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Rapport Goldstone : « Une feuille de route pour tous ceux qui défendent la justice dans le monde »

Interview de Haytham Manna, porte-parole de la Commission arabe des droits humains

Rédigé par | Samedi 6 Février 2010 à 04:29

Sans surprise, Israël a refusé publiquement, fin janvier, de cautionner le rapport Goldstone sur les crimes de guerre, voire les crimes contre l'humanité, commis lors de l'opération « Plomb durci » lancée contre la bande de Gaza en décembre 2008-janvier 2010. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a mis en doute, vendredi 5 février, la crédibilité des enquêtes diligentées par Israël et le Hamas, aussi visé par le rapport. Verra-t-on un jour les crimes d'Israël punis par la Cour pénale internationale (CPI) ? Haytham Manna, porte-parole de la Commission arabe des droits humains, tape du poing sur la table et fait un point pour Saphirnews.




Saphirnews : Quelle est le travail entrepris par la Commission arabe des droits humains dans le rapport Goldstone ?

Haytham Manna : En tant que porte-parole de cette Commission et coordinateur de la coalition internationale contre les criminels de guerre, je suis allé défendre la constitution de la mission d’enquête indépendante par le Conseil des droits de l’homme. Nous avons fait du lobbying pour obtenir une décision à ce sujet. Les pays du Sud étaient en général favorables, mais les Américains ont voté contre et les pays européens se sont abstenus. Je ne sais pas comment on peut se déclarer défenseur les droits de l’homme et refuser la constitution d’une mission d’enquête après les massacres commis à Gaza ! L’Union européenne n’a d’ailleurs pas fourni d’éléments explicatifs sur les raisons de son refus. Pour cela, la position européenne est médiocre pour le processus de paix.

Nous avons finalement obtenu une majorité au Conseil des droits de l’homme (qui a approuvé le rapport en octobre dernier, ndlr). Le juge sud-africain Goldstone, avec une équipe plurinationale et multiconfessionnelle, a mené cette mission en toute transparence. Nous avons participé à une réunion de discussion très constructive avec lui, en présence d’autres ONG (trois mois avant la publication du rapport, ndlr).

Il nous a même proposé d’organiser une séance publique d’écoute des victimes et des témoins palestiniens. Une idée originale dont j’ai tout de suite fait part à Al-Jazeera, car le Conseil des droits de l’homme travaille d’habitude avec beaucoup de discrétion.

Israël a une fois de plus rejeté le rapport fin janvier…

Haytham Manna : « On doit sortir de la logique d’une justice sélective qui profite aux plus forts à une justice universelle capable de juger tout le monde. »
H. M. : Jamais, dans l’histoire du Conseil des droits de l’homme, les accusés n'ont accepté les accusations fournies par les experts. La réaction israélienne est normale. Imaginez que les leaders israéliens décident de se rendre à La Haye et dire au monde entier qu’ils sont à la disposition du Tribunal pénal international (TPI). Ou que Tzipi Livni (ex-ministre israélienne des Affaires étrangères, ndlr) se rende à Londres pour dire au juge, qui a lancé un mandat d’arrêt contre elle, qu’elle est à la disposition du Tribunal pour toute question…

Je crois que les politiques, en général, ont toujours essayé, au nom de l’immunité diplomatique, d’échapper à la justice quand ils font l’objet d’accusations. Les criminels israéliens ne font pas exception.

Seulement, ils font face à une soixantaine de rapports bien documentés d’ONG du monde entier, qui montrent, preuves à l’appui, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qu'ils ont commis. Il n’est pas facile de démentir l’armada juridique et c’est pour cela que les Israéliens essayent par tous les moyens de ne pas collaborer.

Goldstone est un juge honnête, connu et reconnu pour ses positions, qui vont au-delà de toute appartenance religieuse ou nationaliste, pour ses positions contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour son travail en ex-Yougoslavie. Il a une notoriété internationale et une honnêteté intellectuelle qu’on ne peut remettre en cause.

Que va-t-il advenir du rapport sachant que les États-Unis sont contre et que l’UE a décidé de botter en touche ? Sera-ce un rapport de plus jeté à la poubelle ?

H. M. : Les grandes puissances, notamment les États-Unis, ont tout fait pour étouffer le rapport à sa naissance. Hillary Clinton a tout fait pour le mettre à la poubelle en exerçant une énorme pression sur l’Autorité palestinienne. Pourtant, on a réussi, avec l’appui de la population palestinienne et des ONG, à faire revenir en force ce rapport. Maintenant, personne ne peut tuer le rapport Goldstone. C’est un document international connu et reconnu, qui est en passe d’être traduit en plusieurs langues, notamment en arabe et en français, grâce aux efforts de la société civile.

Une quarantaine d’Etats, qui ont ratifié le statut de Rome tels que la Bolivie, le Venezuela, l’Afrique du Sud et le Sénégal, soutient notre démarche. Pour nous, militants des droits de l’homme, pas de paix sans justice ! On ne peut pas parler de paix tant qu’il y a des victimes, des crimes qui se perpétuent et des criminels en liberté.

