Société

Juliette Méadel : « Face à la défiance à l'égard du système démocratique, élever le niveau du débat public »

Les mots piégés du débat républicain

Rédigé par Pierre Henry | Mercredi 27 Avril 2022 à 11:30

Après être revenu sur l'origine du mot « démocratie » et sa balade dans l'actualité, un spécialiste nous aide à y voir encore plus clair. Juliette Méadel est magistrate à la Cour des comptes. Ancienne secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes, l’actuelle conseillère municipale de Montrouge a publié aux Éditions de l'Observatoire « Un impérieux besoin d'agir » où elle y raconte son expérience politique.




La démocratie s'exerce notamment par le vote des citoyens. Notre pays a été marqué ces dernières années par une forte abstention lors des différents scrutins. Selon vous, quelles mesures devrions-nous mettre en place pour que les citoyens se sentent plus impliqués ?

Juliette Méadel : Je crois que le premier problème de l'abstention vient non pas des citoyens, mais des responsables politiques en fait. Regardez la campagne présidentielle que nous avons vécue. Le niveau du débat est vraiment désespérant. On a de l'invective, des petites phrases, des constats complètement excessifs, que ce soit de l'extrême droite ou de l'extrême gauche. Le débat ne répond pas aux attentes des Français. Donc la première des exigences, la première peut-être des mesures que chaque responsable politique doit appliquer à lui-même, c'est d'élever le niveau de ses interventions en cherchant à répondre aux attentes des Français.

Regardez par exemple, en ce moment, nous vivons dans une espèce de stigmatisation systématique des étrangers alors qu'en fait, ce dont ont besoin les citoyens de France, c'est d'avoir un discours et des actes sur le logement, sur la question de l'autonomie et des personnes âgées. Nous venons de voir le scandale de l’Ehpad avec Orpea, un organisme de maisons de retraite accusé de détourner de l'argent public et de maltraiter ses résidents. Nous avons des sujets qui sont très humains mais pas de réponses qui sont apportées à ces inquiétudes par les responsables politiques. C'est pour ça que les citoyens se détournent du vote.

Ça ne veut pas dire qu’ils ne s’intéressent pas à la politique mais ces attitudes nourrissent la défiance à l'égard du système démocratique. Il y a en démocratie un principe fondamental qui est le respect de l'autre, l'interdiction de la violence, de la haine, qu’il faut combattre. Or, c'est évidemment tout le contraire qui est à l’œuvre, notamment sur les réseaux sociaux.

Alors, que pourrions-nous faire pour faire face à ces violences qui minent notre société démocratique ? J'entends bien l'appel au sursaut des responsables politiques, mais ça ne suffit pas. Quelles mesures concrètes proposez-vous ?

Juliette Méadel : Sur les réseaux sociaux, je serais très autoritaire dans le respect, bien évidemment, de la démocratie et de la liberté d'expression.

Je suis pour que l'on sanctionne les réseaux sociaux qui laissent faire les processus de menaces de mort, de harcèlement, de dénigrement d'autrui. Dès lors qu'un tweet, un post sur Facebook ou sur Instagram est un appel à la haine, je suis pour des sanctions pénales. Le simple signalement que l'on demande à la victime de harcèlement de faire au réseau social est à peu près inefficace. Il faut donc qu'il puisse y avoir une plainte déposée par la victime contre le réseau social pour complicité de harcèlement ou complicité d'appel à la haine.

Et si on commençait par supprimer l'anonymat sur les réseaux sociaux ?

Juliette Méadel : J'y ai longuement réfléchi à l'occasion de mon livre (Un impérieux besoin d'agir, ndlr), mais dites-vous bien que l'anonymat permet aussi à des gens qui n'osent pas trop s'exprimer publiquement, qui n'osent pas apporter leur avis sur des situations politiques ou économiques, de s'exprimer quand même. Je pense donc que ce n'est pas bien d'empêcher l'expression anonyme.

En revanche, toute violence, toute insulte, toute démarche de harcèlement, tout appel au meurtre qui aurait été fait par l'intermédiaire d'un réseau social doit donner lieu à une plainte de la victime contre le réseau social et à des sanctions qui peuvent être pénales.

Oui, mais on n'a pas véritablement la maîtrise sur ces plateformes, ce qui pose d'une certaine manière la question de la souveraineté et de la capacité à créer et à contrôler ces plateformes.

Juliette Méadel : Justement, une victime de harcèlement qui reçoit des tweets odieux contre elle peut parfaitement apporter la preuve de ce tweet injurieux et, s'il y a une infraction qui existe, doit pouvoir porter plainte contre le réseau social. Ce sera ensuite à Twitter, à Instagram, à Facebook ou à d'autres réseaux de régler le problème (…). Ce n’est quand même pas à la victime de harcèlement de subir la gestion et le modèle économique d'Instagram tout ça parce qu'Instagram refuse de faire la police chez lui. Je trouve donc que c'est la moindre des choses pour avoir un débat serein, pour éviter que des journalistes ou n'importe quelle personne ne se fassent insulter pour une raison ou une autre, de manière anonyme. Il faut sanctionner le réseau social.

Nous parlons de vote obligatoire, de référendum, d'initiative populaire. Un des candidats à la présidentielle propose, lui, de changer de République. Selon vous, faut-il passer par un changement aussi radical pour renouveler la démocratie ? Et que peut-on proposer aujourd'hui pour renouveler l'adhésion au sentiment, à la participation démocratique ?


© Flickr/P. Grangeaud
Juliette Méadel : J'ai trois grandes idées pour ça. D'abord, je suis contre le changement de République. Je pense que ce qu'il faut changer, ce sont les pratiques institutionnelles, les pratiques des responsables politiques.

Le deuxième sujet, c'est que l'on doit assurer le pluralisme de la presse. Or, en ce moment, il y a des mouvements de rapprochement entre groupes de presse qui n'assurent pas le pluralisme et la diversité des approches. Il faudrait donc une loi pour être beaucoup plus rigoureux et faire en sorte que la presse soit plus libre, plus protégée. (…)

Le troisième sujet, c'est la question de la durée des mandats. Je pense que, par exemple, en ce qui concerne les élections municipales, il faudrait limiter les mandats de maire dans le temps. Deux mandats, cela me semble bien suffisant, ça fait déjà 12 ans. Pour le mandat du président de la République, comme je le dis dans mon livre, il faudrait un seul mandat de six ans. Pourquoi ? Pour éviter la concentration des pouvoirs sur une trop longue période. Cette concentration des pouvoirs empêche les nouvelles voies de se faire entendre. Ça bloque le système, ça installe des baronnies, des clientélismes et ça ne fait pas respirer la démocratie. Ça me paraît donc être un des outils les plus utiles pour faire ça.

Enfin, sur la démocratie locale, je pense qu'il faut changer les règles électorales pour élire les maires. Un maire élu avec 500 voix de plus sur une liste de 50 000 habitants - je l'ai vécu dans ma commune de Montrouge - a quatre fois plus de voix que moi (l'opposition) au conseil municipal. Donc il bloque tout. Ce n’est pas démocratique.

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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

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