Points de vue

Le peuple suisse décide d'interdire la construction de minarets

Par Jean-François Mayer*

Rédigé par Jean-François Mayer | Lundi 30 Novembre 2009 à 00:48

Par 57,5 % de « oui » (1 534 054 voix), avec un taux de participation de 53,4 % des électeurs inscrits, l'initiative populaire interdisant la construction de nouveaux minarets en Suisse a été acceptée. Jean-François Mayer, directeur de l'institut Religioscope, propose une analyse de ces résultats et une mise en perspective.



Le résultat est une surprise pour presque tout le monde, à commencer par les rédacteurs du site Religioscope : alors que les sondages les plus récents prévoyaient un rejet de l'initiative par 53 % de « non », tout en reconnaissant une incertitude en raison de la progression des partisans de l'initiative au cours des dernières semaines (voir l'analyse en allemand de l'Institut GFS, personne ne s'attendait à une victoire aussi massive de l'initiative.

Religioscope n'a pas pour habitude de commenter des résultats à chaud. Mais puisque notre site se trouve en Suisse et que l'Institut Religioscope a publié sur le sujet un livre, Les Minarets de la Discorde, il nous a semblé utile de proposer une analyse sans plus attendre, afin de répondre à quelques-unes des questions que peuvent se poser nos lecteurs en Suisse et dans le monde sur cette actualité qui peut sembler très insolite, tout en étant révélatrice de questions qui vont bien plus loin que les frontières de la Suisse. Mais commençons par rappeler ce qu'est une initiative populaire et l'origine de celle sur les minarets.

L'initiative populaire contre la construction de minarets

Demain, le Parlement suisse surmonté d'un minaret ? C'est en tout cas l'avenir que prédisaient des partisans de l'initiative avec ce montage photographique, si celle-ci ne passait pas ! (photo : Flickr)
Particularité de la démocratie semi-directe en Suisse, l'initiative populaire doit être distinguée du référendum : en Suisse, un référendum populaire peut être lancé à l'échelon fédéral (donc celui du pays tout entier) contre une loi ou un traité adopté par le Parlement fédéral (il faut pour cela réunir au moins 50 000 signatures vérifiées de citoyens). Il existe également un référendum obligatoire en cas de révision constitutionnelle : le gouvernement est tenu de soumettre cette révision au peuple.

L'initiative populaire est de nature différente : un groupe qui parvient à réunir dans un délai de 18 mois 100 000 signatures de citoyens appuyant la proposition peut imposer un vote en vue d'une révision constitutionnelle, sans avoir besoin pour cela de l'appui du Parlement. L'initiative est soumise à la votation populaire avec ou sans contre-projet du gouvernement. Pour être acceptée, une initiative populaire doit recueillir non seulement les votes de la majorité du peuple mais aussi de la majorité des cantons, c'est-à-dire des États fédérés au sein de la Confédération helvétique.

Dans le cas qui nous intéresse ici, l'initiative contre la construction de minarets avait été lancée à la suite de quelques controverses autour de projets de minarets symboliques sur des salles de prière musulmanes dans des villes suisses. Les auteurs de l'initiative avaient recueilli quelque 115 000 signatures, déposées à la Chancellerie fédérale en juillet 2008. Le texte – adopté donc aujourd'hui en votation populaire – ajoute à l'article 72 de la Constitution fédérale un alinéa 3 déclarant : « La construction de minarets est interdite. »

Cette initiative était principalement soutenue par des politiciens de l'Union démocratique du centre (UDC), parti de droite qui est aujourd'hui le plus important de la Suisse en nombre de députés, et de l'Union démocratique fédérale (UDF), petit mais actif parti politique évangélique conservateur (auquel Religioscope avait consacré une étude avant les élections fédérales de 2007).

Le gouvernement ainsi que la majorité du Parlement recommandaient de refuser l'initiative. De même, l'Église catholique romaine et les Églises réformées (protestantes) l'avaient rejetée. Même parmi les Églises évangéliques, les principales organisations faîtières s'étaient opposées à l'initiative. Ce n'est certes pas la première fois qu'un vote populaire en Suisse va à l'encontre des recommandations des grandes organisations politiques et religieuses ; mais l'affaire des minarets est particulièrement frappante par la netteté du résultat sur un sujet sensible (un taux de participation de plus de 50 % est considéré en Suisse comme très bon, puisque le peuple est appelé à s'exprimer au moins une fois par trimestre).

