Points de vue

Minorités visibles versus majorité invisible : promotion de la diversité ou de la diversion ?

Rédigé par Vincent Geisser | Mercredi 14 Novembre 2007 à 11:03

La France de la Liberté-égalité-fraternité ne sait pas gérer sa diversité. La gauche a déçu les espoirs soulevés par « La marche pour l'égalité » passée dans l'histoire comme « La marche des Beurs ». Elle s'est cachée derrière SOS-Racisme et a inventé le vocable « intégration » qui a fait diversion un moment mais ne leurre plus grand monde. A droite, on parle à la fois de « discrimination positive » et de "mouton dans la baignoire" avant de s'aventurer à quelques nominations d'éclat. Chercheur au CNRS et directeur de la revue Migrations-Société, Vincent Geisser porte ici son regard de sociologue sur une situation qu'il observe depuis de longues années.



« Je souhaite que les élites françaises ressemblent à la diversité de la France. La diversité, il faut qu'elle soit à la base, mais il faut qu'elle soit aussi à la tête ».

 

Nicolas Sarkozy, 8 février 2007.

 

« J’ai bien conscience du temps perdu. Et je me suis donc attaché à ce que la diversité de la société française puisse figurer au sein des instances de notre Parti socialiste comme à l’occasion des différentes élections (européennes, régionales et bientôt législatives). L’effort que nous avons fait est significatif même s’il reste encore insuffisant ; il faudra poursuivre dans cette voie ».

 

François Hollande, 19 juillet 2006.

 

[…] Vous avez affirmé, asséné, martelé la nécessité de reconnaître que la société française du xxie siècle n’était plus réduite à sa simple expression gauloise. La désignation des candidats aux législatives de 2007 devait acter la crédibilité de cette volonté. En guise de hardiesse, vous pouvez admirer la culture intensive de nos faiblesses : cumul des mandats, maintien des privilèges des oligarchies locales et de la gérontocratie, défense des intérêts particuliers, entretien des petits arrangements entre “amis” ».

 

Club « Prairial 21 », Convention nationale du Parti socialiste, 1er juillet 2006.

 

 

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e mot « diversité » est aujourd’hui sur toutes les lèvres, en passe même de supplanter celui d’ « intégration ». Même notre revue Migrations Société n’a pas pu résister à la tentation, en organisant le 29 novembre 2006 une table ronde sur les « minorités visibles à la télévision » dans le cadre de son grand colloque « Informer sur les migrations »[1]. La « diversité » apparaît comme la formule miracle pour résoudre près de vingt ans de « retard français » dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Faute d’une politique publique cohérente, capable d’activer les différentes instances de l’Etat à l’échelon national et surtout aux échelons locaux, l’on prétend « diversifier » dans tous les secteurs (médias[2], entreprises[3], partis politiques[4], forces de l’ordre[5], cinéma, showbiz, etc.), se donnant par là l’illusion d’insuffler des solutions « techniques » à problème qui se situe pourtant d’abord dans la tête de nos élites politiques et intellectuelles. Depuis quelques années, en effet, la France se hisse en grande prêtresse républicaine de la diversité en Europe : on produit des policiers de la diversité, des entrepreneurs de la diversité, des militants politiques de la diversité, des présentateurs TV de la diversité, des footballeurs de la diversité, des top-modèles de la diversité et même des acteurs de télé réalité de la diversité ! La diversité « à la française » s’affiche partout en couleur, donnant des leçons au monde entier, conformément à la « bonne vieille idée », que seul l’universalisme français serait porteur de « progrès », narguant ainsi les communautarismes de nos voisins européens et de notre allié américain[6].

