Points de vue

Loi séparatisme : des mesures qui « heurtent d’une manière paradoxale et déconcertante nos principes républicains »

Rédigé par Groupe des enseignants catholiques en islamologie (GECI) | Mercredi 3 Février 2021 à 16:30



© Elysée
Membres du Groupe des enseignants catholiques en islamologie (GECI), nous tenons à exprimer notre inquiétude à l’égard du rôle de l’État dans deux textes en débat actuellement : d’une part, la charte des principes pour l’islam de France imposés aux responsables associatifs, gestionnaires de lieux de culte musulmans et aux fédérations qui composent le Conseil français du culte musulman (CFCM) et d’autre part, les articles du projet de loi nº 3649 confortant le respect des principes de la République .

Ce rôle risque de remettre en cause l’équilibre apporté par la loi de 1905 dans les relations entre l’État et les religions.

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Limiter le discours religieux à une pure dimension spirituelle ou éthique contrevient au respect de la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion

Si on peut se féliciter que la charte souligne l’importance de la liberté de conscience et inclut la possibilité de renoncer à l’islam sans stigmatiser ou qualifier d’apostat celui qui abandonnerait l’islam, elle oblige cependant à une forme de dépolitisation des responsables du culte musulman et auteurs du discours religieux.

Au nom du respect des principes républicains est affirmée ici l’impossibilité d’une voix discordante qui est affirmée, ce qui est en contradiction avec le principe même de la laïcité. Les croyants de toutes religions ne sont pas seulement des priants mais aussi des citoyens. Au nom de leurs convictions, éclairées de leur foi, ils ont le droit d’exprimer dans l’espace public leurs désaccords et de contribuer ainsi à l’enrichissement du débat national. Limiter le discours religieux à une pure dimension spirituelle ou éthique contrevient au respect de la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion.

Par ailleurs, en son article 10, le principe posé d’exclusion des instances de l’islam de France en cas d’infraction constatée à la charte risque d’accroître des fractures au sein de l’islam en France, au lieu de les résoudre.

Des mesures qui nourrissent une image négative des religions

Quant au projet de loi confortant le respect des principes de la République, il ne peut se faire au détriment des libertés et droits fondamentaux assurés par le préambule de la Constitution française de 1958. Or, le projet de loi ouvre à d’inquiétantes mesures dont nous devons bien évaluer les conséquences.

Le renforcement de la police des cultes, l’atteinte à la liberté d’association en adjoignant à la création de toute association la signature d’un « contrat d’engagement républicain », la possibilité d’exercer plus largement des contrôles sur les finances et les discours, le contrôle renforcé sur les établissements scolaires privés, le passage d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation pour les établissements hors contrat, etc., nourrissent une image négative des religions auprès de nos concitoyens et heurtent d’une manière paradoxale et déconcertante nos principes républicains.

Les leçons sur l’importance de la religion pour répondre aux dérives totalitaires inhérentes à la démocratie ne sauraient être sacrifiées

L’histoire montre que, dans des contextes idéologiques autoritaires, de dérives étatiques sectaires ou racistes, la garantie de la liberté religieuse constitue un solide rempart envers des dérives que la France a connues au cours de la Seconde Guerre mondiale et que nous connaissons encore aujourd’hui sur notre continent européen. Les leçons de Tocqueville sur l’importance de la religion pour répondre aux dérives totalitaires inhérentes à la démocratie ne sauraient être sacrifiées sous prétexte qu’il faut apporter une réponse législative au développement d’un islam politique et communautariste, bien réel mais cependant très minoritaire.

Si l’on peut comprendre que ces textes cherchent à protéger la société de toute incitation à la haine, on peut s’étonner qu’ils semblent ignorer les moyens déjà prévus par diverses lois. En outre, ils semblent considérer tous les croyants de notre pays comme une catégorie à part des autres citoyens, devant apporter d’autres preuves de leur attachement à la République que celles que requiert la Loi.

Comme le dit Philippe Portier, historien spécialiste des religions, « la laïcité, initialement conçue, dans l’esprit de Briand et Jaurès, comme un régime de protection des libertés, se voit transformée en instrument de contrôle des conduites et des croyances religieuses, au nom des « valeurs » que l’État définit » (La Croix, 25 janvier 2021).

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