Points de vue

Pierre Tevanian: Un prof en colère

Rédigé par Tévanian Entretien avec Pierre | Mercredi 11 Février 2004 à 00:00

Mardi 10 février a été votée la loi contre le port des signes religieux « ostensibles » à l’école et plus particulièrement contre le port du voile. Cette campagne médiatique et politique qui dure depuis plus de 6 mois n’a pas donné la parole à certains mouvements laiques qui s’opposaient à cette loi. Ils n’ont pas été entendus.Un mouvement comme le collectif «Une école pour tous-tes » qui organise ce samedi 14 février une manifestation contre cette nouvelle loi, continue d'être occulté. Pierre Tévanian, professeur de philosophie à Drancy et initiateur du collectif les mots sont importants ( www.lmsi.net) fait parti de ce pôle laique et nous confie sa colère et son rejet de cette loi sur la laicité.




Mardi 10 février a été votée la loi contre le port des signes religieux « ostensibles » à l’école et plus particulièrement contre le port du voile. Cette campagne médiatique et politique qui dure depuis plus  de 6 mois n’a pas donné la parole à certains mouvements laiques qui s’opposaient à cette loi. Ils n’ont pas été entendus. Un mouvement comme le collectif «Une école pour tous-tes » qui organise ce samedi 14 février une manifestation contre cette nouvelle loi continue d'être occulté. Pierre Tévanian, professeur de philosophie à Drancy et initiateur du collectif les mots sont importants ( www.lmsi.net) fait parti de ce pôle laique et nous confie sa colère et son rejet de cette loi sur la laicité.

 

 

Selon vous quelles seront les retombées de ce rassemblement et du meeting sur la loi qui va être votée ?

 

Ecoutez, c’est très difficile à dire. Si on est réaliste, on est forcé de constater que le rapport de force est très défavorable. Pas forcément dans l’opinion publique car on raconte beaucoup de choses sur l’opinion mais les sondages qui sont posées, sont posées avec des questions bien particulières, avec une opinion bien conditionnée de manière bien particulière. Mais il faut savoir qu’au mois d’Avril dernier avant le battage médiatique, un sondage dans la dépêche du midi  dit que lorsqu’on propose d’autres questions que « pour ou contre le voile à l’école » à des échantillons de population. Lorsqu’on leur demande par exemple : faut-il autoriser sans rien dire ( ndrl : le foulard ), ou demander de l’enlever mais sans exclure et enfin demander de l’enlever mais exclure si nécessaire si les jeunes filles refusent, il n’y avait que 22% des sondés qui disaient qu’il fallait exclure une fille à cause de son foulard. (http://lmsi.net/article.php3?id_article=207 )

 

 Ce type de questions n’ont malheureusement pas été posées. Par ailleurs, ce qu’on a vu dans les médias a été dans un seul sens. Les papiers dans les journaux sur : que deviennent les jeunes filles une fois exclues ? Qu’en pensent les autres lycéens ? Que se passe-t-il dans les lycées où ça va bien ? Ce sont des sujets qui n’ont été abordés qu’une semaine avant le vote de la loi. Peut-être que si on en avait parlé un peu plus tôt, on en serait pas là.  Donc l’opinion c’est une chose mais quand je parle des rapports de forces, c’est le rapport de force au moment du vote à l’assemblée et là malheureusement le parti socialiste et l’UMP, les deux grandes composantes de l’assemblée s’apprêtent à voter cette loi. Il y a donc une très forte possibilité qu’à ce niveau là, la loi soit évidemment votée.

 

Maintenant l’avenir n’est pas écrit sur une page blanche. De toute façon, on pose des actes, on rend visible une force, on construit quelquechose, l’histoire ne s’arrête pas au vote de cette loi. La rentrée prochaine va être extrêmement tendue, extrêmement difficile. Il n’est pas exclu que cette loi soit sanctionnée par des instances européennes, ou qu’il y ait des contentieux qui révèlent le caractère injuste et inconstitutionnel de cette loi. Et le fait qu’on construise aujourd’hui un rapport de force, une force laique, féministe pour l’émancipation et pour le droit à l’éducation, c’est de toute façon un acquis qu’on va travailler à renforcer et le but est que si on arrive pas à empêcher que cette loi puisse être votée, qu’on arrive au moins le plus rapidement possible à ce qu’elle puisse être abolie.

 

Au début, on a vu plus des manifestations à caractère communautaire et on remarque, notamment depuis le début de l’année 2004, que les choses ont pris un autre cours et que justement des forces vives de la société de toutes tendances se joignent au combat des musulmans. Pensez-vous que ce partenariat laique, pluriel va réellement porter ses fruits et qu’il va s’inscrire dans la durée surtout ?