Acceptation de l'initiative : premières observations

Concrètement, que va maintenant signifier l'acceptation de cette initiative ? Il existe quatre minarets en Suisse, ceux-ci demeureront bien sûr en place. En revanche, il sera impossible de construire de nouveaux minarets. Dissipons aussi un malentendu : le nouvel article constitutionnel interdit uniquement la construction de minarets. La création de mosquées et de lieux de prière musulmans reste possible comme par le passé, de même que l'exercice du culte islamique.

Certaines formations politiques annoncent déjà leur intention de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg : c'est ce qu'a, par exemple, annoncé le président du parti des Verts (écologiste). On peut aussi imaginer qu'un groupe musulman fasse recours à Strasbourg contre l'interdiction de construire un minaret dans un lieu précis. Cela dit, même s'il y aurait des arguments permettant de condamner la Suisse dans un tel cas, rien ne permet de préjuger de la décision que prendrait le Cour dans une affaire de ce genre, à en juger par ses décisions sur différentes questions impliquant des dimensions religieuses.

Derrière le refus de la construction du minaret s'expriment bien entendu des interrogations et craintes quant à l'islam : le minaret est le symbole autour duquel celles-ci sont venues se cristalliser – symbole présenté comme celui d'une volonté de domination politique par les partisans de l'initiative, qui ont toujours pris soin de dire que leur projet ne portait pas atteinte à la liberté religieuse, puisque les mosquées peuvent très bien exister sans minaret. Loin de se limiter à la question précise du minaret, le débat a largement porté sur l'islam en général. Pour résumer, le minaret a été transformé en marqueur de l'islamisation de la Suisse.

Une surprise est provoquée par l'écart considérable entre les résultats du vote d'aujourd'hui et les estimations des instituts de sondage. Cela met fortement en cause le caractère fiable de tels sondages quand ils touchent à des questions sur lesquelles certaines catégories de votants ont le sentiment d'être en désaccord avec la majorité des élites dirigeantes et des médias, et seront donc réticents à faire part de leurs convictions réelles sur un sujet sensible. Quand le parlementaire UDC Oskar Freysinger déclarait dans un entretien accordé au téléjournal romand, entretien enregistré quelques heures avant les résultats, qu'un vote pour l'initiative (auquel il ne croyait pas encore vraiment) serait une véritable désaveu pour tout l'establishment (politiques, Églises, médias), il visait juste. Et cela pose de sérieuses questions sur le fossé entre cet establishment et la population, surtout quand l'on constate que les services gouvernementaux eux-mêmes n'avaient pas vu venir le résultat.

Quelles ont été les raisons de voter pour l'interdiction de la construction de nouveaux minarets ?

Si l'on peut espérer que des analyses plus fines nous révéleront, au cours des semaines et des mois qui viennent, les motivations des votants, l'on peut sans risque de se tromper, sur la base d'observations de terrain, affirmer que ce vote est non pas l'expression d'une attitude unique, mais de plusieurs types de préoccupations, qui se sont conjointes pour arriver au résultat que l'on sait. Dans certains cas, plusieurs de ces motivations ont pu se combiner.

Nous pouvons ainsi identifier (sans être encore en mesure de suggérer l'importance statistique respective de chaque facteur) :

Des milieux idéologiquement hostiles à l'islam, qui se constituent aujourd'hui aisément en réseau, surtout grâce à Internet, avec des arguments qui circulent à travers les frontières. Ces milieux hostiles à l'islam ne partagent pas tous la même motivation : les uns ont une approche séculière, d'autres une approche religieuse (chrétienne ou juive). Ces milieux articulant une critique systématique de l'islam ne sont pas très nombreux, mais fournissent assez largement l'argumentaire qui se trouve ensuite repris dans les débats publics.
On peut citer, par exemple, le Mouvement suisse contre l'islamisation (MOSCI). Ils trouvent des relais dans certains secteurs de l'UDC ainsi que dans l'UDF (dont la critique de l'islam est parallèle à un soutien à Israël et au sionisme pour des raisons d'interprétation biblique).
Ces mouvements sont tous convaincus que l'implantation de l'islam en Europe est le début d'une invasion non militaire, qui sera suivie par l'imposition d'une domination islamique et d'un système légal islamique. Interdire les minarets représente donc, dans cette optique, un signal fort pour enrayer ce mouvement.

