Religions

Olivier Wang-Genh : Les massacres de Rohingyas « ne sont pas liés à une guerre de religion islamo-bouddhiste »

Rédigé par | Vendredi 15 Septembre 2017 à 12:30

Les persécutions des Rohingyas, monnaie courante depuis des années en Birmanie, s’aggravent. Dans un pays largement dominé par le bouddhisme, les discours de haine islamophobe prêchés par des moines trouvent ainsi un écho important auprès de la population, non sans conséquences. L’Union bouddhiste de France (UBF), qui compte 70 associations membres regroupant 80% des pratiquants bouddhistes du pays (un million), n’a pas manqué de condamner les atrocités dont la minorité musulmane est victime au nom d’un bouddhisme contraire à ses fondamentaux.

Olivier Wang-Genh, président jusqu’en 2016 de l’UBF dont il est encore vice-président, revient avec Saphirnews sur les fondements de sa condamnation et les actions entreprises pour apaiser le conflit. Celui qui est aussi président de la Communauté bouddhiste d’Alsace (CBA), soutien d'une manifestation ce samedi 16 septembre contre les massacres des Rohingyas, s’exprime également sur la complexité du bouddhisme, le principe de l'excommunication, et les liens possibles entre religion et violence.



Olivier Wang-Genh est vice-président de l'Union bouddhiste de France (UBF) et président de la Communauté bouddhiste d'Alsace (CBA). © UBF

Saphirnews : L’UBF a fermement condamné les exactions en Birmanie. Avez-eu ce sentiment qu’on attendait au tournant votre réaction, vous en tant que représentant des bouddhistes de France ?

Olivier Wang-Genh : Oui, et on en a parlé lors d’un conseil d’administration jeudi dernier (le 7 septembre, ndlr). Vous savez, l’Union bouddhiste de France prend des décisions de façon très collégiale même dans les situations d’extrême urgence. On a profité de ce CA pour pouvoir aborder cette question qui a été vite tranchée.


Comment vivez-vous ces moments de grande attention à l’égard des bouddhistes en ces temps de crise (pour les Rohingyas) ?

Olivier Wang-Genh : Il est clair que cela procure plus qu’un gros malaise au sein de la communauté bouddhiste française mais ce n’est pas nouveau. L’UBF avait déjà pris position, il y a plusieurs années, par rapport à ces événements qui ne datent pas d’aujourd’hui.

On a publié des communiqués ; on avait même écrit une lettre, qui doit remonter à presque une dizaine d’années, à l’ambassadeur de la Birmanie en France. On a également réagi auprès des imams qui nous ont contactés (…) pour connaître la position de l’UBF sur les Rohingyas et on avait été très clair, comme on l’est aujourd’hui.

L’UBF est un regroupement d’associations bouddhistes. Une ou plusieurs d’entre elles sont-elles liées au bouddhisme birman ? Est-ce que, de ce fait, il pourrait y avoir des actions qui pourraient être entreprises ?

Olivier Wang-Genh : Non, le bouddhisme birman n’est absolument pas représenté en France. Comme vous le savez, le bouddhisme se divise en plusieurs grandes traditions, la plus ancienne étant ce qu’on appelle le theravada. C’est le bouddhisme des anciens qui est notamment représenté par la Birmanie mais aussi par la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, le Sri Lanka et une partie du Viêtnam.

La plupart de ces pays sont représentés en France, notamment le bouddhisme laotien, cambodgien et vietnamien suite aux grandes vagues d’immigration des années 1970. Comme la France, historiquement, n’avait pas de relations particulières ni avec la Thaïlande, ni avec la Birmanie - en tout cas, beaucoup moins qu’avec le Cambodge, le Laos et le Viêtnam -, il n’y a pas eu d’exil ou d’immigration venue de ces deux pays.

En France, à ma connaissance, il n’y a pas de communautés qui se réclament de ces deux pays et de ces bouddhismes-là.

A l’image de l’islam, le bouddhisme est très complexe. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les diverses nuances du bouddhisme qui existent, du moins les principales ?

Olivier Wang-Genh : Le bouddhisme s’est répandu dans le nord de l’Inde et a très vite commencé à être pratiqué dans tous les pays du sud-est asiatique. Le theravada est le bouddhisme très traditionnel, historique mais qui est toujours bien vivant aujourd’hui, pratiqué en Birmanie, en Thaïlande, au Laos, au Cambodge.

Le bouddhisme a cette capacité assez impressionnante de s’acculturer avec les civilisations et les cultures présentes dans le pays. A chaque fois donc, cela donne des bouddhismes très différents.

