Economie

L’Arabie Saoudite mise son avenir sur le tourisme non religieux, le hajj pour tremplin

Rédigé par | Vendredi 9 Aout 2019 à 11:00

L’Arabie Saoudite ne fait pas vraiment rêver les voyageurs internationaux. Plus pour très longtemps ? Le royaume ultra-conservateur est bien décidé à gommer la mauvaise image qu’il traîne et s’est mis en tête de booster l’industrie touristique, très largement dominé jusqu’ici par le tourisme religieux. Les autorités entendent bien se servir de l’énorme manne qu’apporte le pèlerinage dans les Lieux saints de l’islam pour entreprendre le virage.



L’Arabie Saoudite est l’un des derniers pays au monde fermé aux touristes internationaux. Le pays, qui traîne l’image d’un pays rigoriste, manquant d’hospitalité pour les étrangers, peu respectueux des droits de l’Homme, et surtout des femmes, veut changer la donne. Pour ce faire, les autorités, sous la houlette du prince héritier Mohammed Ben Salmane, misent sur les secteurs de la culture, du sport et du divertissement. Bien que considérés comme des sources de « dépravation » par les milieux ultra-conservateurs, ils constituent autant de leviers de développement du tourisme dont l’Arabie Saoudite ne veut pas se priver.

Alors que seuls les visas pour le pèlerinage et les voyages d’affaires sont, jusqu’à présent, délivrés aux étrangers, les autorités ont annoncé, en septembre 2018, l’octroi de visas à celles et ceux désirant assister à de grands événements sportifs et culturels, à l’instar du prestigieux rallye-raid du Dakar qui aura lieu en 2020. « Après 30 années à sillonner et découvrir l'Afrique et dix ans à s'émerveiller des paysages sud-américains, le plus grand rallye du monde va écrire un nouveau chapitre au sein des déserts mystérieux et profonds du Moyen-Orient, en Arabie Saoudite », et ceci pour une durée de cinq ans, ont fait savoir les organisateurs en avril.

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Le tourisme pour se préparer à l’après-pétrole

Cette étape, qui en annonce d’autres dans les prochaines années,* s’inscrit dans le cadre de Vision 2030, un vaste plan de réformes socio-économiques annoncé en 2016 dans lequel le tourisme est défini comme un secteur clé de son économie, à gros potentiel de croissance et d’emplois. Il s’agit, pour l’Arabie Saoudite, de marquer son entrée dans l’ère de la modernité et, surtout, de diversifier son économie et réduire sa trop grande dépendance au pétrole. Un enjeu majeur à l’heure où l’économie saoudienne est régulièrement fragilisée par la baisse des prix de l’or noir – dont il faut bien, un jour, anticiper la fin – ainsi que la coûteuse guerre engagée contre le Yémen depuis 2015.

L’Arabie Saoudite entreprend ainsi de mettre en valeur plusieurs sites archéologiques comme celui d’Al-Ula, un oasis aussi grand que la Belgique inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco et que MBS veut voir rivaliser avec Petra, en Jordanie, avec le concours de la France. En parallèle, elle s’attelle à la transformation d’une cinquantaine d’îles de la mer Rouge en stations balnéaires de luxe, à la construction de la cité futuriste Neom en plein désert ou encore à celle de la cité du divertissement d'Al-Qiddiya, proche de la capitale Riyad.

L’objectif affiché des autorités : attirer 30 millions de visiteurs par an d'ici à 2030. Selon le salon Arabian Travel Market, les arrivées internationales devraient augmenter de 5,6 % par an, passant de 17,7 millions en 2018 à 23,3 millions en 2023.

