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Pourquoi l’islam est au coeur du débat en France

Rédigé par . | Dimanche 3 Avril 2011 à 18:12

           


Fin connaisseur des religions, Olivier Bobineau remet en perspective le débat sur la laïcité et les problèmes posés par la visibilité de la religion musulmane dans l'espace public.

Entretien paru dans dimanche Ouest-France du 3 avril.


Olivier Bobineau, 39 ans, sociologue des religions (Sciences Po), dirige la formation des imams à la laïcité à la Catho de Paris.

L'islam, selon vous, ne pose pas de problèmes majeurs en France.

Mon travail de chercheur, spécialiste de la place des religions dans l'espace public depuis des années, me permet d'affirmer que 98 % des musulmans vivent paisiblement leur foi en France et ne causent aucun trouble à l'ordre public. Les prières dans les rues, les créneaux horaires réservés aux femmes dans les piscines, les repas halal dans les cantines... sont autant de phénomènes marginaux. L'islam radical ne représente que 2 % des effectifs.

Le débat sur l'islam ne serait donc pas religieux ?

Non. La question est avant tout sociale, économique, culturelle. Une confusion s'opère dans l'opinion entre les musulmans et les problèmes rencontrés dans les quartiers populaires. Face aux échecs dans ces territoires, après de multiples politiques publiques, on cherche des responsables. On fait jouer ce rôle à la religion musulmane.

Sa visibilité dans l'espace public est-elle une source de crispation ?

Oui, cet affichage vient heurter une spécificité de la culture française, quasiment inscrite dans ses gènes. Le port de symboles religieux dans l'espace public procure une gêne parce que cela rappelle de tristes souvenirs. Il faut en chercher l'origine dans les guerres de religions, extrêmement violentes, entre catholiques et protestants. Depuis, toute visibilité d'un symbole religieux apparaît comme contraire au vivre ensemble dans l'espace public.

Comment les jeunes Français musulmans se sont-ils intégrés dans ce contexte ?

La fin des années 1980 marque l'installation définitive des musulmans en France. La génération des beurs sait qu'elle ne rentrera pas au bled. Or le beur subit une double aliénation : pointé du doigt en France et « fils de colon » au bled. Il n'est nulle part chez lui.

Comment se construire alors une identité ?

Les jeunes de banlieue vont se regrouper entre eux, fonder des tribus dotées d'attributs : grammaire (le verlan), vêtements, musique, danse... Ce qui compte, c'est le symbole, l'affichage... Le voile fait partie de cet affichage. Cette contre-culture ne va pas cesser de se développer car elle s'oppose à la culture majoritaire.

Difficile, dans ces conditions, de se comprendre...

D'autant plus qu'une grande partie du débat est occultée par le contentieux franco-algérien. Entre les deux pays, l'histoire n'est pas claire. Or, il y a un grand risque d'amalgame entre musulman, arabe et Algérien. Rajoutez la décennie 1991-2001, marquée par la guerre contre les islamistes en Algérie et les attentats du 11 septembre, qui accroît la suspicion.

Et la différence entre les religions catholique et musulmane ?

Nous sommes incapables de penser la religion autrement que par le prisme catholique. Le catholicisme repose sur un triptyque : un chef de droit sacré (le pape), une théologie dominante (la loi naturelle), un droit (le droit canon). L'islam est complètement à l'opposé : chefs multiples, affrontement des théologies, cinq écoles juridiques. En un mot : pluraliste. Pas un seul musulman ne pense comme un autre.

Mais l'islam radical se développe. Pourquoi ?

Les mouvements radicaux sont les seuls à proposer concrètement ce que j'appelle les trois « E ». Comme estime de soi, équité et espérance. L'islam radical ne se limite pas aux prêches des imams. Il diffuse ces trois « E » au travers d'actions sociales : soutien scolaire, aide au logement... Il se développe d'autant plus que l'islam « d'en-haut » (Conseil français du culte musulman, Grande mosquée de Paris) est en quête de légitimité. Enfin, la stigmatisation des musulmans par les leaders politiques ne fait que renforcer les attraits du radicalisme.

Vous visez Nicolas Sarkozy ?

La politique actuelle consiste à souffler sur les braises, à désigner un bouc émissaire. Alors que le rôle premier d'un chef d'État doit être de garantir et d'incarner l'unité du pays. Depuis quand la division du peuple est-elle d'intérêt général ?

Inutile de toucher à la loi de 1905 ?

C'est un bijou pour la liberté de conscience. Pas besoin d'y toucher. Pas maintenant en tout cas.

Source : www.ouest-france.fr
Auteur : Recueilli par François VERCELLETTO.





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