Vers le début du deuxième millénaire (IIe, IIIe et IVe siècle), il a commencé à se répandre en Chine. Le bouddhisme chinois a commencé à être extrêmement réformiste par rapport au bouddhisme indien. Puis, il y a eu de nouvelles expressions du bouddhisme qui sont apparues entre le Ve et le VIe siècle en Chine. Ces bouddhismes ont pris des formes très particulières, très spécifiques et qui correspondaient à la culture et à l’esprit chinois.

Parallèlement à cela, il s’est aussi répandu au Japon, au Corée et au Vietnam où, là aussi, d’autres expressions sont apparues. A titre d’exemple, le zen dont on parle beaucoup aujourd’hui est l’une des très grandes traditions du bouddhisme. Il est apparu en Chine au Ve siècle mais il s’est vraiment développé au Japon où il a pris sa forme actuelle vers le XIe et XIIe siècle jusqu’à maintenant s’implanter en Europe et aux Etats-Unis.

Tout cela donne des expressions du bouddhisme qui sont assez différentes les unes des autres même si la racine reste la même, à savoir les grands principes de l’enseignement du Bouddha.

Quand vous parlez du bouddhisme chinois, incluez-vous le bouddhisme tibétain ?

Olivier Wang-Genh : Le bouddhisme tibétain est apparu beaucoup plus tard, vers le XII-XIIIe siècle. Là aussi, il a pris une expression extrêmement différente de ce qui se présentait jusque-là. C’est ce qu’on appelle le vajrayana : une expression du bouddhisme beaucoup plus ésotérique et très spécifique à la culture tibétaine.

Il se dégage donc trois formes principales de bouddhisme (le theravada, le vajrayana et le zen). Les différences sont-elles liées à la culture du pays ou à l’enseignement religieux ?

Olivier Wang-Genh : Non, le fond religieux de l’enseignement et même des pratiques restent à peu près les mêmes. En revanche, certaines traditions vont donner plus d’importance à l’enseignement ; d’autres, à la méditation assise, et d’autres encore à l’aspect éthique ou comportemental.

Dans l’imaginaire collectif, le bouddhisme va naturellement échapper à la violence. Mais on voit que le bouddhisme, son instrumentalisation pour être précis, est la source aujourd’hui d’exactions contre les musulmans en Birmanie ou encore au Sri Lanka. Diriez-vous que des tendances du bouddhisme seraient plus propices à une déviance vers la violence ?

Olivier Wang-Genh : Il faut être clair : je ne pense pas du tout que le gouvernement birman ou l’armée birmane se réclame du bouddhisme pour faire ce qu’elle est en train de faire. Il faut vraiment poser cela comme préalable. Ces événements, dramatiques et scandaleux, qui se déroulent ne sont pas liés à une guerre de religion islamo-bouddhiste. Sinon je pense qu’on est à côté du problème.

Il s’agit clairement davantage de situations historiques qui n’ont jamais été acceptées, de découpages de territoires et de fabrication de pays, notamment par le Royaume-Uni (ancienne puissance coloniale en Birmanie, ndlr) dans les années 1930-1940. Il s’agit aussi de questions très culturelles. Il faut avoir une lecture plutôt dans ce sens que d’un aspect purement religieux.

Le fait est que la Birmanie est un pays à 90 % bouddhiste, le bouddhisme sert de référence et est historiquement omniprésent partout. On voit des moines et des temples partout, comme il peut y avoir ici en France des églises dans chaque village… Evidemment que la Birmanie est un pays bouddhiste mais ces événements ne sont pas au nom du bouddhisme. Ce n’est pas une subtilité, c’est vraiment important de le lire comme cela.

C’est pour cela qu’il est bien question d’une instrumentalisation de la religion. Vous avez justement évoqué les exactions de l’armée birmane mais l’on voit aussi des mouvements sur fond religieux comme le mouvement Ma Ba Tha (« Association pour la protection de la race et de la religion ») dont l’autorité va être assise par des personnes se réclamant être des moines, extrémistes comme Wirathu.

Olivier Wang-Genh : Comme vous le savez, le moine « W » a été mis en prison, il a été condamné et exclu du sangha monastique. C’est une personnalité extrémiste qui joue sur un sentiment populiste que la cause de tous les malheurs du monde est cette communauté des Rohingyas et que tant qu’ils ne seront pas dehors, on n’aura pas la paix…

Ce sont des mécanismes malheureusement assez ordinaires : la peur, la colère, la violence, l’appel au boycott, à la purification ethnique… Ces schémas se répandent dans tous les pays.


Mais Wirathu est le leader de tout un groupe de moines et de fidèles qui vont propager sa parole à travers le pays.

Olivier Wang-Genh : C’est clair, il n’est pas tout seul. Il a réussi à regrouper autour de lui une tranche de population qui aime ce genre de discours. Mais ce discours-là n’a aucune caution des autorités bouddhistes : le dalaï lama et les grands leaders bouddhistes mondiaux sont totalement opposés et même consternés de leur interprétation de certains textes, de l’enseignement de Bouddha.

