebri,* l'aumônier national du culte musulman de la gendarmerie nationale, Omero Marongiu-Perria, membre du CISMOC, Université de Louvain (Belgique), et Mohamed Mestiri, directeur de l'Institut international de la pensée islamique – IIIT France.

Une programmation pédagogique en lien avec les polémiques ambiantes ?

D'entrée de jeu, Mohamed Mestiri souligne la « difficulté qui est celle de la conception des programmes d'enseignements islamiques, celle-ci dépendant de la nature du public, du besoin et aussi du débat public sur l'islam ». Car les jeunes, qui sont en demande de formation islamique, souhaitent avant tout que celle-ci leur permette de répondre aux polémiques ambiantes. Une exigence qui se heurte à un manque criant de compétences.

Et le directeur de l'IIIT de rappeler que le cadre religieux est soit « un cadre référentiel islamique, soit un cadre religieux rituel (imam, aumônier) ne revendiquant pas de formation, soit un cadre élitiste religieux visant à l'approfondissement des questionnements autour de l'islam » ; acceptions validées ensuite par tous les intervenants.

Bernard Godard, lui, est revenu sur la réflexion conduite au ministère de l'Intérieur sur la formation des imams. Réflexion qui a mené à un partage entre un enseignement théologique dispensé par l'Institut Ghazali de la Grande Mosquée de Paris et un enseignement des sciences humaines délivré à l'Institut catholique de Paris depuis trois ans aujourd'hui. Une formation qui jette une lumière crue sur la faillite du CFCM dans ce domaine.

Une formation aussi, qui n'est pas pour plaire à Mohamed Mestiri, qui n'y voit aucune interconnexion entre sciences dures et sciences humaines. Une formation enfin, expérimentée par Samir Benhebri,* puisqu'il en est sorti major de sa promotion (la première), qui y voit une « aventure du vivre-ensemble qui doit être un point de départ perfectible ». Pour lui, « plus il y aura de concurrence, d'offres sur le marché de l'enseignement islamique, plus les projets seront meilleurs ».

Des formations avortées, pour cause de formatage

Et s'agissant de projets, Oméro Marongiu-Perria en a présenté, lui qui, aux côtés de M. Mestiri, a l'expérience de l'enseignement islamique. Et des échecs dans ce domaine. L'Institut Avicenne des sciences humaines (Lille) en est un d'échec.

Créé en 2007, le projet a finalement avorté suite aux démissions « en cascade » de la quasi-totalité de l'équipe enseignante. La raison ? Selon Oméro Marongiu-Perria, « un décalage entre la façon dont le porteur du projet (en l'occurrence Mohamed Béchari) se représentait l'Institut et la manière dont l'équipe pédagogique a mis en place une approche décentrée du fait religieux ».

Par « approche décentrée » de l'enseignement et la formation islamique, M. Marongiu-Perria précise qu'elle permet de « faire entrer l'étudiant dans un parcours qui va le couper de son appartenance religieuse ». Une approche qui, d'après lui, a « fortement perturbé les élèves, qui n'avaient pas l'habitude d'entendre un discours décentré de leur appartenance ». D'où une « impression de dissection, de déconstruction de l'islam ». Cet enseignement détaché du « prisme théologique » s'est donc heurté à des freins psychologiques.

Des freins qui, souligne Mohamed Mestiri, n'existaient pas au Xe siècle, puisque le « souci chez les premiers penseurs tels que Al Farabi était celui de rapprocher la physique du métaphysique ». Une « finesse perdue aujourd'hui dans le monde musulman », où l'on se sert des sciences de manière utilitaire, pragmatique, pour confirmer les croyances islamiques.

Répondant à une question de l'assistance se demandant s'il existait un « formatage » des étudiants qui s'était heurté à cet enseignement décentré des références religieuses, Oméro Marongiu-Perria a acquiescé. « Oui, il existe un formatage, une matrice commune dans la construction du rapport au divin chez les musulmans », a martelé l'universitaire, précisant que les étudiants « viennent pour répondre à des questions existentielles, des questions sur la finalité et non des questions de compréhension : d'où le "danger" de l'introduction des sciences humaines ».

Et M. Marongiu de donner pour exemple la « présentation des enjeux géopolitiques dans la naissance du sunnisme ». Un sujet qui en a déstabilisé plus d'un, alors que « les sciences humaines n'arrivent pas en confrontation mais donnent d'autres angles d'approches ».

Le niveau actuel des imams pas à la hauteur

Quid encore du « profil des enseignants » ou de la « légitimité des imams » ? La première interrogation, c'est Bernard Godard qui la pose, déplorant le fait que les enseignants n'ont, le plus souvent, à la fois pas le niveau requis et pas de formation de pédagogue. Une affirmation qui entraîne les protestations Mohamed Mestiri, celui-ci précisant qu'il en existe quand même « un peu ». Notamment dans son institut, qui, soit dit en passant, a été plébiscité par tous les intervenants.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas être « fermé à l'échange avec les pays musulmans », a ajouté M. Godard, « il faut seulement penser les programmes pour des gens qui enseigneraient en France ».

Concernant la légitimité des imams, il est peu de dire que l'interrogation a suscité le malaise. Car la question sous-entendait celle de l'idéologie. Et si Samir Benhebri* a tenu à souligner qu'« aujourd'hui en France il n'y avait aucun problème d'idéologies dans l'enseignement dispensé dans les instituts de formation islamique », Mohamed Mestiri le dit clairement : « L'approche religieuse doctrinale existe toujours. » Les universités religieuses islamiques n'ont pas toutes un « enseignement pluriel », donc « le choix rigoriste, laxiste, critique, voire activiste » existe bel et bien.

Des projets « baroques »

En même temps, ceux qui se forment aujourd'hui en sciences islamiques le font par curiosité, pas pour faire carrière dans l'imamat. Tout simplement parce que les lieux de culte n'ont la plupart du temps pas les moyens financiers de payer leurs imams, ceux-ci officiant en majorité bénévolement.

La question de l'enseignement islamique, malgré tout en plein essor en France, est capitale. Elle reste cependant liée à des enjeux religieux, économiques, idéologiques, voire sécuritaires. En attendant, les projets « baroques » (le mot est de Jean-Philippe Bras s'agissant de la formation des imams par une structure catholique) en côtoient d'autres plus académiques, tel le cursus LMD proposé par l'IIIT. Une offre qui satisfait pour le moment en ce sens qu'elle permet à chacun de se retrouver en telle ou telle structure. Mais un marché qui posera dans quelques années la question de « l'employabilité », selon les termes de Samir Benhebri.*

*L'identité de l'aumônier national du culte musulman de la gendarmerie nationale a été modifiée.






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