Points de vue

Musulmans de France et le vote citoyen

Par Mohamed Mestiri *

Rédigé par Mohamed Mestiri | Mercredi 18 Avril 2007 à 19:53



En 2005, le grand invité d’honneur du centenaire de la loi de 1905 dite de la laïcité était bien l’islam. C’était tout juste un an après avoir vaincu la visibilité d’un fichu islamisant, perturbant l’espace public, et à peine deux ans après avoir sélectionné parmi les «bons  musulmans» les interlocuteurs autour de la table de la République. Un processus de laïcisation de l’islam de France plutôt pressé et compressé, couronné par les affaires polémiques autour de l’encadrement des imams sous la menace sécuritaire du fondamentalisme et du terrorisme. Durant ces dernières années on n’a épargné aucun effort pour qu’auprès de l’opinion publique l’islamophobie, la culture de la peur de l’«étranger» et la méfiance à l’égard de la diversité soient normalisées.

En 2007, le grand absent du débat électoral est sans doute l’islam, alors que visiblement tout semble prêt pour continuer à se défouler et à se déchaîner sur tout ce qui a trait à l’islam. Une véritable culture d’islamalgame est définitivement instaurée dans le discours médiatico-politique. Un mode de thérapie collective face au malaise social général, celui du chômage, de la pauvreté et de la violence urbaine. L’islam est toujours celui qui nous vient d’ailleurs, celui qui incarne les risques d’une immigration excessive et envahissante. Cette immigration n’est pas seulement celle d’un potentiel de chômeurs, mais aussi et surtout celle de valeurs et d’un mode de vie jugés contradictoires et incompatibles avec la modernité occidentale. Par ailleurs, l’islam citoyen, celui qui illustre une diversité de cultures, se réclamant partiellement ou totalement d’un patrimoine, d’une mémoire ou d’une histoire musulmane quelconque, et qui caractérise le particularisme culturel de ces millions de citoyens, cet islam majoritaire continue à être occulté et dénigré.

Tout est fait pour réduire ces citoyens de cultures musulmanes à un statut de membres d’une communauté tantôt confessionnalisée, tantôt nationalisée, et souvent sectarisée, sous les différents labels de l’islamisme et du fondamentalisme. Autour de « la table de la République », tout le monde joue le jeu. Une complaisance optimale réunit les différents antagonistes pour représenter et promouvoir l’islam officiel de France. Mais derrière cette mascarade communautariste et confessionnalisée de l’islam de France, se dissimule un objectif essentiel : celui de la non reconnaissance d’un statut égalitaire aux citoyens musulmans de France. Le traitement d’exception marque toujours la gestion de l’islam, au regard de la laïcité et des lois républicaines. Et tant que nos « bons musulmans » cautionneront ce traitement, nous ne pourrons atteindre le statut de citoyens à part entière. Un « bon musulman » doit admettre la tutelle des conventions communautaristes faites autour de l’islam, pour qu’il soit bien étiqueté comme moderne ou modéré, et définitivement rangé avec les « sans paroles ». A défaut, la docilité pardonne toute suspicion d’islamisme et d’orthodoxie. Plus on est dans une démarche communautariste, plus on se conforme à l’image et à l’idéal de l’islam de France promu.

Lorsqu’on observe cette compétition accrue pour organiser des grandes messes communautaristes au nom des musulmans, et pour finir par déclarer « Halal » ou « moderne » la participation politique, on peut mesurer la gravité de la situation. Le fossé entre les musulmans -vivant dans une attitude citoyenne- et leurs « représentants » -agissant dans une logique d’auto marginalisation- devient de plus en plus conséquent. Cette obsession de « Halaliser » la présence des musulmans dans l’espace citoyen et de confessionnaliser leurs problèmes va à l’encontre du sens même de l’engagement social dans la philosophie de l’islam. Le juriste religieux n’est pas à consulter dans tous les domaines, mais uniquement dans les cas difficiles et équivoques en matière de religion. La responsabilité dans la société est un devoir de tous les humains en référence avec le principe d’homme vicaire sur terre, rappelé à plusieurs reprises dans le Coran. Toute idée d’engagement pour défendre et soutenir la dignité, la justice, l’équité, la diversité et la solidarité est confirmée et recommandée à tous selon la vision de l’islam. Elle écarte ainsi toute instrumentalisation sectaire au nom de l’islam. La contribution des érudits et des intellectuels devient de plus en plus précieuse afin d’élever le débat sur le rôle citoyen des communautés musulmanes, et tenter de sortir des clivages du traditionalisme et de l’islamisme, et des enjeux du pouvoir au nom de l’islam.

Certes, la pratique de l’islam en France souffre d’un déficit de structures et de moyens. Elle souffre aussi d’une stigmatisation continue en rapport avec les différentes manifestations de son appartenance religieuse. Ces questions soulevées ou plutôt occultées ces dernières années telles que l’enseignement religieux, la construction des mosquées et le port du voile, illustrent bien le malaise que subissent les musulmans de France dans la pratique de leur rite. Néanmoins, ce nouveau malaise qu’on peut appeler malaise rituel est en intime rapport avec le malaise social en général. Les différentes formes de marginalité citoyenne qu’endossent les musulmans viennent encadrer les stéréotypes religieux. Toutes les statistiques montrent que les populations de cultures musulmanes sont parmi les plus touchées par la fracture sociale en matière d’emploi, de logement, et d’éducation. De plus leurs revendications citoyennes sont peu relayées dans le discours politique, et le jeu politique montre des réticences profondes quant à l’intégration pleine de nouveaux acteurs politiques issus de ces populations. La culture de l’arabe et/ou du musulman de service envahit l’espace politique aussi, et rend peu probable l’émergence d’un leadership représentatif des aspirations de ces populations.

Paradoxalement, plus l’affirmation citoyenne s’exprime fortement de la part des populations de cultures musulmanes, plus la volonté d’occulter ces populations dans le champ communautariste dans son aspect religieux ou laïc se manifeste activement à travers le discours politique. Cela avec une large complaisance des « bons musulmans » qui veillent à inculquer la résignation et la fatalité dans leurs communautés au nom du respect des lois de la République. En vérité ces « bon musulmans » agissent avec l’esprit de l’allégeance absolue au gouverneur. Allégeance qui leur a été inculquée dans leurs pays d’origine, et qui vient s’ajouter à un sens de fanatisme et de peur quant aux intérêts de leurs groupes.

Voter citoyen, c’est revendiquer des droits égalitaires, et une reconnaissance des spécificités culturelles, indépendamment de son affiliation idéologique ou politique. Voter citoyen, c’est refuser de se ranger dans la servitude et de se résigner à la censure, au nom de l’islam modéré. Voter citoyen, c’est s’interdire la fatalité de l’affiliation à « l’islam des pays d’origine » ou des tendances idéologiques et sectaires. Voter citoyen, c’est rejeter toute réduction des populations de cultures musulmanes à la religion, à l’image folklorique et exotique coloniale, à l’immigration illégale et au danger sécuritaire. Or, c’est cette image qui ressort le plus des programmes électoraux dans leur majorité. La démocratie est la loi des plus entendus et de la majorité influente. La majorité silencieuse et les minorités asservies n’ont aucune place dans le jeu démocratique. Il est grand temps que la voix citoyenne des musulmans de France soit entendue. A défaut que cette voix soit audible dans les partis politiques, les différents groupes d’influence et de pression ou surtout dans le débat intellectuel, elle doit être suffisamment relayée dans les urnes.

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* Mohamed Mestiri est directeur de l'Institut International de la Pensée Islamique