Vivre ensemble

Musulmans de France : œuvrer à la reconnaissance de l’altérité

Par Mustapha Cherif*

Rédigé par Mustapha Cherif | Mardi 31 Aout 2010 à 04:54



Durant le mois béni de Ramadan, la pratique religieuse des musulmans de France, à l’instar d’autres contrées, est en nette augmentation. Les musulmans de France sont près de 6 millions, un peu moins de 10 % de la population. Les Algériens, parmi eux, sont les plus nombreux, près de 2 millions.

Contrairement à tous les clichés, les musulmans constituent une population variée, dynamique et ouverte. Des médias et des politiciens déforment avec cynisme la réalité, jettent l'opprobre sur tous les musulmans, les vilipendent en toute impunité et banalisent la xénophobie. La situation est préoccupante, à tel point que l'ONU dénonce une montée de la xénophobie en France.

Alors qu’ils ne sont pas monolithiques, des amalgames offensent les musulmans. Ils sont de bons citoyens et participent sans complexe à la vie de la Cité, mais on les réduit à des caricatures. Les musulmans de France sont pour l’immense majorité des citoyens paisibles, recherchant le vivre- ensemble. Les musulmans en France, contrairement au stéréotypé, sont un modèle d’insertion et de civisme. Ils étudient, s’élèvent dans la hiérarchie sociale et prouvent leurs qualités. Ils savent que leur religion fonde la sécularité, la division du travail et exige la vie sous la forme du savoir. C’est sur cette base que l’islam est valable en tous temps et en tous lieux.

La France sécularisée reste pour eux un espace où leur droit devrait être respecté, malgré l’esprit antireligieux et le laïcisme dogmatique outrancier. La francité culturelle des musulmans maghrébins, ou d’origine, favorise leur participation, tout en revendiquant leur spécificité. Certes, des problèmes existent, mais le citoyen musulman œuvre pour assumer ses responsabilités. Dans ce domaine, le nombre d’associations plurielles qui voient le jour s’est multiplié par 100 en 20 ans.

Des sacrifices et de la sociabilité

Les courants xénophobes entretiennent la peur et le rejet d’autrui, alors que les musulmans de France ont consenti des sacrifices et produit de la sociabilité, du bien social et des acquis positifs. De la délinquance urbaine et des déviances ne peuvent occulter la réalité. La base est respectueuse des lois. Bien plus, elle est même plus crédible que des instances qui prétendent représenter les musulmans. La communauté musulmane de France, déclarait déjà en 1991 le grand islamologue Jacques Berque (Le Figaro, 15 janv. 1991), manque d’un « directeur spirituel », un interlocuteur crédible, qui impulse et permet de se reconnaître. La question de la représentativité se pose.

Un vrai enseignement théologique de l’islam de progrès attend d’être prodigué pour former les cadres nécessaires. Des passerelles et des traits d’union doivent êtres bâtis à tous les niveaux. La visibilité des mosquées est une réalité qui montre que vivre ensemble est possible. Cela ne remet pas en cause les principes de la République : au contraire, c’est cela traduire la philosophie des Lumières, que des islamophobes trahissent, diabolisant les couches vulnérables de la société au lieu de faire face aux réalités.

Pourtant, les citoyens de confession musulmane rêvent d’harmonie et d’une nouvelle Andalousie. Ils savent que l’amitié judéo-arabe et islamo-chrétienne est un horizon sage, qui a fait ses preuves durant des siècles. Ils ne confondent pas sionisme et judaïsme, intégristes chrétiens et christianisme, intégristes laïcistes dogmatiques et humanisme, extrémisme et islam.

L’immense majorité des musulmans, loyaux et conscients, revendiquent surtout des droits sociaux. Des efforts sont enregistrés pour contribuer, dans le cadre de la loi, au soutien financier indirect des élus pour la construction d’espaces cultuels et culturels musulmans.

A force d’actions citoyennes, les musulmans commencent à être reconnus dans leur droit religieux, mais l’extrême droite et des surenchères politiciennes risquent de remettre en cause le droit à ce sujet. Cela a des incidences dans le cadre du vote « musulman ». Les musulmans qui votent doivent apprendre à faire entendre leur voix, réalité incontournable, identique à d’autres communautés et courants d’opinions. Malgré leur poids démographique, les citoyens musulmans restent insuffisamment influents.