Le marché du pèlerinage en pleine mutation

Qu’il soit petit ou grand, le pèlerinage à La Mecque et à Médine est un des piliers de l’économie saoudienne sur lequel les autorités entendent bien capitaliser et développer dans le cadre de Vision 2030. Dans le volet « Enrichir l'expérience du hajj et de la omra », le royaume compte sur la manne de pèlerins – 30 millions en 2030 visés – pour voir se développer le tourisme non religieux, en permettant, probablement dès 2020, aux musulmans de prolonger leurs séjours pour visiter le pays et y faire des activités de toute nature en dehors des sites sacrés. Un changement important qui ne sera pas sans conséquences dans l’organisation future du pèlerinage, en particulier dans les pays à majorité non musulmane, le hajj étant ailleurs contrôlé par les Etats.

Dans les années à venir, « le pèlerinage sera un produit touristique comme un autre, à ceci près qu'il restera réservé aux musulmans », nous indique Kamel S. (prénom modifié), un professionnel du secteur en France, qui observe avec circonspection « une mutation du marché du hajj en cours ». « Le futur hajj que l'Arabie Saoudite veut faire accomplir aux fidèles se dessine maintenant sous nos yeux. 2019 est une année charnière dans l'organisation nouvelle du pèlerinage, avec beaucoup de nouveautés qui s’installent et qui nécessitent une adaptation des agences en France et, en conséquence, des prix », assure-t-il.

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Quelles conséquences pour les agences hajj en France ?

Outre l’élargissement prochain du visa hajj/omra au tourisme, 2019 a vu le lancement du visa électronique, qui sera généralisé à travers le monde dès 2020. A ce jour, l’accès au portail électronique dédié au pèlerinage est réservé aux agences mais l’Arabie, qui veut renforcer le rôle de son secteur privé dans l’économie du pèlerinage dans le cadre de Vision 2030, envisage de l’ouvrir, à terme, aux pèlerins afin qu’ils puissent, par eux-mêmes, examiner et choisir les produits et services dont ils souhaitent profiter durant leur séjour. Si tel sera le cas, pour Kamel S., « notre avenir, celles des agences, est en jeu. Les acteurs du pèlerinage sont condamnés à s'adapter ou à mourir ».

Se lancer dans le tourisme non religieux ? Le problème, c’est que « nous (professionnels du hajj, ndlr) n'avons pas de visibilité sur l’avenir car nous faisons face à beaucoup d’incertitudes. Ce qui est sûr, pour la France, c'est que le hajj sera de plus en plus cher et cela ne voudra pas dire que la qualité sera forcément au rendez-vous. En tous cas, il ne faudra pas s'attendre à ce que les prix baissent », nous dit-il avec une lucidité froide.

Aujourd’hui, il faut compter au minimum 6 000 € pour un forfait hajj classique, sans compter les options hors forfait (assurance voyage, mouton de l’Aïd...) et les dépenses personnels. Le voyage a donc un coût qui, même justifié, est inabordable pour de nombreux musulmans, qui les conduit de plus en plus à se contenter d’une omra, bien plus accessible (1 000 € pour les premiers prix) et sans contrainte de dates.

Plusieurs facteurs expliquent un coût du hajj qui tend vers la hausse, à commencer par le lifting complet des lieux sacrés qui a entraîné une rénovation profonde du parc hôtelier et des infrastructures de transports à La Mecque. Le fait que le hajj s’organise en été depuis 2016 (et jusqu’en 2024) implique, en outre, une hausse conséquente des prix des billets d’avions, en partie liée à une saturation saisonnière du trafic aérien. Autant de coûts supplémentaires incompressibles (ajoutés à ceux, de plus en plus nombreux, imposés par l’Arabie) qui ne sont pas pour aider les agences à atteindre les quotas de places qui leur sont accordés, d’autant que le hajj est le voyage type qui ne se fait en général qu’une fois dans la vie d’un musulman.

L’avenir des agences étrangères est toutefois le cadet des soucis de l’Arabie Saoudite, qui travaille à valoriser de plus en plus son vivier de femmes (57 % de la population) et de jeunes (moins de 30 ans, 58 %). Une nécessité si elle veut vraiment changer de paradigme.

En partenariat avec le magazine Salamnews

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur