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L’arabo-islamophobie, ou la « peur des barbus » : un mal très français

Par Olivier Bobineau*

Rédigé par Olivier Bobineau | Jeudi 22 Avril 2010 à 00:01



Olivier Bobineau, membre du Groupe Sociétés Religions, Laïcités (CNRS-EPHE), est maître de conférences à l’Institut catholique de Paris et à Sciences-Po Paris.
La burqa et les passions qu’elle suscite, le positionnement de députés de droite comme de gauche sur la visibilité du voile, le débat sur l’identité nationale, la focalisation des polémiques sur l’immigration d’origine maghrébine, le rejet de certaines universités pour former des cadres cultuels musulmans, le succès électoral du Front national aux élections régionales, en particulier dans certaines banlieues…

Y aurait-il un dénominateur commun, un lien entre ces événements et positionnements d’une partie de la classe politique et de l’opinion ? Depuis trois ans, nous avançons une hypothèse : l’arabo-islamophobie, ou plus trivialement l’appréhension, la « peur des barbus ».

De quoi s’agit-il ? D’un processus psychosocial qui combine une défiance et une méfiance, amalgamant un attribut ethnique ou culturel – arabe – et une religion – l’islam.

Tout d’abord, une méfiance du monde arabe qui s’explique avant tout par le contentieux historique qui lie la nation française et le Maghreb, en particulier avec l’Algérie.

Ensuite, une défiance politique et médiatique de la religion musulmane qui devient un véritable repoussoir pour les Blancs chrétiens ou athées, religion réduite à ses instrumentalisations radicales et politiques.

Il ne s’agit en aucun cas de nier les dérives politiques, qui vont jusqu’à provoquer la terreur et le terrorisme qui sévit à l’échelle internationale. Mais « combien de troupes » islamistes, radicales en France ? Sont-ils musulmans comme ils le proclament ou idéologues menant un combat politique contre l’Occident, qui est, faut-il le rappeler, loin d’être l’objet et la finalité du Coran, combat opposé à la conception du salut par la justice et la paix développée par la religion musulmane ?

Cette double appréhension, qui opère une association et une confusion entre un caractère ethnique et une phobie religieuse, s’auto-entretient et s’installe progressivement dans notre mémoire collective. Elle constitue aujourd’hui le facteur explicatif de la difficulté de s’intégrer pour les musulmans issus de l’immigration. Jusqu’à ces semaines dernières, il était difficile d’en parler. Pourquoi ? « Sujet délicat », voire « tabou » et « aucune preuve scientifique » n’existe, pouvait-on entendre dire. Il est vrai : aucune enquête ne venait appuyer cette hypothèse .

Or, depuis début avril, ce n’est plus le cas. L’enquête est bel et bien là : le rapport dirigé par le professeur Laitin (Stanford) montre la forte discrimination à l’égard des musulmans issus de l’immigration. Les résultats sont éloquents. D’une part, un testing sur CV révèle que les musulmans issus de l’immigration ont 2,5 fois moins de chances d’obtenir un entretien d’embauche que leurs homologues chrétiens. D’autre part, ils ont un revenu mensuel inférieur de 400 euros en moyenne à celui des chrétiens. CQFD.

Maintenant, que faire ? Trois propositions.

En premier lieu, débattre politiquement, en discuter avec la société civile musulmane : organiser des États généraux.

En deuxième lieu, reformuler nos politiques d’intégration en matière économique, en les ciblant sur ce public fortement discriminé sous l’impulsion de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité).

En troisième lieu, encourager toutes les expériences d’intégration sur le plan culturel et social en banlieue ou ailleurs. Une expérience singulière existe d’ailleurs depuis trois ans : la formation des cadres cultuels et culturels musulmans (1). L’enjeu : former des acteurs, des « intellectuels organiques » (Gramsci) pour les musulmans de France, en particulier issus de l’immigration.
Autrement dit, faire en sorte que des intellectuels de confession musulmane soient non seulement légitimes auprès de leur communauté d’origine, mais aussi auprès des pouvoirs publics ainsi qu’aux yeux de l’opinion publique pour favoriser l’intégration de tous les musulmans.
En effet, l’intégration des juifs, des protestants dans une société majoritairement catholique, mais aussi celle des Polonais, des Italiens ne s’est-elle pas faite aussi grâce à des grandes figures, des « intellectuels organiques » ?

Ce qui est certain, c’est si nous n’agissons pas maintenant et que nous ne traitons pas le mal à sa racine, les banlieues concentrant la majorité des musulmans issus de l’immigration, elles, imploseront encore une fois, mais pour la dernière fois. À bon entendeur, salut !


(1) Former des imams pour la République. L’exemple français (sous la dir. d’Olivier Bobineau), CNRS Éditions, 2010.


* Olivier Bobineau, sociologue des religions, chercheur au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS/EPHE), est maître de conférences à l’Institut catholique de Paris et à Sciences-Po Paris.