Des personnes s'inquiétant de l'immigration : la Suisse est en effet un pays où l'émigration a été historiquement forte, mais qui ne s'est jamais perçu comme pays d'immigration. Dans les années 1960 et 1970, l'immigration venue du sud de l'Europe avait suscité de forts mouvements xénophobes, dont des initiatives populaires: la votation « contre la surpopulation étrangère » de 1970 avait enregistré un taux de participation exceptionnel d'environ 75 % et avait été soutenue par 46 % des votants.
Même si de plus en plus de musulmans obtiennent la naturalisation suisse, cette immigration est encore récente et les musulmans restent donc en grande majorité étrangers. Comme presque partout dans le monde, la croissance forte d'une population d'origine étrangère, pratiquant de surplus une religion dont les relations avec l'Europe occidentale ont souvent été marquées historiquement par des conflits, entraîne immanquablement des réactions.

• Des sondages effectués il y a plusieurs mois déjà révélaient que l'argument de la réciprocité allait motiver une partie des votants : des Suisses disaient vouloir soutenir l'initiative parce qu'ils étaient choqués des restrictions apportées à la construction d'édifices de culte chrétiens ou d'autres religions dans des pays musulmans – voire l'interdiction de tout culte non musulman en Arabie saoudite.
Les empêchements ou chicanes que subissent des minorités religieuses dans des pays de tradition musulmane de plus en plus perçue comme intolérables ailleurs dans le monde, et l'interdiction de la construction de minarets est alors vue comme une réplique (bien que l'on peine à comprendre en quoi cela pourrait contribuer à la situation en effet difficile de chrétiens dans des pays musulmans).

• Les réactions qui ont conduit à l'acceptation de l'initiative contre la construction de minarets sont loin de n'être que le fait de groupes populistes ou conservateurs : il ne faut pas négliger, même s'il est difficile de le quantifier pour l'instant, la part d'un vote, en partie de sensibilité de gauche, féminin ou sensible à la question des droits de la femme. Il est révélateur que l'affiche très controversée de soutien à l'initiative (affiche que plusieurs municipalités firent l'erreur d'interdire, accroissant ainsi son impact) ait représenté une silhouette de femme revêtue d'une burqa à côté d'une forêt de minarets plantée sur la Suisse.
Le statut de la femme dans l'islam et notamment les signes distinctifs comme le foulard sont un sujet qui suscite beaucoup d'émotions : il suffit d'assister à n'importe quelle conférence grand public sur l'islam pour que surviennent très vite, pêle-mêle, des questions autour de ce thème.

• Il ne fait guère de doute que bien des gens qui auront soutenu l'initiative ne l'auront pas fait pour des raisons idéologiques ni d'expériences personnelles avec des musulmans, mais tout simplement en raison de l'image de l'islam que renvoie quotidiennement l'actualité : attentats, violences, manifestations d'hostilité à l'Occident...
Le contexte de l'après-11 septembre s'applique également à la Suisse et crée de fortes préoccupations par rapport à ce qui vient du monde musulman. Différentes affaires locales (par exemple, tout récemment encore, des prédications anti-occidentales dans des mosquées en Suisse) ont conforté ces sentiments. Même si les médias insistent beaucoup sur la distinction entre « islamistes radicaux » ou violents et autres musulmans, l'image du jihadisme se répercute inévitablement sur l'ensemble de la communauté musulmane.
L'interprétation du gouvernement fédéral suisse insiste sur cette confusion de l'islam en général avec ses formes extrémistes comme cause du succès de l'initiative.

• Chez certains, même s'il est peu probable que cela ait suffi sans autre argument à motiver beaucoup de monde, il existait que la crainte que la construction de minarets finisse inévitablement par déboucher sur l'appel du muezzin et donc des perturbations sonores nocturnes, alors que l'argument du droit à la tranquillité dans un monde bruyant est de plus en plus important – d'ailleurs, dans plus d'une ville, les sonneries de cloches ont subi de sérieuses limitations ces dernières décennies. Cet argument a bien sûr été utilisé par les partisans de l'initiative.