Mais c’est bien là le problème majeur : la diversité « à la française », telle qu’elle est conçue et promue aujourd’hui dans l’espace public national, reproduit globalement le schéma ethnocentrique et quelque peu jacobin de la problématique intégrationniste, s’inscrivant moins comme une rupture avec les modes de gestion et de représentation passés de la « Différence », que comme un héritage, dont la façade aurait été à peine rafraîchie. Ce n’est pas tant l’aspect « gadget médiatique » et « poudre aux yeux » de la diversité qu’il convient de critiquer ici -cela fait partie du marketing politique accompagnant désormais tout dispositif public - mais davantage le caractère autoritaire et unilatéral d’un processus qui prétend sortir les « minorités » ou les individus perçus comme « minoritaires » d’une situation d’inégalité. En somme, pour être clair, la diversité est un processus imposé « par le haut » au mépris des appartenances, des pratiques et des ressentis citoyens, aboutissant à ce paradoxe de contribuer davantage à « minoriser » et à marginaliser les personnes – la fameuse « aporie républicaine » déjà présente dans les projets d’assimilation et d’intégration au XIXe et au XXe siècles[7]  - qui sont pourtant censées en bénéficier : c’est une diversité imposée. Elle fige des « situations minoritaires », qu’elle prétend combattre par ailleurs, venant légitimer cette représentation ô combien perverse que les minorités seraient nécessairement « visibles » et la Majorité évidemment « invisible ».

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r, en dépit des intentions louables et généreuses des promoteurs officiels de la « diversité », nous sommes bien confrontés à la situation inverse : en France, c’est la Majorité qui est visible – d’aucuns diraient « trop visible »- et les dites « minorités » - qui n’en sont pas d’ailleurs – actuellement invisibles dans les hiérarchies institutionnelles du secteur public et du secteur privé. Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit ni de légitimer l’idée de « minorités ethniques » dans la société française, ni de dénoncer un quelconque « racisme français » mais, au contraire, de monter que, depuis plus de trente ans, les dispositifs publiques d’intégration des populations héritières de l’immigration et des DOM-TOM fonctionnent sur le présupposé exclusif (et donc excluant ) de l’existence d’une majorité ethnoculturelle (les Français dits « de souche »), à laquelle lesdits « minoritaires » (les Français dits « de branches ») devraient se conformer à plus ou moins longue échéance. Si l’on devait pousser plus loin la critique de la thématique hégémonique de la diversité, l’on serait tenté de dire qu’elle repose sur la tête : elle vient renforcer la représentation central d’un « noyau national » (les vrais Français), auquel viendrait s’agréger progressivement et surtout sélectivement des minorités (les demi-Français), l’objectif étant d’autoriser quelques individus, triés sur le volet, d’y pénétrer et ceci pour préserver l’essentiel du système. Au bout du compte, la problématique officielle de la diversité n’apparaît pas seulement comme une solution bancale – si elle n’était que cela, ça ne serait finalement pas si grave – mais comme une véritable régression mentale : elle périphérise des individus et des groupes sociaux sous prétexte qu’ils seraient « originaires de… », « issus de… » ou « héritiers de … », comme si les porteurs d’identités n’étaient que lesdits minoritaires (les Arabes, les Maghrébins, les Musulmans, les Domtomiens, etc.), alors que lesdits Majoritaires seraient, eux, porteurs d’une sorte de « pureté universelle » ou d’une « culture universaliste », nécessairement invisible et parée d’une forme de neutralité identitaire imparable. Comme l’exprimait très bien le sociologue Abdelmalek Sayad, le fait même que l’on parle en France de « naturalisation » et non de « nationalisation »[8] concernant le fait de devenir français tend à prouver que nous fonctionnons toujours implicitement sur une conception identitaire et culturelle de la citoyenneté, ce qui explique d’ailleurs que certains de nos concitoyens soient encore vus comme des « Français de papiers », c’est-à-dire des « nationalisés » mais pas encore tout à fait comme des « naturalisés ». Si l’on persiste à traiter ces derniers comme des « minorités visibles », c’est que secrètement l’on espère qu’ils deviendront un jour, avec le temps (dix, vingt, trente, quarante ans… ?), des membres à part entière de la Majorité invisible mais le prix du ticket d’entrée reste élevé et le patron de la boutique « France » (les élites au centre du noyau national) se donnent le droit de refouler certains clients. Nous touchons là au paradoxe de la problématique de la diversité : elle s’impose comme un processus extrêmement sélectif, un véritable parcours du combattant de la conformité ethnoculturelle, pour les individus minoritaires qui aspirent à intégrer les « hautes sphères » de la Majorité invisible.

