Points de vue

Manuscrits de Tombouctou : un patrimoine culturel islamique de près de mille ans

Par Charlotte Wiedemann*

Rédigé par Charlotte Wiedemann | Mercredi 5 Mai 2010 à 00:00



(Photo : Alida Jay Boye. Timbuktu Manuscripts Project. Université d'Oslo)
Bamako – Abdelkader Haidara est un homme qui répond vite à ses courriers électroniques. Mais à côté de ses liens avec le monde moderne, il est aussi à l'aise dans une époque complètement différente : celle où, pendant des siècles, Tombouctou, sa ville natale, était le fief de l'érudition islamique.

Quelque cent mille manuscrits anciens témoignent aujourd'hui de cette époque. Rédigés en arabe (à l'époque, langue de l'élite dans l'Afrique de l'Ouest), ils couvrent des sujets aussi divers que le droit islamique, la philosophie, la médecine, l'astronomie et les mathématiques. Abdelkader Haidara possède l'un des plus anciens manuscrits : un Coran datant du XIIIe siècle, écrit sur un parchemin en peau de gazelle.

Abdelkader Haidara a reçu en héritage de son père neuf mille manuscrits, la plus grande collection privée de Tombouctou. Il les a exposés au grand public, initiant une nouvelle tendance: celle selon laquelle les propriétaires privés conservent eux-mêmes leurs trésors plutôt que de les confier à l'Etat malien.

« Les familles sont les meilleurs gardiens de leur propre héritage intellectuel », déclare Abdelkader Haidara.

Mais il s'agit de l'entretien et de la conservation de documents historiques extrêmement fragiles. Et les experts occidentaux associent les projets de financement à l'espoir que ce qui est qualifié de « plus ancienne collection du sud du Sahara » pourra bientôt être consultée sous forme numérique par les universitaires.

Et les propriétaires de manuscrits de Tombouctou ont, depuis longtemps, développé une confiance nouvelle et farouche.

A ce jour, les Européens associent Tombouctou avec le fin fond du monde connu. En réalité, Tombouctou a été un haut lieu du monde austral pendant des siècles, à la fois un centre commercial et une université islamique. Les routes s'entrecroisaient à cette époque : du nord, venaient les caravanes ; le long du fleuve, affluait l'or de l'Afrique de l'Ouest. Les marchands ont attiré les érudits et dès le XVe siècle, Tombouctou comptait vingt-cinq mille étudiants, soit presque autant que sa population actuelle.

Depuis quelques années maintenant, les familles ouvrent leurs coffres où sont conservées des calligraphies dorées qui jaunissent. Les manuscrits sont la preuve que « l'Afrique a joué un rôle dans la connaissance islamique pendant près de mille ans », déclare Albrecht Hofheinz, l'expert islamique allemand responsable de la numérisation des manuscrits à l'université d'Oslo.

Certains proviennent d'Andalousie, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, tandis que d'autres ont été écrits par des auteurs africains à Tombouctou même. Les langues africaines étaient également écrites avec l'alphabet arabe pour le courrier diplomatique et les contrats.

Contrairement à la majorité de ses compatriotes dans le Mali francophone, Abdelkader Haidara, 45 ans, a été élevé en arabe. Sa famille a conservé vivant son héritage arabe et islamique, chaque génération remettant les manuscrits à la génération suivante et ce, depuis le XVIe siècle.

Le père d'Abdelkader Haidara a étudié au Soudan et en Egypte où il a acheté des manuscrits et les a copiés à la main. A cette époque, bon nombre d'autres familles installées à Tombouctou ont commencé à mettre leurs collections sous clef, les cachant même parfois dans le sable, de peur de les voir confisquées par les colonialistes français. Dans l'ancienne ville royale de Ségou, les Français avaient détourné de précieux manuscrits qui, encore à ce jour, sont conservés à la Bibliothèque nationale de France.

Toutefois, en tant que propagandiste pour des initiatives privées, Abdelkader Haidara a passé près de vingt ans à acheter des manuscrits au nom de l'Institut Ahmed Baba dirigé par l'Etat à Tombouctou. Quelque trente mille manuscrits se trouvent archivés là-bas.

Il a été le premier à ouvrir une collection privée en 1993, encourageant d'autres familles à en faire autant. Il en est résulté un véritable boom : Tombouctou se targue maintenant d'avoir trente-deux collections familiales. Les gens sont maintenant de plus en plus conscients de la valeur de leur héritage, y compris sur le plan matériel.

Mais, il y a une quinzaine d'années, lorsque Abdelkader Haidara commençait à chercher une aide financière à l'étranger, personne ne voulait croire à son histoire de collection africaine historique. Le tournant a eu lieu en 1997, lorsque Henry Louis Gates, responsable des études américano-africaines à Harvard, a vu les manuscrits qui l'ont immédiatement impressionné. C'est alors qu'il a trouvé des sponsors aux Etats-Unis pour la collection.

La collection d'Abdelkader Haidara, qui porte le nom de son père, Mamma Haidara, est devenue une petite entreprise de douze employés. En 2008, le Juma Al Majid Center for Culture and Heritage à Dubaï, l'a aidé à installer un laboratoire pour réparer, conserver et numériser les manuscrits.

La collection accueille même régulièrement des ateliers auxquels participent des Arabes de l'Azawagh à courte barbe, qui proviennent de régions du Mali, du Niger et d'Algérie, des Touaregs, nomades berbères, aux turbans et lunettes pour lire, et bien d'autres encore. Ces propriétaires de manuscrits découvrent les catalogues numériques.

Savama, un consortium de collections de manuscrits privées à but non lucratif dont le siège est à Tombouctou, organise ces ateliers et travaille en vue de vulgariser l'héritage, avec des commandes de traductions locales et des cours effectués pendant les vacances. « Posséder des manuscrits que vous ne pouvez pas comprendre est regrettable », déclare Abdelkader Haidara. « Nous sommes en train de perdre notre culture islamique. Les écoles soufies qui ont enseigné un islam tolérant à Tombouctou ont presque toutes disparu. Et même les plus grands historiens du Mali ne parlent pas arabe. »

Abdelkader Haidara envisage, dans un avenir proche, de sortir un CD qui contiendrait des traductions de textes emblématiques portant sur la solution pacifique des conflits et la bonne gouvernance.

Le téléphone sonne et les yeux d'Abdelkader Haidara s'éclairent: un millier de livres sont sur le point d'arriver du Qatar, dit-il, comme collection de référence théorique pour l'étude des manuscrits anciens. Et la semaine prochaine, les Sud-Africains de l'université de Cape Town vont venir pour un séminaire.

Il y a de quoi faire, ici, au fin fond du monde.


* Charlotte Wiedemann est un auteur indépendant. Le texte est disponible dans son intégralité en anglais sur www.qantara.de