• Parmi les événements particulier de la période récente ayant certainement contribué au vote anti-minarets, il faut citer l'affaire Hannibal Kadhafi : en juillet 2008, ce fils pour le moins turbulent du dirigeant libyen fut arrêté à Genève en raison de graves maltraitances commises à l'encontre de domestiques qui l'accompagnaient dans l'hôtel de luxe où il séjournait. Il fut incarcéré, puis libéré sous caution.
L'incident provoqua la colère de la famille Kadhafi : deux hommes d'affaires suisses sont retenus en Libye depuis juillet 2008, sous prétexte d'irrégularité dans leurs permis, et considérés par le peuple suisse comme des otages. Les tentatives multiples du gouvernement fédéral suisse d'obtenir leur retour n'ont pas abouti, et cela cause une vive irritation dans la population suisse.
Certes, la Libye est connue par ailleurs pour sa répression de groupes islamistes ; mais ces nuances échappent à beaucoup de gens, et l'affaire donne l'image d'un pays musulman qui humilie la Suisse.

• Enfin, il y a tout simplement des gens, plus nombreux qu'on ne le soupçonne, pour qui l'islam est un corps étranger en Suisse, et donc sa visibilisation est ressentie comme une agression, puisqu'elle inscrit cette présence de façon permanente. Dans un paysage idéal suisse, l'islam n'a tout simplement pas sa place, sauf s'il accepte de rester discret. La publicité vidéo de l'UDF, que l'on peut voir sur YouTube, en donne un exemple frappant, et parle plus à la fibre sensible de nombre de Suisses que de longs discours. Comme nous le disait l'un des responsables de l'UDF : « Regardez cette vidéo, tout est là ! »

Nous pourrions étendre la liste avec différents autres facteurs qui ont sans doute contribué au succès de l'initiative : quand le parlementaire UDC Oskar Freysinger, l'une des figures de proue de l'initiative en Suisse romande, terminait l'un des derniers débats télévisés sur le sujet en s'inquiétant de voir le Cour de Strasbourg demander récemment d'interdire les crucifix dans les salles d'écoles italiennes, tandis que l'on laisse des symboles de l'islam s'installer dans l'espace européen, nul doute qu'il touchait une corde sensible chez une partie des téléspectateurs.

L'inventaire de quelques motifs des opposants à la construction de minarets que nous venons de dresser donne cependant déjà une idée de la variété des raisons qu'ont pu trouver des Suisses pour soutenir l'initiative.

Cela dit, il serait faux de réduire l'affaire à une bizarrerie suisse, comme le soulignait d'ailleurs le livre Les Minarets de la Discorde. Certes, grâce à la pratique de l'initiative populaire, des sentiments ont pu s'exprimer en Suisse d'une façon difficilement concevable dans d'autres pays européens.
Mais il ne fait guère de doute que, dans une bonne partie de l'Europe, des sentiments semblables et dans des proportions semblables s'exprimeraient s'ils en avaient la possibilité politique.

Il y a aujourd'hui, à la charnière entre religion et politique, une véritable « question musulmane » en train de se construire en Europe, avec des formes diverses selon les pays (débats sur le foulard en France, controverses autour de la construction de mosquées en Allemagne, etc.). Peu importe dans quelle mesure cette question est justifiée ou non : il faut admettre qu'elle existe et ne va pas disparaître de sitôt.

Quelles conséquences maintenant ?

Les diplomates suisses vont être très occupés dans les semaines et mois qui viennent, soucieux d'éviter le développement de réactions préjudiciables à la Suisse dans des pays musulmans, d'autant plus que la nouvelle fera ces prochains jours la « une » de médias du monde entier.

Nul doute que des efforts seront développés non seulement en direction des gouvernements, mais probablement plus encore d'organisations non gouvernementales, des médias et de différents secteurs de la société. Un avantage de départ est l'image plutôt positive de la Suisse dans une grande partie du monde, et le fait que ce pays neutre ne soit ni un ancien colonisateur ni une puissance envoyant des troupes dans des régions musulmanes : l'image associée à la Suisse est plutôt celle de la Croix-Rouge.

Il est vrai que l'affaire des minarets pourrait être instrumentalisée par des groupes qui le souhaiteraient, bien que cela ne soit pas une conséquence inéluctable : l'interdiction de construction de minarets sera perçue comme un acte d'hostilité à l'islam et aux musulmans, mais il n'a pas la dimension blasphématoire des caricatures de Muhammad publiées dans des journaux danois. Tout va donc dépendre tant de la gestion de cette crise potentielle par les intervenants suisses que de l'intérêt ou non d'acteurs du monde musulman à créer une agitation contre la Suisse – ou, à travers le symbole suisse, contre le monde occidental « islamophobe ».

