Société

Islam de France: imams, nouveaux médiateurs interculturels ?

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 6 Novembre 2012 à 00:00

L’islam fait peur. La communauté musulmane de France doit faire face à cette méfiance, qui puise sa source dans les amalgames entre musulmans et terroristes. Pour contrer cette stigmatisation, elle doit s’organiser en France. Au micro de France Inter, mercredi 17 octobre, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a invité les instances représentatives du culte musulman à s’engager plus nettement dans la formation des imams. Pour le sociologue des religions, Olivier Bobineau, la solution est surtout à rechercher du côté de la médiation interculturelle.



L’interpellation, en octobre, d'une dizaine de personnes converties à l'islam et soupçonnées de faire partie d’une cellule terroriste ravive une peur de l’islam et des musulmans, déjà prégnante. Ainsi, selon le dernier sondage IFOP, 67 % des Français estiment que les musulmans ne sont pas bien intégrés dans la société française et 43 % considèrent la présence d’une communauté musulmane comme une « menace pour l’identité du pays ».

L'image de l'islam s'est dégradée et elle est aujourd'hui « très mauvaise », d’après Olivier Bobineau,, sociologue des religions et co-auteur avec Stéphane Lathion, coordinateur du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse (GRIS), de l’ouvrage Les Musulmans, une menace pour la République ?, paru aux éditions Desclee de Brouwer en juin 2012.

Du péril rouge au péril vert

Cette méfiance à l'égard des musulmans n’est pas nouvelle. Selon Olivier Bobineau, 1989 est la date fatidique à partir de laquelle les musulmans deviennent les boucs émissaires des sociétés occidentales. « Alors, que de 1945 à 1989, l’adversaire était le communisme, après la chute du mur de Berlin en 1989, il y a substitution du péril rouge par le péril vert », nous indique le sociologue. « Sur les écrans, on voit passer en boucle l’ayatollah Khomeiny, qui lance notamment une fatwa contre l’écrivain Salman Rushdi. Les sociétés occidentales cherchent un adversaire et le barbu musulman fait peur », ajoute-t-il.

Pourtant, Khomeiny, qui est chiite, est loin d’incarner la population musulmane, majoritairement sunnite, fait remarquer M. Bobineau. Peu importe, les sociétés occidentales ont trouvé dans le barbu musulman l’adversaire idéal, et se focalisent à présent sur les « arabo-musulmans ».

Dernièrement, l’Institut américano-arabe (Arab American Institute, ou AAI) révélait ainsi que les Arabes et les musulmans sont les minorités les moins appréciées aux États-Unis. 41 % des Américains se sont déclarés défavorables aux musulmans.

Des jeunes en quête d’identité

En France, les « Beurs » de confession ou de culture musulmane, aujourd'hui stigmatisés, ne représentent pourtant pas un danger. Ils sont « en quête d’identité » car, au bled, ils sont rejetés par leur « groupe d’origine » et ne parviennent pas à accéder au « groupe de référence », incarné par les personnes qui ont un statut social élevé, juge Olivier Bobineau.

Résultat : dès la fin des années 1980, ils se réfugient dans un « groupe d’appartenance » où ils vont développer avec leurs « semblables » leurs propres caractéristiques avec le « verlan », la musique « rap » et une revendication contre le porc. Côté tenue vestimentaire, les garçons vont s’emparer du keffieh, symbole du leader palestinien Yasser Arafat, quand les filles vont commencer à porter le voile en opposition à leur groupe d’origine du Maghreb, où le voile est rejeté à cette période, analyse le sociologue.

Cette « contre-culture » des jeunes issus de la deuxième génération d’immigrés se développe en réaction à leur groupe d’origine, qui ne les « reconnaît pas », et au groupe de référence qui ne leur fait que « des promesses », relève le sociologue. « Cette construction en adversité contre la culture dominante renforce leur identité », note-t-il. Mais cette « surenchère identitaire » peut alors mener certains à la violence. Une violence dirigée contre soi-même ou contre les autres.

Les médiateurs interculturels dans les quartiers et les mosquées

Au regard de cette analyse, cette violence est donc d’origine sociologique plus que religieuse. Pourtant, la religion musulmane reste suspecte aux yeux des Français. Une méfiance renforcée par une actualité géopolitique de 1991 à 2001, « années rouges » selon M. Bobineau, qui relient bombes et musulmans.

Alors comment faire pour effacer cette image ? « Il y a deux solutions. La première est conjoncturelle. Il faut établir un plan Marshall dans les banlieues, en menant une vraie politique urbaine avec une réhabilitation des logements. La seconde est structurelle, c’est la médiation », estime-t-il. Pour cela, il prône la création de postes de médiateurs interculturels qui auraient « une connaissance de la laïcité, des lois de la République » mais aussi de la « culture de l’autre ». Ils pourraient ainsi intervenir dans les quartiers, tout en officiant dans les mosquées, car, selon lui, contrer les dérives vers l’extrémisme passe avant tout par la médiation.

A l'inverse, l'ancien directeur du DU « Interculturalité, Laïcité et Religions » de l'Institut catholique de Paris qui forme des imams, ne croit plus en la formation de ces chefs religieux. « J’ai démissionné de ce poste car, avec tous les débats sur la laïcité, l’islam était à chaque fois visé. Comment dire qu’on est imam avec une telle image de l’islam ? », interroge-t-il.

Mais, dans un contexte hostile à l’islam, bannir le terme « imam » est-il vraiment la solution ? Cela reviendrait plutôt à renier un élément important de la religion musulmane. Reste que le sociologue a proposé ses idées au gouvernement depuis le mois de décembre 2011. Pour l’heure, il n'a reçu aucune réponse.

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a annoncé le recrutement imminent de 15 aumôniers musulmans dans le but de faire face au radicalisme religieux en prison. Quant au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, il a dernièrement appelé les institutions représentatives du culte musulman du pays à « prendre leurs responsabilités », notamment en ce qui concerne la formation des imams et les financements extérieurs.

Face à l'ignorance, la source principale des peurs qui se cristallisent au sein de la société française, des solutions restent encore à trouver et à mettre en place pour mieux faire connaître l’islam et lutter contre les dérives extrémistes.