Points de vue

La notion de boycott à l’épreuve du droit et de la maire de Saint-Gratien

Rédigé par | Mercredi 8 Juin 2016 à 19:30

Boycotter des magasins parce qu'ils emploient des femmes voilées ? C'est le choix assumé de la maire de Saint-Gratien Jacqueline Eustache-Brinio, qui a communiqué cette décision sur les réseaux sociaux dimanche 5 juin. Asif Arif, avocat au Barreau de Paris, explique en quoi cette sortie de l'édile constitue un problème juridique de taille.



Il existe certains maires, dont les positions sont difficilement intelligibles. La maire de Saint-Gratien Jacqueline Eustache-Brinio en est une bonne illustration. En effet, cette dernière nous informe, sachant pertinemment qu’elle va fâcher certaines personnes, à titre préventif qu’elle compte boycotter les produits de la Grande Récré à Argenteuil parce qu’ils sont vendus par des femmes voilées.

Afin de soutenir un tel propos, elle met en mouvement toute une argumentation se fondant sur l’égalité hommes-femmes, la laïcité ou encore le soutien aux femmes refusant de porter le voile. Plusieurs éléments concourent à penser qu’une telle attitude pourrait être analysée en une discrimination ou, à tout le moins, compte-tenu du leadership public qu’elle exerce, une incitation à la discrimination.

Comment le caractériser d’autre ? Nous avons une élue de la République qui affirme, sur son mur Facebook, publiquement, qu’elle ne compte plus se rendre dans ce magasin en raison d’un signe religieux porté par des femmes. Il s’agit d’une différence de traitement qui n’est pas fondé sur un critère objectif mais bien sur un critère religieux. Or, le délit de discrimination incrimine ce type de comportements. D’autant plus lorsqu’elle vise une enseigne en particulier qui pourrait, elle-même, arguer d’une entrave à son activité économique.

Car si l’employeur, dans cette affaire La Grande Récré, n’a pas demandé à ses salariés de retirer leur voile, l’élue de Saint-Gratien n’est pas en mesure de leur demander de le faire, sans commettre une discrimination. Or, ce genre de publication sur les réseaux sociaux vise à pousser La Grande Récré à changer sa politique de recrutement.

Un problème de conception sociale

Outre la nature discriminante de son affirmation, il faut revenir sur les raisons qu’invoque la maire de Saint Gratien pour fonder son discours inégalitaire, voire régressif. Evidemment, quoi de plus habile, pour masquer un discours conservateur, que de le maquiller avec des grands principes tels que l’égalité hommes-femmes ou encore la laïcité.

Concernant la laïcité, on ne comprend pas bien ce que cette notion vient faire là. Il s’agit d’une notion institutionnelle qui vise à marquer une séparation entre les Eglises, en tant qu’institutions, et l’Etat. En quoi des vendeuses, qui n’ont rien demandé à personne et qui se contentent de faire leur travail, seraient concernées par un principe de séparation des cultes ? Surtout que, sauf à apporter la preuve du contraire, ces femmes exercent dans une entreprise privée, qui n’est pas tenue par le principe de laïcité de l’Etat.

Enfin, l’égalité hommes-femmes est un vaste débat. Prendre le voile comme signe de l’inégalité entre un homme et une femme est tout à fait fallacieux. D’abord parce que les femmes qui le portent le font souvent par choix et non pas par dictat. Toutefois, ce sont les remarques des dirigeants politiques qui finissent par s’analyser comme une véritable police vestimentaire. Désormais, même quand le voile résulte d’un choix, il ne devrait pas être porté parce qu’il ne plait pas à tel homme ou femme politique.

Le martèlement politique et médiatique autour du voile finit par créer une certaine frustration sociale. Et, in fine, quelle différence peut-on émettre entre la pression des dirigeants politiques qui enjoignent aux femmes de ne pas porter le voile et celui de ces quelques maris en France qui imposent aux femmes de le porter ?

Ce genre de sorties génère de la friction sociale. Cette dernière est créée par nos dirigeants politiques, dont la maire de Saint-Gratien. Que cela ne lui en déplaise.

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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, et chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine. Il intervient ponctuellement en Libertés publiques à l’Ascencia Business School. Il milite depuis plusieurs années en faveur des minorités religieuses. Il est l’auteur de L’Ahmadiyya : un islam interdit.

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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam, le terrorisme… En savoir plus sur cet auteur