Points de vue

Nous sommes tous des Karim Achoui

Rédigé par Lotfi Bel Hadj | Samedi 20 Décembre 2008 à 12:49



Laissons un instant de côté notre colère. Car la colère engendre le ressentiment. Et le ressentiment empoisonne le dialogue. Or le dialogue, c’est peut-être ce dont nous manquons le plus cruellement aujourd’hui, à un moment où nous avons besoin de mettre en commun nos interrogations. Car je veux croire que pour trouver ensemble des réponses justes, il faut d’abord poser des questions justes. Qui sont les victimes dans la condamnation de l’avocat Karim Achoui, frappé d’une peine de sept ans de prison ferme dans le procès d’Antonio Ferrara ?

Evidemment le plus touché, c’est d’abord Karim Achoui. Lui l’avocat dont le dossier ne contenait aucun élément à charge crédible juridiquement. Lui à qui on reproche surtout ses beaux costumes et son allure décomplexée de jeune « avocat star ». Lui dont la condamnation a été rhétorique avant d’être juridique. Pendant des mois, des années, on a voulu faire de lui un véritable personnage de polar, sombre, mystérieux… donc forcément louche et douteux. Victime d’une tentative d’assassinat par balles en juin 2007, il a été quasiment abandonné par ses pairs. Ni la Garde des Sceaux, ni l’Ordre des avocats, n’ont alors daigné le soutenir, et aucune protection policière ne lui a été accordée. La guillotine médiatique a fait son œuvre. Elle est tombée hélas bien plus vite que le verdict. Mais comme je l’ai dit, mettons de côté notre colère…

L’autre victime de cette histoire, c’est…une certaine idée de la République. Ce n’est pas seulement le sort de Karim Achoui que je pleure, c’est le sort de cette République qui n’honore plus ses principes. Cette République qui repose sur un système de duperie et d’illusions ne devrait plus tromper qui que ce soit. Car Karim Achoui n’a pas été condamné pour ce qu’il a fait. On sait qu’il n’a rien fait. Il a été condamné pour ce qu’il est, ou plutôt pour ce qu’on a voulu qu’il soit : un avocat « d’origine douteuse » dont on ne supportait ni la réussite ni le talent. Or la France d’aujourd’hui ne semble pouvoir et vouloir accepter que ceux qu’elle a elle-même choisi, ceux qu’elle a elle-même intronisé sous ses ors, ceux qu’elle a elle-même mis en avant, ceux qu’elle a elle-même… mis au pas. Ne soyons pas dupes de cette république de « casting » qui ne veut pas de ces symboles qui se font tous seuls, et qui s’étonne, s’effraie de tout ce(ux) qu’elle n’a pas elle-même fabriqué. Elle vaut tellement mieux et tellement plus.

Alors je le redis, ne soyons pas dupes. Ce n’est pas Karim Achoui seul qui est condamné, ce sont tous les Karim Achoui que compte et que comptera de plus en plus notre pays. Combien de temps durera la cécité de cette République qui refuse de les voir ? L’histoire a déjà montré que lorsque l’on s’en prenait à un bouc émissaire pour diviser le corps de la nation, pour épancher ses peurs et exclure des citoyens, il y avait toujours des sursauts civiques pour rappeler à la République ses principes d’égalité et de justice, mais surtout… d’égalité devant la Justice. Soyons de ceux qui accompagnent ses sursauts salvateurs.

C’est notre responsabilité et notre tâche communes d’aujourd’hui. Parce que cette affaire est symptomatique de dysfonctionnements que nous avons le devoir de révéler et de dé-construire, faisons de cette affaire le symbole de notre engagement à restaurer une idée plus digne de la République. Osons en faire, symboliquement, notre « affaire Dreyfus » ! Et comme un symbole ne vit qu’au travers des usages que nous en faisons, sachons investir cet héritage de l’histoire pour le renouveler, le relire autrement pour aujourd’hui et surtout pour demain. L’affaire Achoui ne fait que commencer car nous sommes tous des Karim Achoui.

*****
Lotfi Bel Hadj est président de l’Observatoire économique des banlieues.