En Suisse même, alors que les conflits autour de l'islam (par exemple, des affaires de foulards dans un cadre scolaire) n'avaient pas débouché sur des tensions trop fortes jusqu'à maintenant, il faut maintenant s'attendre à une multiplication des frictions. Le comité d'initiative a d'ailleurs déjà annoncé son intention de poursuivre son action et envisage de lancer des débats (mais pas nécessairement d'autres initiatives) sur des thèmes tels que les mariages forcés, les excisions et la burqa, sujets qui ne peuvent manquer de recueillir une large adhésion, mais qui se trouveront à chaque fois associés à l'islam comme autant de symboles des problèmes soulevés par celui-ci.

Il est trop tôt pour savoir comment vont réagir les musulmans, décrits ce soir par les médias comme « sous le choc », même si quelques-uns parmi eux s'attendaient un peu à une telle issue : la plupart d'entre eux ont fait le choix de se tenir plutôt à l'écart du débat, tout en organisant des journées portes ouvertes ou en participant à des tables rondes, notamment celles organisées par les Églises. Tout d'abord, il ne faut pas oublier que la majorité des personnes recensées comme « musulmanes » en Suisse (probablement quelque 400 000 à l'heure actuelle) ne fréquentent pas les mosquées et n'appartiennent à aucune organisation musulmane.

En ce qui concerne les acteurs de ces dernières, s'ils choisissent avant tout de se présenter en victimes d'une discrimination à leur égard, il y a peu de chances que la situation se transforme : en effet, il ne faut pas oublier que ceux qui ont voté pour interdire les minarets l'ont fait parce qu'ils ressentent l'islam et/ou les musulmans comme une menace, à laquelle ils ont voulu signifier un arrêt.

Un discours de victimisation ou des plaintes face à l'« islamophobie » n'ont guère de chance de contribuer à une transformation de la situation. Ce qui pourrait la modifier serait un discours clair sur les différents thèmes que nous avons évoqués plus haut et qui ont motivé une majorité de votants à soutenir l'initiative, en offrant des réponses convaincantes. Les mois qui viennent nous diront si une telle stratégie se développera ou non.

Conclusion en forme de rappel historique

Finalement, si l'on replace la situation au soir de l'acceptation de l'initiative dans une perspective historique, il convient aussi de rappeler que ce n'est pas la première fois que surgissent, à l'époque contemporaine, des controverses autour d'identités religieuses en Suisse.

En 1874, dans le sillage des controverses de la version suisse du Kulturkampf, qui voyait s'opposer l'État moderne et le libéralisme, d'une part, et l'Église catholique et le catholicisme politique conservateur, d'autre part, la Constitution suisse avait introduit plusieurs « articles d'exception » visant très directement le catholicisme : la Compagnie de Jésus (c'est-à-dire l'ordre catholique des jésuites) était interdite en Suisse ; il était interdit de fonder de nouveaux couvents ou d'en rétablir d'anciens ; il n'était pas possible de créer de nouveaux évêchés sans l'autorisation de la Confédération.

Il fallut attendre 1973 pour voir disparaître de la Constitution fédérale les deux premiers articles. Quant à l'article subordonnant la création de nouveaux évêchés (c'est-à-dire une question d'organisation interne de l'Église catholique) à une permission des autorités fédérales, il ne disparut de la Constitution fédérale qu'en... 2001 ! Ironie de l'Histoire : c'est l'alinéa même où était inséré jusqu'en 2001 l'article sur les évêchés qui renaît en ce dimanche 29 novembre sous la forme d'un article sur l'interdiction de la construction de minarets.

Nul ne sait combien d'années ou de décennies il y demeurera ; et la question des la communauté musulmane n'est pas la même que celle des catholiques romains dans la Suisse du XIXe siècle, à commencer par le fait que la présence musulmane est associée largement à une immigration encore fraîche.

Cependant, le regard sur l'Histoire montre comment le statut des communautés (religieuses ou non) dans une société est un objet de négociations, de tensions et d'aménagements qui ne se résolvent pas toujours du jour au lendemain, plus encore quand le débat se déplace sur le terrain des symboles.


* Jean-François Mayer est directeur de l’institut Religioscope, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain. Auteur de nombreux articles , il a notamment publié Les fondamentalismes (Éd. Georg, 2002) et Internet et religions (Éd. Religioscope, 2008).





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