Points de vue

Il vaut mieux allumer une chandelle que maudire l’obscurité

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Jeudi 6 Octobre 2016 à 16:04



AMMAN. – La première fois que je l’ai rencontré, c’était il y a trois ans. Attablée dans un café d’Amman, j’attendais Chelsea, une amie Afro-Américaine amoureuse du Proche-Orient et que j’avais rencontrée plus tôt à Bethléem, en Palestine.
Après de nombreuses discussions sur Facebook, nous avions décidé de nous retrouver tous les trois après son travail de consultante dans une de ces nombreuses organisations internationales qui ont trouvé refuge à Amman, devenue ville d’accueil depuis l’implosion de la région proche-orientale.
Ah, tu sais, Amman n’est pas Damas, Amman n’est pas le Caire, Amman n’est pas Jérusalem. Voilà ce qu’elle ne cessait de clamer comme tous les Occidentaux parachutés dans cette ville conjuguée au négatif.

Bachir, encore inconnu pour moi, arrivait de Syrie. Chrétien syrien et étudiant en médecine, il avait rejoint la capitale jordanienne après les pressions et menaces de mort de plus en plus persistantes de la part des factions anti-Assad qu’ils avaient décrites comme islamistes et des militaires du dictateur présenté dans nos rédactions européennes comme le « protecteur des minorités (et des femmes) ». Même stratégie que l’ancien despote tunisien Ben Ali.
Face à cette situation, Bachir avait fui. C’était la première fois que j’écoutais l’histoire, la trajectoire d’un réfugié syrien. Avant l’année 2015. Avant les photos d’Aylan. Avant l’été 2015 et ses insoutenables photos de bateaux de fortune échoués sur la Méditerranée.
Je ne sais pas ce qu’est devenu Bachir.

Depuis ces trois dernières années, j’en ai rencontré des Bachir. Bien moins fortunés. Moins chanceux. Dans les faubourgs de Beyrouth. Très nombreux. Dans les rues d’Istanbul. Chez moi aussi. En bas de chez moi. Littéralement.

Chaque matin. Chaque soir. À l’heure où je quitte mes pénates ou les rejoins, je les croise. Ce ne sont pas les mêmes depuis un an. Mais ils sont toujours là. Chaque jour. Été comme hiver. De jour comme de nuit. Qu’il neige ou qu’il pleuve. Ils sont là.

Ils ont des prénoms, des histoires. Certains viennent d’Alep, d’autres de Homs. Ils ont un hébergement de fortune. Un centre d’accueil. Tentent de récolter la somme nécessaire pour aider ceux qui n’ont pas eu la possibilité de quitter l’enfer ou sont en transit. Sur une ile grecque ou en Turquie. Ils pensent à ailleurs. Ils n’ont pas très envie de rester sur notre sol gaulois. Il faut dire que l’on a tout fait pour les dissuader de rester.

De Calais aux parcours du combattant pour obtenir un statut, nos administrations ne font rien pour accueillir les réfugiés que le gouvernement s’est engagé pourtant à accepter. Aujourd’hui, notre pays a donné le statut de réfugiés à 10 000 Syriens. Sur 5 millions qui ont quitté leur pays. 10 000 individus, cela représente moins qu’une de nos 33 000 communes françaises. L’invasion, selon le grand intellectuel spécialiste de l’islam : Zemmour. Une poussière, selon le bon sens commun.

Ce weekend, les réfugiés syriens étaient toujours en bas de chez moi pendant qu’autour d’eux l’Europe érigeait des murs. À Calais d’abord. Oui, la frontière entre la France et la Grande-Bretagne n’est plus la Manche. Oubliez vos cours de géographie, nos gouvernements en ont décidé autrement. Et face à cette nouvelle frontière va se tenir un mur. Un mur végétalisé, s’il vous plait. Un mur quand même.

Le dernier en date en Europe, on le doit à la Hongrie de Viktor Orbán, figure adulée de tous les extrémistes de droite en Europe et, en regardant bien, vous verrez qu’ils ont le vent en poupe ces dix dernières années.

Peu d’années après ma naissance, les murs en Europe, on les faisait tomber, en musique, en poésie. C’était beau et on chantait que cela ne se reproduirait plus. Jamais.

Mon époque à moi n’est pas à la fête. Ma génération n’a pas grand-chose d’idéaliste à se mettre sous la dent. Pas de quoi rêver. Alors elle maudit l’obscurité dans laquelle nous avons été plongés tout en tentant de temps à autre d’allumer une chandelle. La dernière chandelle, je l’ai vue en bas de chez moi.

Inconnue, elle distribuait à mes voisins d’infortune des sacs de vêtements, de nourritures et de jouets. Puis elle est repartie. Elle n’avait pas conscience qu’elle irradiait. Pendant quelques instants, j’avais cessé de maudire l’obscurité.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les… En savoir plus sur cet auteur