 

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l y a donc urgence à remettre la problématique de la diversité sur ses pieds, c’est-à-dire, en définitive, à y renoncer très vite, car loin de « diversifier » les pôles de décision dans notre pays, elle participe davantage à produire de la diversion, tel un voile culturel posé sur la réalité des mécanismes de la discrimination. Nous nous risquerons ici à employer un néologisme : la diversité diversionne et divertit plus qu’elle ne diversifie, elle détourne plus qu’elle ne redistribue le pouvoir et les responsabilités dans le secteur public comme dans le secteur privé. Il ne s’agit pas de verser dans la critique nihiliste mais, au contraire, de penser une réforme profonde de notre rapport intime à l’identité nationale qui est encore trop conçue sur le modèle nodal, à savoir un noyau dur (les porteurs légitimes de l’identité française) et des cercles concentriques (les étrangers, les immigrés et les minorités dites « visibles » qui sont perçus comme des « illégitimes de la nationalité »). Nous l’avons écrit depuis longtemps : la question de la présence des Français héritiers de l’immigration et des DOM-TOM dans les sphères de pouvoir politique, médiatique et autre n’est pas seulement un problème d’ordre quantitatif (le nombre, le pourcentage, la statistique) mais d’abord qualitatif, au sens où l’on peut parler de « qualité de la démocratie française » comme on parle de « qualité de la vie ». Aussi le vrai problème devant être soulevé dans le cadre d’une réforme profonde de notre vie publique et institutionnelle n’est-il pas celui du déficit de « Français issus de…. », mais davantage celui du « trop plein » de certaines catégories socioculturelles, squattant et monopolisant les postes de responsabilités et se comportant en véritables gardes frontières de l’identité nationale, filtrant les entrées à leur guise et à leur rythme. La question pertinente à poser n’est donc pas « Pourquoi n’y a-t-il pas beaucoup de Mohammed, Rachida, Mamadou ou Aïssatou, aujourd’hui à l’Assemblée nationale ou sur les écrans pâles de la télévision ? » mais plutôt « Pourquoi y a-t-il trop de Pierre, Paul, Jacques, hommes généralement d’âge mur… dans ces mêmes lieux de pouvoir » ?, ce qui correspond précisément à un reversement de la problématique de la diversité (la remettre sur ses pieds), évoqué précédemment. C’est avec cette représentation implicite mais dominante de l’existence d’une Majorité invisible et de minorités visibles qu’il il faut impérativement rompre. C’est une condition sine qua non, si l’on ne veut pas que la diversité – qui fait plus figure pour l’instant de label marketing que de véritable politique publique - débouche sur les mêmes ambivalences stériles que les « grands projets » d’assimilation, d’intégration et de lutte - à dose homéopathique - contre les discriminations qui se sont succédés dans l’histoire récente de notre pays. Sur ce plan, les demi-échecs ou les demi-succès – tout dépend du point de vue duquel on se place - des expériences « diversité » conduites depuis plusieurs années dans les champ politique (principalement dans le cadre des partis politiques) et médiatique (les chaînes de télévision et les stations de Radio France) sont porteuses de leçons que nous ramènerons à quatre « tentations » qui apparaissent comme autant d’effets pervers d’une diversité imposée et octroyée, au-delà de toute revendication collective ou de mouvement social.

