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Les juifs dans le Coran : un travail historico-critique et philologique salutaire de Meir Michael Bar-Asher

Rédigé par | Vendredi 15 Février 2019 à 11:55



On se souvient tous de la tribune d’hommes politiques et d'intellectuels appelant les autorités musulmanes à réclamer l’obsolescence théologique de certains versets du Coran considérés comme antisémites et du malaise provoqué par certains des signataires.

A ces derniers et à cette polémique, l’historien et le philologue Meir Michael Bar-Asher répond dans son livre Les juifs dans le Coran, sorti le 7 février aux éditions Albin Michel, qu’ils « font le jeu des islamistes en accréditant l’idée que le Coran aurait un sens univoque et clair ». Voilà qui est posé.

Le texte fondateur de l’islam décortiqué

Alors le Coran est-il antisémite ? Appelle-t-il à la haine des juifs ? Face aux polémiques et idées toutes faites, l’auteur répond par un texte exigeant et franchement érudit dont l’objectif est de décortiquer le texte fondateur de l’islam. Face aux réponses toutes faites, l’historien s’engage dans un travail historico-critique et philologique dans la veine des auteurs occidentaux et islamologues.

Il s’inscrit ainsi dans une longue tradition de chercheurs allemands, anglais ou américains dont les travaux consistent à lire le texte coranique aux prismes des textes bibliques. Il cite notamment à plusieurs reprises le pionnier de cette discipline Abraham Geiger, juif réformé allemand qui publie en 1833 Was Hat Mohammed aus Judenthume aufgenommen? (Qu’est ce que Muhammad a reçu du judaïsme ?).

Le livre, divisé en six parties, fait la synthèse des travaux scientifiques parus sur les les liens historiques entre les arabes et les juifs dans la péninsule arabique avant la révélation du Prophète Muhammad et après. L’auteur évoque la présence des tribus juives dans le sud de la péninsule tout comme dans le Hedjaz. Il décrit les représentations du judaïsme et des juifs dans le texte coranique, les hadiths et la Tradition (l’exégète incontournable Tabari est notamment repris) à partir de la terminologie coranique avec les termes Banu Isra’il, Al-Yahud et encore Ahl Al-Kitab.

Son insertion dans une tradition de recherche comparée

Reprenant le Coran qu’il cite tout au long de sa démonstration, il fait un exposé des figures bibliques que l’on retrouve dans le texte révélé et sacré musulman telles que Abraham, David (Daoud), Saul, Talut ou encore Joseph (Yusuf). Il lit et décrit ces prophètes en mettant en parallèle la Torah écrite et la littérature midrashique (herméneutique d’exégèse biblique).

Dans son quatrième chapitre, il s’intéresse aux différences et similitudes entre la législation coranique (ou plutôt la voie, dite charia) et la loi juive nommé halakah. Il s’insère ainsi dans une tradition de recherche comparée entre islam et judaïsme sur le plan juridique qui a vu le jour au XIXe avec des auteurs tels que Arent J. Wensinck, auteur de Muhammad and the Jews of Medina paru en 1908, que l’auteur cite.

Le cinquième chapitre est plus classique dans la discipline de l’étude scientifique occidentale sur l’islam car il concerne les sources coraniques de la dhimma, statut social et juridique accordée aux Gens du Livre par l’islam au VIIe siècle.

Le dernier chapitre est, en revanche, plus innovant car l’auteur étudie et expose la place du judaïsme et des juifs dans le chiisme duodécimain, celui qui domine aujourd’hui en Iran, sujet d’étude peu connu en règle générale. Dans ce chapitre, il revient sur deux éléments fondamentaux dans la compréhension des interprétations chiites du verset 28 de la sourate 9 concernant l’impureté des associateurs (mushrikun) et l’interdiction de s’approcher de la mosquée sacrée Haram al-Sharif, à La Mecque. Il montre ainsi les divergences d’interprétations sunnites et chiites sur le concept même de « najas » en opposition à la pureté rituelle (tahara), terme identique en hébreu.

Autre fait notable : en s’appuyant sur les sources chiites tels que le docteur essentiel Al-Tusi (m. 1067) ou encore le célèbre commentateur du Xe siècle Al-Qummi, il met en exergue la théologie de l’élection du chiisme duodécimain qui reprend l’analogie entre leur sort et le peuple d’Israël. C’est ainsi qu’il cite l’interprétation exotérique et ésotérique (zahir et batin) du verset 47 de la sourate 2 - « O Fils d’israël, souvenez vous des bienfaits dont je vous ai comblés » - en montrant que le message ésotérique s’adresse à la maisonnée du Prophète, Ahl al-Bayt.

Un halte aux jugements à l'emporte-pièce sur le Coran

Tout au long de ce travail de recherches, fruit de séminaires et d’échanges, l’auteur révèle l’étendue de ses connaissances de la Tradition musulmane qu’il cite abondamment, se distinguant ainsi des chercheurs révisionnistes pour qui les sources musulmanes sont frappées de suspicion et peu dignes de foi.

Il offre aussi un regard pointu et comparatif avec les traditions juives, à tel point que son travail s’apparente à bien des égards à un travail comparatif entre le texte fondateur de l’islam et les sources d’autorité juives.

Pour l’étudiant, le chercheur, ou le lecteur avide de comprendre la place des juifs dans le texte coranique et de comprendre les liens entre islam et judaïsme, le texte fouillé mais accessible du chercheur Meir Michael Bar-Asher offre un regard critique, distancié, et nuancé, en rappelant que le Coran est un texte ambivalent et que c’est souvent la lecture et notre regard qui teinte son interprétation. Une approche bienvenue face aux réponses toutes faites et aux polémiques.

Meir Michael Bar-Asher, Les juifs dans le Coran, Albin Michel, février 2019, 288 p., 17 €.



Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les… En savoir plus sur cet auteur