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Religions

Avec une douzaine de cadres religieux, Tareq Oubrou tacle le projet de Conseil des imams porté par le CFCM

Rédigé par Lina Farelli | Mardi 1 Décembre 2020 à 13:25

           

Sitôt annoncée, la mise en place d'un futur Conseil national des imams par le Conseil français du culte musulman (CFCM) suscite la défiance de très nombreux responsables de mosquées et de cadres religieux. Un non franc et catégorique est aujourd'hui opposé par Tareq Oubrou, auteur d'une tribune soutenue par une douzaine d'imams exerçant à travers la France. Pour le le recteur de la mosquée de Bordeaux, « aux laïcs la gestion administrative du culte, aux religieux la question religieuse, à la société civile la question financière. Et à l’Etat le respect de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905 ».



Avec une douzaine de cadres religieux, Tareq Oubrou tacle le projet de Conseil des imams porté par le CFCM
Les imams sont nombreux à s'opposer à l'émergence d'un conseil national des imams (CNI) adossé au Conseil français du culte musulman (CFCM), annoncé le 18 décembre à l'issue d'une réunion avec le chef de l'Etat Emmanuel Macron. Une douzaine d'entre eux font aujourd'hui valoir ouvertement les raisons de leur opposition dans une tribune parue au Monde mardi 1er décembre.

« Si l’idée d’avoir un conseil des imams est bonne, les voies et moyens suivis ne sont pas les bons. D’abord, parce que ce conseil s’appuie sur le CFCM, alors que tout le monde sait qu’il est une institution fragile. (…) L’Etat le sait aussi », lit-on dans le texte signé par le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, avec le soutien, entre autres personnes,* de Mohamed Bajrafil, qui a récemment renoncé à sa charge d’imam ou encore du recteur de la mosquée de Villeurbanne Azzedine Gaci, membre du Conseil des mosquées du Rhône, également opposé à la création d'un CNI par le CFCM.

Pour eux, « les fédérations du CFCM – labellisateur non labellisé –, appelées à former le conseil national des imams, sont dirigées par des laïcs et pas par des religieux », qui « font davantage de la politique que de la religion ».

« Leur demander de créer un conseil des imams en l’absence des principaux concernés, c’est comme demander à des juges de créer un ordre des avocats. Les présidents de fédérations ne connaissent souvent rien à la théologie ni au droit canon musulman. Ils vont siéger à côté d’imams désignés par eux-mêmes, des imams qui dépendent d’eux. Ils auront donc prééminence sur eux, alors que ces présidents de fédérations dépendent pour la plupart de pays étrangers »
, déplore Tareq Oubrou, qui craint une officialisation des « interprétations canoniques en vigueur dans ces pays, par la voix de gens sans savoir religieux crédible ».

Lire aussi : Départ de Tareq Oubrou de MF : « Je ne suis pas un théologien organique »

La démarche engagée par l’Etat pose problème

Plutôt que de demander au CFCM de constituer un CNI, « l’Etat aurait dû exiger du CFCM qu’il se réforme, réforme qui se fait attendre depuis des années ! » « L’intention de l’Etat est compréhensible, elle est même louable. Mais la démarche n’est pas bonne », déclare le théologien bordelais, qui dénonce « un mode de désignation dont la seule règle est le copinage ; et la seule déontologie, l’absence de déontologie ». « Une sorte d’auto-labellisation clientéliste est à l’œuvre, clientélisme auquel le conseil des imams, lié au CFCM, n’échappera pas. L’Etat connaît cette situation et s’en plaint. Pourquoi crée-t-il les conditions de sa reproduction avec les imams ? »

« Il ne suffit pas de déclarer la guerre au conservatisme traditionaliste ou au salafisme wahhabite, il faut lui proposer une alternative éclairée, puisée dans l’interprétation des textes canoniques musulmans analysés dans le contexte de notre modernité occidentale », écrit Tareq Oubrou, qui doute fortement qu’un CNI sous l’égide du CFCM puisse participer à un véritable changement de paradigme sur le plan théologico-religieux, dans la mesure où « certaines fédérations qui composent le CFCM ont des instituts qui enseignent des doctrines canoniques médiévales dont l’importation non critique engendre des comportements problématiques, voire dangereux ».

Un soutien appuyé à l'AMIF

En conséquence, Tareq Oubrou plaide pour un conseil national des imams de France qui soit « une association indépendante, constituée uniquement d’imams, faite par des imams pour les imams » et qui « collaborera avec le CFCM, lequel pourra proposer quelques imams pour siéger dans l’organe dirigeant qui devra se pencher sur l’élaboration d’un consensus doctrinal minimal ; agréer des imams ; participer à la désignation des aumôniers et animer la réflexion intellectuelle musulmane ». Ce projet, il déclare y travailler depuis 18 mois.

Par ailleurs, les signataires de la tribune réitèrent leur soutien à l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF) comme « la troisième pièce du dispositif » dans la restructuration du culte musulman, et qui devrait se charger de s’occuper du financement. « C’est le "nerf de la guerre", qui permettra de favoriser l’émancipation progressive des musulmans de France à l’égard des pays étrangers, de leur influence politique comme théologique », appuie Tareq Oubrou, indiquant au passage que l’AMIF attend « depuis huit mois que les dirigeants du CFCM veuillent bien désigner leurs représentants au sein de son conseil d’administration, comme ils s’y étaient engagés ».

Les dirigeants du CFCM et le président de l'AMIF, Hakim El Karoui, ont en effet acté en mars le principe de la création d’une association unifiée du financement du culte musulman. Depuis, selon nos informations, plusieurs fédérations freinent des quatre fers pour empêcher une quelconque avancée sur ce dossier.

« L’Etat doit accompagner cette structuration, comme il l’a fait en d’autres temps avec les autres cultes. Il peut faciliter le dialogue entre musulmans qui doit maintenant aboutir, car les palabres n’ont que trop duré. Mais, qu’il ne se trompe pas d’interlocuteurs : aux laïcs la gestion administrative du culte, aux religieux la question religieuse, à la société civile la question financière. Et à l’Etat le respect de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905 », conclut l’imam de Bordeaux.

*Tareq Oubrou est soutenu par Mohamed Ayari, imam et président du conseil des imams des Alpes-Maritimes, Mohamed Bajrafil, théologien et islamologue, Nacer Bensalem, imam de la mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Mahmoud Doua, imam de la mosquée de Cenon (Gironde), Omar Dourmane, imam prédicateur à la mosquée de Brunoy (Essonne), Azzeddine Gaci, imam de la mosquée de Villeurbanne (Rhône), Hassan Izzaoui, imam de la mosquée de Limoges ; Mohammed El Mahdi Krabch, imam et aumônier référent des hôpitaux de l’Hérault ; Abdelali Mamoun, imam et théologien, et Tahar Mahdi, imam à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).

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