Pensez-vous que la CPI prendra l’initiative d’ouvrir une enquête à l’encontre des criminels de guerre israéliens comme le recommande le rapport ?

H. M. : Nous avons rencontré Luis Moreno Ocampo, procureur général de la CPI, avec le ministre palestinien de la Justice, le président de la Ligue arabe et des experts palestiniens, arabes et européens. Je pense que le dossier avance bien. Il n’y a pas d’obstacle juridique à notre démarche.

Tout ce que le procureur a demandé, il l’a obtenu ces derniers mois : des données fournies par les ONG, les preuves des crimes commis par Israël, des soutiens de pays. Ocampo doit être désormais prêt à saisir la CPI. S’il ne saisit pas la Cour, il y a une demande d’adhésion de l’Autorité palestinienne à la CPI qu'il doit prendre en compte.

Son seul obstacle serait l’intervention politique des opposants au rapport Goldstone. Il y a des ennemis à cette procédure mais aussi de la CPI qui n’ont pas envie de l’existence même de ce tribunal comme le gouvernement américain, qui n’a jamais ratifié le statut de Rome (de la CPI, ndlr) et qui a même retiré sa signature sous George W. Bush.

Barack Obama pourrait-il éventuellement changer quoi que soit à ce sujet ?

H. M. : Le président américain a dit qu’il allait en discuter mais, à mon avis, il n’y aura pas vraiment de poussée en faveur des droits de l’homme pendant la période Obama. La Russie, la Chine, l’Inde et d’autres grands États n’ont pas ratifié non plus le statut.

Parmi les pays arabes, seuls Djibouti, les Comores et la Jordanie l'ont ratifié, ce qui montre que les États arabes sont mécontents de l’attitude négative de la CPI en ce qui concerne les crimes perpétrés en Irak, au sud-Liban et en Palestine.

A mon avis, le dossier du Soudan (accusé par le CPI de génocide au Darfour, ndlr) et l’absence de réaction sur les crimes commis à l’égard de populations arabes les a refroidis. On doit sortir de la logique d’une justice sélective qui profite aux plus forts à une justice universelle capable de juger tout le monde.

Mais beaucoup d’États arabes ne se sont pas prononcés clairement et ouvertement pour le rapport. N’est-ce pas plutôt dû en partie à leur proximité avec les États-Unis ?

H. M. : Il est certain que la pression américaine est efficace, surtout auprès des gouvernements pro-américains. Nous ne nous faisons pas d’illusion. La délégation jordanienne a, par exemple, été contre nous lors du vote du rapport Goldstone. Seule la pression populaire a fait qu’ils ont voté pour. Notre combat est universel, mais la plupart des pays arabes ont malheureusement des gouvernements qui ne sont pas légitimes et démocratiquement élus. Aujourd’hui, leur soutien à notre démarche se fait malgré eux, par la pression du peuple dans ces pays.

Vous soulignez le fait que les lobbies pro-israéliens et pro-américains sont puissants. Comment faire justement pour contrebalancer leur pouvoir ?

H. M. : Je pense que notre combat est inégal. Nous n’avons pas les mêmes moyens financiers, matériels, médiatiques… mais les crimes sont tellement visibles que même les meilleurs lobbies au monde ne peuvent pas les cacher. Notre arme suprême est la justice.

Vous avez vu le documentaire « Gazastrophe ». Pourrait-il être utilisé comme une éventuelle pièce à conviction auprès du CPI ?

H. M. : Gazastrophe est un très bon documentaire, qui vient s’ajouter aux plus de 200 heures de documentaires audiovisuels mises à la disposition de la CPI ou de tout juge européen qui accepte d’étudier la demande d’arrestation des criminels israéliens. Les documents, aujourd’hui, ne manquent pas. Ce fut une année très difficile, mais la récolte fut fertile pour les instances des droits de l’homme.

Le rapport Goldstone préconise aussi une enquête au sujet de possibles crimes de guerre commis par le Hamas. Le droit à la résistance légitime a-t-il été souligné ?

H. M. : Dans le droit international, la résistance légitime doit respecter le droit humanitaire. Ce n’est pas parce qu’on est résistant qu’on a le droit de tuer ou de blesser des civils. On a demandé au gouvernement de Gaza de respecter les conventions de Genève et demandé une mission d’enquête indépendante. Toutes les recommandations du rapport Goldstone doivent être respectées. C’est avec ce respect que les victimes peuvent vraiment espérer obtenir justice. En tant que militants pour les droits de l’homme, nous sommes avec les victimes sans distinction.

Le problème, aujourd’hui, est que beaucoup croient que le rapport a mis victimes et bourreaux dans le même panier. Ce qui n’est pas vrai. C’est l’un des meilleurs rapports sur les crimes commis pendant l’opération. Surtout, le juge n'a pas accepté de respecter le mandat donné, à savoir juste rapporter des crimes qui ont eu lieu sur les 22 jours de conflit à Gaza. Les crimes d’Israël ont commencé bien avant. Le rapport Goldstone est une feuille de route pour tous ceux qui défendent la justice dans le monde.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur