Points de vue

Les perspectives de paix au Proche Orient

Colloque organisé par l’IRIS et l’institut Gabriel Péri à l’Assemblée Nationale.

Rédigé par Nadia Sweeny | Samedi 22 Avril 2006 à 01:19

De nombreux représentants palestiniens et israéliens, ainsi que des parlementaires, des universitaires et des militants français ont pu se réunir, ce mercredi 19 avril 2006, afin d’évoquer les perspectives de paix au Proche Orient. Du constat de l’importance stratégique du conflit dans le jeu politique mondial jusqu’à ses nombreuses répercutions sur les sociétés européennes et en particulier la France, il est urgent de mettre en place un processus de paix, dans lequel l’Europe pourrait avoir toute sa place.



Au delà des frontières

Le conflit israélo palestinien qui se déroule sous nos yeux depuis plus de 50 ans, constitue, d’un point de vue politique, stratégique et diplomatique, lE conflit auquel il faut mettre fin. « Ce conflit est devenu l’épicentre d’un choc des civilisations, c’est un conflit central et non plus périphérique, d’une importance stratégique majeure pour le monde. » explique Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La situation au Proche Orient a été ponctuée dernièrement par l’arrivée du Hamas au pouvoir en Palestine, la victoire de Kadima et le poids accru du parti travailliste à la Knesset (parlement) en Israël, ce qui relance les cartes du jeu politique dans la région. Effectivement, le Hamas à la tête du gouvernement palestinien, ne favorise pas le processus de paix car il nie l’existence de l’Etat d’Israël. Cependant, étant le choix démocratique du peuple, il est irréversible et indiscutable. « La question est de savoir comment intégrer ce Hamas au jeu politique et diplomatique. » explique P. Boniface. Les répercussions sur les influences mondiales dans la région on été dramatiques et excessives. L’arrêt total de l’aide financière octroyée par les Etats-Unis et l’Europe, au gouvernement palestinien en est une facette, et la totale rupture de dialogue en est une autre. C’est la crispation générale.

Du côté d’Israël, la victoire de Kadima et d’Ehud Olmert et sa volonté de garder la ligne conductrice mise en place par Ariel Sharon, peut être vue de deux façons selon P. Boniface. Soit nous sommes optimistes et le retrait de gaza, est un premier pas vers une paix probable, soit nous sommes pessimistes et ce dernier compte jouer sur les marges territoriales. Ce qui est malheureusement le cas, précisément par le tracé unilatérale et absolument grotesque du Mur séparant les deux peuples. Les plus défaitistes sont d’ailleurs très alarmant. Elias Sanbar, écrivain et observateur permanent de la Palestine auprès de l’Unesco, exprime son désarroi : « il est déjà trop tard, la machine est en marche ». Mettant en avant l’énorme erreur que constitue l’arrêt des aides financières, « le Hamas se dirige vers Téhéran. » explique-t-il.i[ « Les boycotteurs ne réalisent pas que leur propre intérêt serait que cela n’arrive pas. L’Iran est devenu une force nucléaire et la pièce maîtresse de l’échiquier régional. […] Le Hamas engendre, sur le plan international, une rupture qui indispose toute la population palestinienne. Lorsque Le Likoud est arrivé au pouvoir en Israël, il n’y a pas eu de rupture avec les pays occidentaux. Les éléments sont biaisés pour la population palestinienne. » ]iRegrettant cette situation, il explique comment la politique israélienne est en permanence tournée vers la destruction continuelle de la légitimité des interlocuteurs possibles en Palestine. « Le Hamas n’est pas la cible réelle de la politique de censure, mais bien ceux qui veulent négocier, d’où le discours de rejet de l’islamisme. Israël passe son temps à déclarer qu’il n’y a pas d’interlocuteurs palestiniens elle cherche à légitimer son unilatéralisme » insiste E. Sanbar. « Ils sortent les palestiniens du jeu mais forcent par là, un agrandissement de la sphère. Ainsi, le conflit israélo arabe change de nature pour glisser vers un conflit judéo musulman. »

La paix, qui, quand, comment ?