 

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a première tentation est sans aucun doute celle de l’exotisme qui a déjà une longue histoire en France et qui renvoie à une colorisation superficielle et quasi folklorique de nos institutions publiques et privées. Elle ne se réduit pas simplement à la logique de l’alibi (candidats alibis, élis alibis, journalistes alibis, acteurs alibis..) qui consisterait à placer quelques « représentants » des dites « minorités visibles » pour se donner bonne conscience. Il s’agit moins d’un calcul stratégique pour éviter une contestation sociale que d’une croyance profondément ancrée, selon laquelle la cooptation de quelques-uns –même symbolique – peut susciter un effet d’entraînement et d’imitation sur les autres minoritaires. En somme, c’est une redistribution très partielle des cartes du pouvoir par une gestion essentiellement symbolique mais qui retarde évidemment la prise de conscience globale du problème, comme on l’a vu pendant de nombreuses années avec la mise en avant de « femmes potiches » par les partis politiques (PS, UDF, RPR, etc.) et les institutions officielles. Dans ce dernier cas, la promotion des femmes s’est inscrite en faux contre les revendications féministes, comme aujourd’hui la cooptation de quelques Français héritiers de l’immigration et des DOM-TOM en politique et dans les médias courcircuitent les tentatives d’une réforme profonde de nos institutions, afin qu’elles soient davantage « à l’image » de la société française. Comme l’affirmait Rachid Arhab, journaliste et aujourd’hui membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), « j’ai été le symbole qui a tué le symbole »[9], signifiant par là que la visibilité d’un seul (la sienne) avait probablement contribué à retarder l’émergence de tous les autres. C’est certainement une phrase « choc » mais qui a au moins le mérite de mettre en exergue les limites d’une politique purement symbolique : elle rend visible « la minorité de la minorité » pour mieux laisser les autres dans l’invisibilité politique et médiatique. Par ailleurs, la diversité exotique se trouve trop souvent couplée à une forme de sexisme à l’envers qui consiste à valoriser les femmes issues des « minorités », parce que réputées « apprivoisables » et « domesticables » au détriment des mâles jugés plus « farouches » et donc moins « contrôlables ». Il existe bien une forme d’exotisme au féminin ou de féminité exotique[10] qui, en retour, créé de nouveaux clichés et confortent les préjugés sur les difficultés d’adaptation des hommes issus des dites « minorités visibles ».

 

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a deuxième tentation est celle de l’assignation à résidence communautaire et/ou identitaire. Elle consiste à placer les « promus » - c’est vrai pour les journalistes comme pour les militants politiques – dans des postes ou fonctions définis explicitement ou implicitement sur des critères ethniques. Dans nos travaux sur l’ethnicité politique en France[11], nous avons eu l’occasion de réfléchir longuement sur les limites de ce mode de promotion : outre le marquage identitaire qui enferme inévitablement les individus dans des « niches professionnelles » ou des « niches électives » - les préposés politiques et médiatiques aux « affaires immigrées »s et aux « problèmes de banlieues » -, elle se traduit concrètement par une extrême précarité pour les titulaires des mandats et des fonctions. Faisant fi des compétences, des expériences et des aptitudes du postulant – à l’exception de ceux signifiés par sa supposée « origine communautaire -, elle le réduit à n’être qu’une « case ethnique » dans le cadre d’une division du travail politique et journalistique, où l’on distingue clairement les tâches nobles des tâches ingrates, les tâches « blanches » des tâches « grises ». Dès lors, l’on peut comprendre qu’à des promotions rapides et fulgurantes – une visibilité politique ou médiatique conquise en peu de temps – succède généralement un phénomène de « stagnation identitaire », l’individu en question – l’élu ou le journaliste – parvenant difficilement à « décrocher » d’autres fonctions ou responsabilités autres que celles prescrites par son ethnicité réelle ou imaginaire. Les situations de ce type ne sont pas rares dans la société française : l’ethnicisation de la représentation a été souvent corrélée à une ethnicisation des rôles sociaux, avec l’émergence de toute une série de catégories de pseudo fonctions, telles que celles des « médiateurs » et des « grands frères », dont on trouverait aisément des équivalents dans les champs politique et médiatique.