A lire : Birmanie : la toute-puissance des moines devant une minorité musulmane désemparée


Quelles hiérarchies existent-ils dans le bouddhisme ?

Olivier Wang-Genh : Il n’y a pas de hiérarchie unique dans le bouddhisme. (…) Ce sont des choses très complexes. Vu d’Occident, on a l’impression que le dalaï lama est un peu l’équivalent du pape des bouddhistes, ce n’est absolument pas le cas. Il n’y a pas une autorité unique pour tout le bouddhisme : chaque tradition a sa propre hiérarchie et ses dirigeants de référence.

Existe-t-il dans le bouddhisme un principe d’excommunication possible ?

Olivier Wang-Genh : Bien entendu. Quand un moine rompt les principaux préceptes (au moins cinq communes à tous les bouddhismes, ndlr) comme ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir… à ce moment-là, il commet une erreur qui justifie l’excommunication.

Par quelles autorités ceux qui commettent des exactions contre les Rohingyas peuvent-ils être excommuniés ?

Olivier Wang-Genh : Les seules personnes qui pourraient les excommunier sont les autorités du bouddhisme birman parce qu’ils font partie de cet sangha monastique. (…) Mais vu d’un point de vue européen/occidental, tout cela nous paraît consternant. Non seulement les principes du bouddhisme ne sont pas respectés mais tout ce qu’on voit montre des comportements totalement extrémistes alors que tout comportement, vision ou discours extrémiste est, par essence, contraire à la base des enseignements de Bouddha.

Le bouddhisme, on l’appelle aussi la voix du milieu, une voix du comportement, du discours, de la pensée juste et équilibrée, qui ne prend pas partie sans avoir de discours de haine, idéaliste ou idéologique. Après ce sont les aspects historiques et culturels des pays (cités plus haut) qui fait que certains, je pense, peuvent déraper.

Ce qui est sûr, c’est que si, en France, à un moment donné, le dirigeant d’une des communautés membres de l’UBF commençait à tenir des discours de cette sorte, il serait exclu de l’UBF dans les semaines, même dans les jours suivants. Ici, on ne pourrait pas accepter l’ombre d’un discours de ce style. Mais c’est vrai que notre culture ici et même notre bouddhisme est beaucoup plus marquée. Le bouddhisme qui s’implante en Europe (toutes tendances et traditions confondues) est un bouddhisme qui a intégré complètement la culture des droits de l’homme. (…) Ici, ce genre de discours ne passerait pas du tout, pas même une seule phrase.

Justement, que pensez-vous du parallèle fait par certains commentateurs entre les mouvements extrémistes dits bouddhistes et Daesh ?

Olivier Wang-Genh : Je me méfie des parallèles parce que déjà, comparaison n’est pas raison, comme on dit. Et c’est vrai que dans toute religion, vous pouvez trouver, à un moment donné, des lectures extrémistes et déraisonnées de certains textes. Et ces extrémismes, on les retrouve dans le bouddhisme - la preuve (en Birmanie) -, dans l’islam, mais aussi évidemment dans le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme… On le voit partout. C’est vraiment un point commun aux religions que d’avoir, à un moment donné, des lectures extrémistes, des vues extrêmes qui sont une vraie maladie.

Au-delà du communiqué de condamnation, préparez-vous ou soutenez-vous une action spécifique liée à la crise des Rohingyas ?

Olivier Wang-Genh : On a demandé à tous nos membres de dédier leur cérémonie pour l’apaisement de ce conflit. Chaque matin donc, toutes les cérémonies se tournent vers cela. D’autre part, il commence à y avoir certaines initiatives comme en Alsace, à Strasbourg, le Conseil régional du culte musulman (CRCM) présidé par Abdelhaq Nabaoui, avec qui je suis en contact, organise ce samedi 16 (septembre), un rassemblement devant le Parlement européen.

Etes-vous coorganisateur de la manifestation ?

Olivier Wang-Genh : Non, c’est une initiative du CRCM. Par contre, nous finalisons un communiqué commun. Et je pense que ce genre d’initiatives va se multiplier dans les jours à venir.

Mise à jour : Rohingyas : depuis Strasbourg, bouddhistes et musulmans de France se rejoignent dans la prière

Le bouddhisme de France en chiffres

Des estimations chiffrent le nombre de bouddhistes à 600 000. Selon l’UBF, ils sont un million. « Le bouddhisme français est constitué à 70 % d’Asiatiques issus de l’immigration », fait valoir Olivier Wang-Genh. Le tiers des pratiquants (350 000 personnes) est constitué de Français qui se sont tournés vers le bouddhisme ces 50 dernières années.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur