Sur le vif

Le ministère de l’Intérieur élargit la collecte de données personnelles par décret

Rédigé par | Vendredi 11 Décembre 2020 à 16:30



A l'heure où la gronde contre la loi « sécurité globale » se fait entendre, trois décrets du Journal officiel ont été publiés le 4 décembre en toute discrétion pour élargir le fichage des personnes physiques ou morales pouvant constituer une menace pour la « sûreté de l'Etat » et qui « sont susceptibles de prendre part à des activités terroristes, de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou des institutions de la République ».

Le recueil des données personnelles qui pourront être utilisées par la gendarmerie et la police dans le cadre d’enquêtes a été élargi, rapporte Next Inpact, aux opinions politiques, aux convictions philosophiques et religieuses ou encore à l'appartenance syndicale dans des fichiers qui se limitaient jusqu'à présent à recenser des activités.

Ces modifications portent sur trois fichiers en particulier : le fichier Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP) employé par la police, le fichier Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) utilisé par la gendarmerie, et le fichier des Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP).

Par ailleurs, le Service central du renseignement territorial (SCRT) pourra également enregistrer des données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques et aux addictions, si des éléments permettent de révéler « une dangerosité ou une vulnérabilité particulière », rapporte France Info. Toutefois, ces informations devront se limiter à « la description de ces troubles » et « toute donnée fournie par un professionnel de santé soumis au secret médical » sera exclue, précise la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dans ses avis.

Les inquiétudes émergent

Celle-ci n'a néanmoins pas été consultée s'agissant du recueil de données liées aux opinions. Elle a pointé dans l’un de ses avis la définition « particulièrement large » de ces textes, invitant le gouvernement à en préciser les contours. Une requête qui avait été dans un premier temps ignoré mais qui, après coup, sera dorénavant prise en considération, assure le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin.

« Ces décrets existaient déjà et n'étendent pas le champ de leur action. C'est un décret sur les enquêtes administratives faites par la Préfecture de police de Paris et la Direction générale de la police nationale et deux décrets de renseignement pour la police et pour la gendarmerie », a-t-il précisé jeudi 10 décembre sur France Info. « Nous avons présenté trois nouveaux décrets à la CNIL, garante de la liberté des données de chacun, et au Conseil d'Etat, garant du droit. Ils ont donné des avis favorables à ces trois décrets », poursuit-il, avant de promettre la clarification des décrets.

La révélation de ces décrets suscite une forte inquiétude dans la société civile. Plusieurs organisations de défense de libertés ont dénoncé l'élargissement du fichage comme La Quadrature du Net, qui a annoncé son intention de contester ces décrets « non seulement dans la rue, chaque samedi au sein de la coordination contre la loi sécurité générale, mais aussi en justice, devant le Conseil d’État ».

Plusieurs députés ont appelé à des explications concernant des « décrets aux implications fondamentales pour les libertés publiques (qui) n'ont pour l'heure fait l'objet d'aucune communication ». « Ce glissement au regard des libertés est surprenant de la part d'un ministère qui, dans un même temps, défend la protection de la vie privée de ses agents de police, que ce soit à travers l'article 24 de la loi “sécurité globale” ou le nouvel article 18 de la loi sur le séparatisme », pointe encore la députée.

Mise à jour : Début janvier, le Conseil d’État a rejeté le recours en urgence de plusieurs syndicats et associations s'opposant à l'élargissement des fichiers de renseignement aux opinions politiques, aux convictions religieuses ou philosophiques et à l’appartenance syndicale de personnes susceptibles de « porter atteinte à l'intégrité du territoire ou des institutions de la République », faisant craindre aux détracteurs de ces mesures des atteintes aux libertés et des abus dans la surveillance. Néanmoins, la juridiction a estimé que les trois décrets ne portaient pas une « atteinte disproportionnée » à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale.

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