 

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a troisième tentation, dont les mécanismes sont assez proches de la précédente, est ce que nous appellerons l’ethnicisation ou la communautarisation de marché. A la différence de l’assignation à résidence communautaire « classique », héritée principalement de la période coloniale, cette tentation se fonde davantage sur une vision libérale de la société française, comme une sorte de « vaste marché », découpé en multiples segments socioculturels. Cette tendance est déjà marquée dans les médias où les études de marketing prétendent prendre en compte de plus en plus la « diversité socioculturelle » de la société française, ciblant désormais les auditeurs et les téléspectateurs sur des critères ethniques ou communautaires non avoués. La loi du marché impose donc que l’on ethnicise les programmes et, dans la foulée, leurs animateurs et leurs présentateurs. C’est un discours et une stratégie qui fait désormais florès chez les professionnels de la communication : le réalisme économique – celui du « marché » bien sûr – justifie l’introduction de la diversité dans le PAF [paysage audiovisuel français], se conformant ainsi à un calcul implacable : certes, c’est une vision cynique et utilitariste mais qui a au moins le mérite de la clarté. Injecter un peu de « noir » ou de « mât » dans les émissions monocolores, c’est la garantie de conquérir de nouveaux auditeurs, de nouveaux « acteurs passifs » de la publicité et donc, au bout du compte, de nouveaux consommateurs : « Enrichissons-nous en ethnicisant le PAF ! Enrichissons-nous en communautarisant les écrans ! », pourrait devenir les nouveaux slogans des annonceurs et de leurs commanditaires.

On trouverait des attitudes et des comportements similaires dans le champ politique, où l’on assiste également à un processus de clientélisation généralisée des électeurs, avec un recours de plus en plus fréquent aux référents ethniques et communautaires. Le ciblage identitaire des électorats locaux est devenue aujourd’hui une pratique courante chez certaines élites politiques qui font preuve d’un certain réalisme sociodémographique : pour gagner une circonscription, une municipalité, un canton…, il est parfois tentant d’opérer des distributions de postes et de gratifications symboliques ou matérielles sur des critères ethniques, au risque de légitimer une sous-catégorie de militants, de candidats et d’élus de la « diversité », dont la principale fonction serait précisément de rabattre les électeurs dits « communautaires » vers les grands partis (PS et UMP). La clientélisation du champ politique débouche inexorablement sur une forme clientélisme de type ethnique qui n’est pas exclusive d’autres pratiques clientélistes fondées sur la métaphore du « marché ». De ce point de vue, l’on voit se développer un phénomène de clientélisation ethnique offrant d’étranges similitudes entre le champ politique et le champ médiatique.

 

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a dernière tentation est celle d’une gestion quantitative de la diversité à partir des statistiques ethniques qui prétendrait reconfigurer les contours d’une « nouvelle démocratie française », fondée sur la représentation-représentativité de toutes les minorités, en fonction de leur poids sociodémographique dans la société française[12]. Nous ne sommes pas très éloignés de la logique précédente, à la différence qu’elle est moins le fruit d’une stratégie de marketing communicationnel ou politique que le produit de revendications lobbyistes, portant par des organisations s’érigeant en représentant légitime de leur « minorité » ou de leur « communauté ». L’on observe déjà l’esquisse de ce types de stratégie dans l’espace public français avec des organisations comme le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) ou encore le Conseil des démocrates musulmans (CDM) qui cherchent à peser sur la vie politique française, en faisant valoir la représentativité politique de leur groupe communautaire. Le problème majeur de ce type de démarche n’est pas tant son hypothétique « communautarisme » qui saperait les fondements de la République, que sa tendance à réifier les « communautés » en leur donnant une existence politique qui est loin d’être évidente et surtout en posant la question du « nombre » au détriment de la question de fond, à savoir, celle d’un décalage permanent des nos grandes institutions publiques et privées par aux diverses réalités sociales. Celles-ci ne se réduisent – fort heureusement – au seul problème de l’ethnicité. Par ailleurs, l’on peut légitimement craindre que cette forme de lobbysme communautaire favorise des logiques de mobilisations élitistes « en réseaux » qui permettent à quelques leaders et personnalités communautaires de négocier des « places » au détriment des aspirations et des besoins des membres ordinaires des groupes ou communautés qu’ils sont pourtant censés représenter. Il paraît évident que l’élitisme communautaire que l’on voit se développer en France, ces dix dernières années, dans sa forme laïque ou religieuse, a pour principal effet (pervers) d’occulter la question sociale, en l’ethnicisant[13] au profit de quelques-uns. La logique statistique décrite ci-dessus produit inévitablement à moyen terme un effet d’occultation des inégalités sociales, sublimées dans un jeu d’élites, dont le principal objectif est de conquérir des « places », au détriment de « la place » des groupes socioculturels dominés, dont ils prétendent pourtant être les porte parole.