Pascal Boniface, directeur de l'IRIS
Pourtant, nombreux sont les processus de paix qui ont été mis en place, suivis au début puis entravés et abandonnés. Il est tout de même important de souligner que malgré la situation actuelle, il a été, un jour, possible de les asseoir à une même table et de les faire signer des traités sur lesquels ils s’étaient mis d’accords. Outre les idéologies, les réponses doivent être pragmatiques et concrètes. Les compromis doivent être partagés, et il faut comprendre et intégrer les intérêts de chacun et il est évident que la paix est la seule chose dans laquelle les deux peuples ont des intérêts communs. Les problèmes qui se posent s’articulent autour de plusieurs gros points sensibles. Le premier est le retour des réfugiés, chose sur laquelle les palestiniens devront faire un compromis car pour sa survie, Israël ne peut pas permettre que la population palestinienne devienne majoritaire chez elle. « Les palestiniens doivent comprendre qu’il n’y aura jamais de droit de retour des réfugiés derrière la frontière de 67, se serai la fin de l’Etat d’Israël. » démontre Zeev Sternhell, enseignant à l’université hébraïque de Jérusalem et membre du mouvement Shalom Archav (la paix maintenant). Expliquant les conditions de création de l’Etat d’Israël et le poids des images médiatiques véhiculées dans le monde, David Chemla, responsable pour la France du mouvement « La Paix Maintenant », explique qu’« il faut tenter de comprendre la dimension psychologique de la relation des juifs avec la terre d’Israël. »
Le second souci, concerne la mise en place de deux territoires pour deux peuples. Ces territoires doivent être définitivement tracés, sur des frontières réelles, définitives et reconnues par les deux Etats. En découle la gestion du territoire palestinien en terme économique. Les territoires « libres » sont règlementés, notamment sur les taxes douanières et la circulation des marchandises mais aussi des hommes. Les palestiniens ne sont pas libres d’aller et venir sur leur propre territoire. Les recettes qui résultent de ces taxes douanières sont encaissées par l’Etat d’Israël, qui pour le moment, refuse de restituer cet argent qui légitimement, revient au gouvernement palestinien.

Pourquoi n’arrivent ils pas à communiquer ou à s’entendre sur un cesser le feu durable ? i[« S’il y a une chose qui est sûre, c’est que personne ne fera plier les palestiniens par la faim et encore moins Israël par le terrorisme. […] L’Etat d’Israël ne négociera jamais si le terrorisme persiste. » ]iInsiste Zeev Sternhell. Pour qu’un traité de paix soit viable, il faut une mise en oeuvre réciproque et une simultanéité d’action. « Je ne veux pas faire de compte morbide, mais il me semble que pour un mort israélien, il y a tout de même quatre morts palestiniens. Il faut reconnaître qu’il y a un terrorisme d’Etat qui doit être condamné. » Déclare Guy Lengagne, député PS, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Le Quartette doit être en mesure de remettre à l’ordre du jour la feuille de route ou du moins de permettre aux deux gouvernements de s’asseoir à la table des négociations. Mais y a t il une réelle volonté politique de régler ce problème ? « Il y a un soucis avec l’inconditionnel soutien des Etats-Unis avec Israël. Chaque fois que l’ONU veut tenter de régler le problème, les Etats-Unis mettent leur veto. Rien n’avance. » Explique, Daniel Goulet, Sénateur et président du groupe d’informations et de contact France Palestine du Sénat.

Que fait l’Europe ?

Zeev Sternhell, enseignant à l’université hébraïque de Jérusalem et membre du mouvement Shalom Archav (la paix maintenant)
Pour permettre la reprise de ce dialogue, l’Europe et notamment la France doivent se réinvestir dans la mise en place d’un processus de paix. L’Europe devrait avoir toute sa place dans ces négociations et ceux pour plusieurs raisons. D’une part, par sa proximité géographique, face aux Etats-Unis particulièrement éloignés du problème, d’autre part par sa participation historique à la situation et enfin, parce qu’elle constitue un poids économique non négligeable dans la région. En effet, l’Europe reste le premier partenaire commercial de l’Etat d’Israël et en parallèle, le premier bailleur de fond du gouvernement Palestinien. Elle devrait donc être particulièrement bien placée pour permettre la mise en place d’un accord de paix. « Les Etats-Unis ne veulent pas de rôle pour l’Europe dans cette affaire » déplore Elias Sanbar. « L’Europe doit prendre position fermement et arrêter de s’aligner avec les américains. » Quel est effectivement son intérêt direct à couper les liens avec le gouvernement palestinien et à couper les vivres ? Si sa volonté était à terme, d’avoir un interlocuteur plus à son « goût », elle doit réaliser que « Le Hamas se nourrit du terreau de la pauvreté. » Comme nous le dit Jamal Zakout, directeur adjoint du comité politique du Conseil national Palestinien.

La France, de son côté, semble subir les échos sans réellement se positionner ni se mettre au travail pour engager des processus concrets de rétablissement d’une situation viable au Proche Orient. Elle fait l’autruche. Selon P. Boniface, « nous paierons un prix cher pour notre passivité, particulièrement nos générations futurs ». Pourtant, dans son ensemble, la population française semble concernée par ce conflit. Ce conflit engage tout de même en France un débat des plus enflammé. Bernard Ravenel, président de l’Association France Palestine Solidarité, explique le succès que rencontre certaine de ces pétitions dans l’opinion publique, cependant il faut que cette volonté remonte jusque dans les arcanes du pouvoir français afin de le faire agir. « La société civile doit peser plus sur l’agenda politique. » Déclare t il. « La France a déjà du mal à résoudre ses problèmes comment pourrait elle avoir la capacité de résoudre ceux des autres ? » s’interroge Théo Klein, ancien directeur du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France).

Malgré les effets négatifs que ce conflit pourrait avoir sur la société française, et même peut être aussi en réaction à ces effets négatifs, l’action et la mobilisation pour la remise à jour d’un processus de paix, est primordial. « Profitons de l’agenda électoral et des élections présidentielles mais aussi législatives, pour faire pression sur les politiques » conclu Robert Hue, président de la Fondation Gabriel Péri.