La symbiose

Les citoyens français de confession musulmane sont divers. Européens convertis, nouvelles générations de jeunes musulmans Français, d’origines maghrébine, asiatique, africaine, c’est une richesse inestimable. La diversité des rapports aux problèmes dans le quotidien varie selon les générations et le niveau culturel, mais la plupart se démarquent de l’extrémisme et aspirent à être reconnus à la fois comme Français et comme musulmans, l’un n’empêche pas l’autre.

L’appartenance à l’islam, par delà le degré de pratique, reste un lien fort. Ils ont raison de refuser le nivellement de leurs identités et comportements. Ils savent par bon sens que la vérité réside dans l’articulation et la symbiose et non point dans le déni d’un aspect de leur personnalité et de leur Histoire.

Exclus des plateaux de télévision et des grands journaux, où sévissent les pyromanes, les xénophobes et les intellectuels marchands qui se disent de culture musulmane et qui dénigrent leur origine, les musulmans ouvrent des sites, organisent des rencontres et s’impliquent. Ils refusent la généralisation des amalgames et la stigmatisation dont ils sont la cible comme épouvantail et diversion aux crises et aux échecs de la société.

La désignation de boucs émissaires crée un climat indigne des valeurs de la République. La France n'est pas un pays raciste, mais elle est traversée par des tentations dangereuses. L’ignorance, le calcul électoraliste et la haine de l'autre aveuglent.

Les nouvelles générations de musulmans renvoient dos à dos : d’une part, les chants des sirènes qui les appellent à l’assimilation, entendue comme la dépersonnalisation, l’oubli des valeurs religieuses sous prétexte d’émancipation; et, d’autre part, les cris des rigoristes, qui les invitent à se replier dans une tradition fermée. Les musulmans savent que la ligne médiane, celle de l’islam de progrès, qui lie, sans confondre, authenticité et modernité, foi et raison, unité et pluralité est la voie de la sagesse.

La pluralité des appartenances

La plupart des musulmans nés en France, tentent d’assumer positivement et pleinement leur destin, leur francité, sans tourner le dos au passé. Ils essayent d’œuvrer pour faire valoir leurs droits parfois bafoués et faire comprendre qu’ils sont non pas des étranges étrangers, mais des citoyens à part entière.

Cela n’exclut pas la pluralité des appartenances et le droit à la mémoire. Ils ont le choix, face aux injustices et aux discriminations, soit de mal réagir, dans l’émotion et le repli, d’imiter des pratiques et approches archaïques qui dénaturent l’islam, soit de vivre de manière réfléchie et de contredire les islamophobes et autres xénophobes.

Les musulmans de France commencent à s’affirmer dans la diversité. Ils ont besoin d’encouragement, de savoir théologique, de formation des animateurs culturels et sociaux, de formation des imams et de vecteurs de communication, comme une télévision cultuelle et culturelle.

Les chrétiens et les juifs disposent de leur télé thématique en France. Riche de par la diversité et aujourd’hui rehaussé par le niveau culturel et l’action pour le vivre-ensemble, on peut imaginer l’avenir des musulmans de France avec confiance. Ils sont contestés par les xénophobes et les ignorants, mais ils présagent de beaux jours si on sait travailler à la synergie au sein de la communauté et avec la société tout entière. D’autant que, malgré les propagandes, la majorité des Français ne confond pas fanatisme et islam.

La France peut être un phare si elle pouvait prouver qu’elle est capable à la fois de bâtir des sociétés ou le multiculturel et le droit à la différence sont respectés et qu’elle construit un rapport juste entre l’Occident et le monde musulman. Être Européen et croyant est possible, même si la religion est marginalisée et sortie de la vie publique. Le musulman, par son attachement à la religion, repose la question du sens et de la transcendance. C’est l’islam de progrès qui contribuera à respecter la démarche et non les crispations et le formalisme. Par l’interconnaissance, il faut œuvrer à la reconnaissance de l’altérité, pas simplement à la tolérance.

Les musulmans d’Europe, aujourd’hui livrés à eux-mêmes, méritent toute notre attention. Ils sont l’objet d’attaques, alors qu’au vu de la crise morale de l'Europe ils peuvent offrir un secours, du lien social, des repères normatifs et des valeurs qui transcendent l'individualisme mortifère et la marchandisation. Ils peuvent contribuer à forger un avenir, à faire mentir la propagande du « choc des civilisations » et à rayonner autour de la Méditerranée.


* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.