 

A travers ces quatre tentations, trop brièvement analysées, l’on comprendra aisément que la problématique de la diversité en politique, dans les médias et, dans une moindre mesure, au sein monde de l’entreprise, est loin d’être une question simple. A l’heure actuelle, l’on peut regretter qu’elle contribue davantage à une certaine diversion, voire à une dispersion des questionnements, qu’à une véritable réflexion sur le refondation de notre vielle démocratie française : la quasi invisibilité des minorités dites pourtant « visibles » au sein de la nouvelle Assemblée nationale, élue le 17 juin dernier (une seule députée d’origine antillaise élue en métropole[14] et aucun député issu des migrations maghrébines et africaines !), ne nous démentira pas[15].

 

Article paru dans le n° 111-112, vol. 19, mai-août 2007 de la revue Migrations-Société.


 


[1] « Informer sur les migrations », organisé par le CIEMI les 29 & 30 novembre 2006 au Centre Sèvres de Paris, en partenariat avec France Télévisions, Les Echos, Radio Droit de Cité et Témoignage Chrétien.

[2] CLUB AVERROES, Bilan de la diversité dans les médias audiovisuels de novembre 2005 à octobre 2006, Paris, octobre 2006, 30 p ; FASILD, « Ecrans pâles : diversité culturelle et culture commune dans l’audiovisuel », La Lettre du Fasild, n° 62, janvier 2005, 28 p. ; HAUT CONSEIL Á L’INTEGRATION, Diversité culturelle et culture commune dans l’audiovisuel, Avis à Monsieur le Premier ministre, 2005, 87 p.

[3] INSTITUT MONTAIGNE, « La charte de la diversité dans l’entreprise », téléchargeable sur le site de l’institut : www.institutmontaigne.org.

[4] Cf. le colloque du Haut conseil à l’intégration « Diversité et représentation politique », Paris, Institut d’études politiques, 28 octobre 2006.

[5] Sur la diversité dans la police, cf. notamment BEGAG Azouz, La République à ciel ouvert : rapport à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, Paris, La Documentation française, novembre 2004 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/044000615.shtml

[6] SARKOZY Nicolas, « La France de la diversité », discours de Villepinte, 11 avril 2007.

[7] Dieckhoff Alain, « Les logiques de l’émancipation et le sionisme », dans Pierre Birnbaum (dir.), Histoire politique des juifs de France, Paris, Presses de Sciences Po, 1990, p. 168-169.

[8] SAYAD Abdelmalek, « Immigration et ‘pensée d’Etat’ », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 129, n° 1, p. 5-14.

[9] ARAHB Rachid, déclaration au colloque « Médias et Diversité », organisé par Beur FM et Radio France, Paris, Maison de la Radio, 12 avril 2007 (notes personnelles de l’auteur).

[10] GEISSER Vincent, « Les femmes de l'immigration en politique : le risque de l'exotisme », La Lettre FASILD, numéro spécial, n° 57, 2002, p. 14-15.

[11] GEISSER Vincent, Ethnicité républicaine. Les élites d’origine maghrébine dans le système politique français, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.

[12] Sur son site Internet, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a d’ailleurs créé une rubrique « Statistiques de la diversité » : http://www.lecran.org/newsdesk_index.php?newsPath=50.

[13] GRESH Alain, « On a remplacé la question sociale par la question ethnique », entretien conduit par Denis Sieffert, Politis, rubrique « Idées », 9 septembre 2004.

[14] Il s’agit de Madame George Pau Langevin (PS) qui a été élue députée de la 21ème circonscription de Paris avec 62,70% des voix face à son adversaire UMP Raoul Delamarre. Elle apparaît ainsi comme une véritable rescapée de la diversité.