Points de vue

L’Église catholique, la laïcité et le débat sur les Roms

Par Jean Baubérot*

Rédigé par Jean Baubérot | Lundi 6 Septembre 2010 à 01:54



Par la voix d’un prêtre de Lille, et par une déclaration de Benoît XVI, notamment, l’Église catholique intervient dans le débat actuel sur les Roms. Or quelle est la place des interventions d’autorités « religieuses » en laïcité ?

Premier point : l’Église catholique, comme d’autres religions ou familles de pensée a tout à fait le droit d’intervenir en tant que composante de la société civile, mais pas comme instance surplombant la société civile.

Cette distinction est fondamentale. Avant 1905, les « cultes reconnus » − et l’Église catholique au premier chef − étaient des institutions liées à l’État. Dans cette situation, leur parole n’était pas libre. Un évêque, par exemple, pouvait être poursuivi selon la procédure « pour abus », si ses propos déplaisaient au gouvernement.

La loi de 1905 a mis globalement la religion dans le droit commun et a, entre autres, levé les obstacles à la liberté d’expression des autorités religieuses. Celles-ci peuvent donc s’exprimer à égalité avec d’autres composantes de la société. Le poids moral de leur parole est livré au libre jugement de chacun.

C’est donc comme organisme de la société civile qu’une religion s’exprime. Précision importante : aucune religion ne peut dire : telle est ma position, donc la société doit suivre cette voie, le gouvernement doit faire telle loi pour obéir à mes propos, etc.

La religion ne surplombe pas la société laïque, elle en fait partie. Ses « propositions de sens » sont soumises au débat démocratique.

Être entendu davantage sur les questions sociales que sur les questions de mœurs

Deuxième point : les propos des autorités religieuses sont-ils « audibles » ?

Les enquêtes réalisée depuis vingt ans (notamment les enquêtes européennes sur les valeurs) montrent que les déclarations des autorités religieuses, en France comme dans d’autres pays européens, sont, en règle générale, mieux reçues quand il s’agit de problèmes sociaux (au sens large) que de questions de mœurs.

Les déclarations contre le racisme, les discriminations, l’accueil de l’étranger, les conditions décentes de vie ou de travail sont, en général, bien acceptées. Celles qui portent sur la sexualité, l’avortement, l’homosexualité, l’euthanasie, etc, sont moins bien reçues.

Cela confirme mon premier point de deux manières.
D’abord, les gens ne récusent pas le principe même de telles déclarations, ils ne confinent pas la religion dans la « sphère privée », ou un « purement religieux » qui ne devrait rien dire sur les « problèmes de société ». Ils se déterminent suivant le contenu des déclarations.

Ensuite, les déclarations sur les mœurs sont toujours virtuellement considérées comme susceptibles de vouloir régenter la vie des gens, et cela contribue à faire qu’elles soient moins bien acceptées. Cela dit, je ne reprocherai pas à telle ou telle Église d’indiquer ses positions sur ces questions : même quand je ne suis pas d’accord avec leur contenu, j’estime que c’est son droit et je ne réclame pas la liberté que pour ceux qui pensent comme moi.

En revanche, je regrette que l’État français, qui se veut laïque, tienne beaucoup compte de positions, notamment des autorités catholiques, et qui sont minoritaires dans le pays, notamment sur les questions de l’euthanasie et du mariage entre personnes de même sexe.

Système médiatique vs débat démocratique

Troisième point : comme pour toute autre composante de la société civile, les positions prises sont triées selon des critères médiatiques.

J’ai parlé de propositions livrées au débat démocratique. J’aimerais qu’il en soit ainsi, mais cela ne fonctionne pas réellement de cette manière : le système médiatique trie, entre les nombreuses propositions de sens, selon des critères non rationnels.

Un prêtre (ou un responsable associatif) prend position contre les expulsions de Roms, cela peut faire quelques lignes dans le journal local, sans plus.

Mais le prêtre de Lille renvoyant sa médaille et déclarant qu’il a prié pour que Sarkozy ait une crise cardiaque, et la télévision en a parlé pendant au moins deux jours. Il a réalisé un « coup » (pour la « bonne cause », mais ce n’est pas le problème que je veux poser ici) et ce coup était nécessaire pour se faire entendre.

Autrement dit : l’incongru, le spectaculaire, l’inflation du geste ou du propos, compte plus que la valeur intrinsèque de l’argumentation.

On peut le déplorer, on doit constater qu’il en est ainsi, et que cela fonctionne de façon générale. L’exemple du prêtre de Lille n’en est qu’une nouvelle illustration parmi tant d’autres.

Notre société fonctionne selon l’émotionnel et l’inflation, pas selon le rationnel. Et cela, c’est un véritable problème pour le débat démocratique.


* Jean Baubérot, professeur émérite (Sorbonne), est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont Histoire de la laïcité en France et Les Laïcités dans le monde, tous deux parus dans la collection « Que sais-je », aux éditions PUF.