Points de vue

Le sacré recèle l’infini (1)

Rédigé par Ahmed Abdouni | Lundi 14 Septembre 2015 à 09:00



Œuvre de Levent Karaduman, Sans titre (2010).
La loi islamique, nous dit-on, est dictée par Dieu. Donc elle est sacrée, immuable, inaltérable, éternelle et, par conséquent, nul humain, quel que soit le motif, ne peut la changer surtout quand elle est clairement énoncée. Alors, tout ce qui est temporel, profane lui est assujetti inconditionnellement. L’inaltérable ou l’immuable l’est en ce sens qu’il ne saurait être affecté par aucun changement ni possibilité de changement.

Cependant, cela ne l’empêche nullement d’être à jour dans ses déclinaisons et variantes formelles, dans sa totalité et aussi dans ses parties. Autrement, il perd de sa fonctionnalité et de son utilité et devient ainsi au plus symbolique et/ou expressif de sentiments, voire objet de superstition. Il serait donc hors de toute obsolescence, indémodable et constamment à la page.

Par conséquent, c’est quelque chose d’achevé, qui n’a nul besoin de changement ni d’amélioration, car elle embrasse tout changement qui s’est produit dans le passé, celui qui existe dans le présent et celui qui se produira dans le futur qui s’étale jusqu’à la fin des temps.

Ainsi, une loi sacrée, immuable et éternelle est une loi qui n’a nul besoin d’être amendée ni changée pour s’adapter aux circonstances qui sont le produit de l’évolution naturelle, qui est tout aussi dictée par Dieu. En principe, et selon le raisonnement que l’on vient de faire, la loi dont il est question devrait avoir prévu tous les changements, toutes les mutations, toutes les révolutions, que l’action humaine a produits et produira jusqu’à la disparition du genre humain.

Quand les habitudes, les idées, les modes de vie, les exigences de l’époque changent, ils trouveront forcément et immanquablement leur théorisation dans la loi sacrée, qui est censée régir les rapports de l’homme à Dieu, à lui-même et à ses semblables.

Quand la mentalité et l’entendement humains progressent par la connaissance, la découverte et l’expérience, ils trouveront l’écho de leurs évolutions dans la loi, de ce fait aucun besoin de créer de nouveaux mécanismes, de nouvelles lois qui s’adaptent aux exigences de la vie courante ; la loi sacrée y pourvoit automatiquement, quitte à recourir à quelques adaptations mineures d’expression.

Le sacré pourrait, ainsi, être envisagé comme illimité dans le temps et dans l’espace, donc répondant aux exigences de tous les temps et de toutes les sphères géographiques avec bonheur et dans l’intérêt de tous. Les vicissitudes du temps comme les spécificités des espaces n’entameraient en rien son applicabilité et sa conformité aux besoins justes et légitimes des hommes.

Néanmoins, ni la foi et encore moins la raison ne sauraient souscrire à une telle hypothèse qui relèverait du divin et guère de l’humain ; d’autant plus que l’unanimité autour de la fin définitive et irrécusable du temps de la prophétie est incontestable, que ce soit par la foi ou par la raison.

Ainsi, nonobstant cette évidence, l’on se retrouve, pour beaucoup d’esprits, dans une situation où le sacré, l’immuable, l’inaltérable s’arroge le droit d’assujettir à sa suprématie, qu’il veut incontestable, le profane qui est contingent par son obéissance et sa soumission à une autre loi divine, celle qui soumet toute créature humaine à l’évolution, au changement, à la progression.

Le résultat d’une telle attitude n’est qu’un manque ahurissant de rationalité qui accule les auteurs d’une telle conduite, qui confond Dieu et sa parole, à recourir à des contorsions intellectuelles qui s’efforcent d’adapter la réalité imposante à une loi dictée dans un contexte déterminé et révolu, à l’instar de la technique de mise en bouteille d’un voilier.

C’est toute l’interaction entre cette loi et son contexte qui est gommée au profit d’une sacralité mal comprise de la loi divine. Nul ne conteste la sacralité d’une loi divine. Cependant, puisqu’elle était venue ordonner un milieu social dégénéré par ses injustices insupportables et inacceptables pour l’entendement de l’époque, elle ne pouvait pas ne pas être en interaction avec son objectif qui était délimité, tant dans le temps que dans l’espace, ce qui la rend spécifique et en adéquation avec ce même milieu et ses relatives exigences.

Sa sacralité indéniable réside en réalité dans son origine divine, comme l’est toute création de Dieu, ainsi que dans son esprit qui est le rétablissement d’une justice accessible à l’intelligence censée l’appréhender. Donc, c’est l’esprit ou l’essence de cette manifestation de la volonté de Dieu qui revêt un caractère intemporel.

Cette essence n’est autre que le principe de justice qui, quelle que soit la forme de la loi et sa formulation et son expression, reste originel. Le principe de justice est intrinsèquement le fondement de toutes les religions et spiritualités du monde. C’est à travers ce fondement que le bonheur de l’homme sur terre comme dans le ciel est recherché par toutes les religions monothéistes.

Les deux finalités se confondent dans tous les enseignements religieux. En effet, ces enseignements s’accordent sur le fait que le bonheur de l’homme sur Terre et son salut dans l’au-delà ne sauraient se réaliser sans qu’il eut observé une conduite profondément imprégnée de justice envers Dieu et envers ses semblables.

Ces deux facettes se confondant, car Dieu, autosuffisant, omnipotent, n’a nullement besoin que l’homme soit juste à son égard ; le souci de Dieu de la justice est exclusivement orienté vers ses serviteurs.

Être juste envers Dieu, c’est l’être envers les hommes, car Dieu est au-dessus des actes humains et, inversement, être juste à l’égard des hommes c’est se conformer aux lois de Dieu, qui s’est imposé d’être juste et nous commande la justice entre nous. La charité est un mérite alors que la justice est un devoir, une obligation naturelle car prescrite par Dieu et recherchée par l’homme.

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Ahmed Abdouni, ancien diplomate marocain.