 

En tout cas je l’espère et ce qui se passe dans le collectif va dans ce sens là. Que les premières manifestations aient eu ce caractère communautaire, ça s’explique et la responsabilité principale n’est pas sur les gens qui ont manifesté, comme on a pu le dire. Moi, je comprends les gens qui sont descendus dans la rue pour manifester y compris celle du 17 janvier dont les organisateurs étaient des gens au discours très critiquable et c’est un euphémisme. Simplement ces gens-là qui avaient une cause juste à faire valoir et un droit élémentaire à défendre, s’ils sont descendus dans la rue sans prêter garde à qui appelait, c’est tout simplement que les grandes organisations universalistes qui justement defendent les causes plus larges que les causes communautaires ont traîné des pieds, ont été lentes à réagir et n’ont pas appellé  plus tôt à cause de débats internes bien sûr. Et donc moi, je comprends parfaitement les gens qui sont descendus dans la rue et si la composition de ces cortèges étaient majoritairement musulmanes ou issus de l’immigration. Je dirai que la principale responsabilité, c’est ceux qui n’ont pas appellé à des manifestations et ceux qui ne s’y sont pas rendus. D’autre part, cette configuration communautaire a été construite médiatiquement car dans les médias depuis 6 mois, l’antenne n’a été donnée qu’aux femmes voilées, ce qui est la moindre des choses car ce sont elles qui sont attaquées et des personnalités religieuses, pour exprimer le point de vue anti-prohibitionniste.  C’est une véritable occultation de toutes les forces autres qui étaient depuis plusieurs mois voire des années que ce soit la ligue des droits de l’Homme, le MRAP, certains syndicats enseignants de manière peut-être frileuse, d’une multitude d’organisations laiques, féministes… Malheureusement, la télévision a complétement occulté cette partie de la population pour nous faire croire qu’on avait d’un côté une France blanche prohibitionniste comme par évidence et de l’autre pour défendre le droit de suivre une scolarité normale à l’école publique avec son foulard uniquement les principales intéressées et des chefs religieux.

 

Vous êtes professeur au lycée à Drancy. Quelles sont les réactions des professeurs face à votre prise de décision car on sent qu’avec votre statut d’enseignant, il faut un certain courage… ?

 

J’ai du mal avec ce discours car j’ai du mal à me considérer comme courageux ou avangardiste , ça me paraît élémentaire, ça me paraît être le minimum quand on est enseignant de défendre une des bases de l’école laique, c’est-à-dire qu’elle est pour tous et toutes.  Donc la question, il faudrait plutôt dire pourquoi une part importante du corps enseignant n’est pas sur cette position.

 

Et là je suis perplexe, je suis triste. La position des professeurs est ambiguë, elle est hétéronome et ils ne mesurent pas dans quoi ils se sont embarqués c’est-à-dire qu’avant mai dernier, avant que la campagne médiatique et politique n’ait été lancée, jamais un mouvement social enseignant n’a demandé une mesure allant dans ce sens là. Il y a eu des luttes locales et comme le rappelait Hanifa Cherifi, le nombre de cas qui posent problèmes est en diminution constante depuis 10 ans. Dans mon établissement où il y a des files voilées depuis plus 6 ans, il n’y a jamais eu un conseil d’administration où la présence des jeunes filles voilées aient été évoquées par un quelconque membre de ce conseil composé de professeurs et de personnels de l’administration. Il n’y a jamais eu une assemblée générale (et on sait qu’il y en a beaucoup car il y a beaucoup de luttes) sur la question du foulard de certaines de nos élèves . L’année où j’ai eu une fille voilée dans ma classe, il n’y a jamais eu un conseil de classe ou des discussions de couloirs sur cette élève. Donc on ne peut pas dire qu’il y avait une demande des enseignants. Maintenant ce qui est vrai, c’est que depuis que la polémique a été relancée, c’est vrai que les professeurs, malheureusement, se sont laissés embarqués là-dedans et consentent très largement , voire ils approuvent  parfois cette campagne qui pourtant est venue de l’exterieure, qui ne répondait pas aux demandes qu’ils avaient spontanément formulé depuis des années.  Et ça, ça reste à expliquer et je m’interroge beaucoup car je crois qu’il y a une logique du bouc emissaire, c’est-à-dire que les enseignants qui se sont battus pour des moyens, pour l’égalité des chances, pour de bonnes conditions d’enseignement, qui se sont fait traîner dans la boue par leurs ministres, qui ont beaucoup perdu dans ses lutes ( sur les retraites, la décentralisation). Il y a donc eu une sorte de réflexe un peu régressif, de consolation dans la recherche d’un bouc émissaire, au moins la demande d’exclusion d’une jeune fille voilée c’est une cause gagnable.

Ca explique, ca n’excuse pas du tout, mais je crois qu’il y a de ça, une logique de bouc émissaire. Les filles voilées payent le prix de tout ce qui ne va pas à l’école et de tout ce que les professeurs malgré leur mobilisation, n’ont pas réussi à obtenir.

                                                                                                                              

Propos recueillis par Naziha Mayoufi et Jihen Lazrak