Points de vue

Fonds souverain ne rime pas qu'avec Qatar !

Rédigé par Matthieu Turpain | Vendredi 19 Octobre 2012 à 00:00



L’arrivée du Qatar dans l’Hexagone tend à laisser croire que les fonds souverains sont des nouveautés financières aux moyens financiers démesurés.

En réalité, les premiers fonds souverains à dimension internationale (celui du Qatar a été créé en 2005) remontent à des dizaines d’années : le Koweït et l’Arabie Saoudite en 1953, les Émirats arabes unis en 1973 ou bien plus récemment la Norvège depuis 1990. Ces fonds souverains sont tout aussi efficaces et présents en France, surtout s’agissant du fonds souverain nordique.

Le fonds souverain : une entité publique en quête de rendements ?

Dès 1966, les dirigeants norvégiens prennent conscience de l’épineuse question du financement des retraites en créant le National Insurance Scheme Fund. Dans le but d’internationaliser les investissements et d’augmenter le rendement, la Norvège lance le Governement Pension Fund Global (GPFG). Le but affiché est de maximiser les revenus générés par la rente pétrolière. Les liquidités tirées de cette dernière permettent d’être réinjectées dans des prises de participations dans le capital d’entreprises cotées. En France, les Norvégiens détiennent des parts minoritaires dans des groupes tels que GDF, Total, etc (1). Les valeurs bancaires sont également appréciées.

Structure financière hybride, à mi-chemin entre la société privée d’investissement et la « banque publique d’investissement » (pour reprendre une expression très en vogue), le fonds souverain est généralement contrôlé par l’État. Un mandat est souvent donné à la Banque centrale nationale, la Norges Bank (NB (2)) pour la Norvège, ou à une Autorité ad hoc, la Qatar Investment Authority (QIA (3)) pour le Qatar. L’objectif du fonds est assimilable aux fonds de pensions qui investissent sur les marchés financiers : diversification du portefeuille (actions et obligations) et le rendement (bien que la quête du sacro-saint 15 % – ô combien inaccessible – ne soit pas la priorité).

Le Qatar, détenteur d’un fonds souverain médiatiquement performant

Les enseignes achetées récemment par la QIA sont en pôle position des marques les plus visibles dans le paysage médiatico-économique. Ces investissements sont-ils pour autant rentables ? Ne constituent-ils pas des investissements« bling-bling » ? A quoi s’ajoute l’opacité qui entoure les achats et les ventes des actifs meubles et immeubles par le Qatar (4). Les opérations financières nécessitent toujours des intermédiaires financiers, et plus encore quand le domaine est sensible : les récentes acquisitions du fonds souverain qatari en sont un exemple parfait. Quand le géant minier Glencore s’est présenté en vue de fusionner avec Xstrata, les représentants des deux entreprises et un représentant du Qatar discutaient des modalités de la fusion (5).

Mais si la QIA excelle dans un domaine en particulier, c’est dans le médiatiquement rentable. Qu’il s’agisse du secteur hôtelier, du sport (le PSG mais aussi le village olympique de Londres 2012 où le Qatar souhaite récupérer le centre des médias pour en faire un espace de stockage de données informatiques), le fonds pétrolier du Moyen-Orient est à la manœuvre.

La transparence norvégienne : un concept historique transposé à la finance

Opposer de manière tranchée les différents fonds souverains serait stérile.

Chaque banque centrale / autorité publique / société privée sous mandat gestionnaire du fonds souverain doit être en mesure de fournir aux représentants d’entreprises et au grand public des informations financières.

Sur ce point, la Norvège fait figure de meilleur élève et excelle pour rendre disponibles au grand public les informations relatives au montant des actifs investis, aux parts détenues dans les sociétés ou bien à la capitalisation (en temps réel) du fonds. Des avantages majeurs ressortent d’une telle transparence : les représentants des entreprises savent à quel investisseur ils ont à faire, les dirigeants du fonds sont en mesure de démontrer aux hommes politiques du pays de rattachement que les recettes sont effectives et enfin l’avenir financier des individus (bénéficiant d’un retour sur investissement) est assuré.

La souveraineté nationale appliquée aux ressources naturelles ?

Derrière la gestion des recettes engrangées grâce aux ressources naturelles exceptionnelles dont sont dotés les États détenteurs de fonds souverains apparaît en filigrane une thématique.

Si un pays crée une entité publique / parapublique pour explorer, produire puis exporter son pétrole ou bien son gaz, c’est bien pour conserver une certaine mainmise sur ses ressources naturelles. La souveraineté nationale s’applique à des questions politiques mais aussi économiques : le pétrole est donc un bien de la nation.

Si la France, ayant souhaité lancer un fonds d’investissement public en 2008 (le Fonds Stratégique d’Investissement (6) ) décidait de lever le moratoire sur l’exploration et la production du gaz de schiste – et sous réserve bien sûr d’une analyse préalable et objective du risque écologique –, elle pourrait respirer financièrement !

À l’image de Barack Obama qui a fait sienne l’idée d’autosuffisance énergétique en autorisant l’exploration et la production du gaz de schiste, la France pourrait atteindre dans un avenir proche le statut d’exportateur énergétique (à défaut de l’être sur les produits manufacturés ou les services). Ce Graal juridique et financier garantirait un financement durable du budget de l’État et, rêvons un peu, résorberait une dette qui devrait dépasser le seuil fatidique des 91 % en 2013…

Notes

(1) Carte interactive des investissements du fonds souverain norvégien : on y retrouve la participation (en pourcentage) et le montant des fonds investis (au centime près) : www.nbim.no; sur la page d’accueil, sur le côté droit, la capitalisation en temps réel du Fonds souverain norvégien est visible.

(2) En réalité, le fonds est géré par la Norges Bank Investment Management, filiale de la Banque centrale de Norvège : www.nbim.no.

(3) Nous laissons à l’appréciation de nos lecteurs la sobriété des informations divulguées sur l’action du Fonds qatari : www.qia.qa/ et www.qia.qa/about (pour la stratégie d’investissement et les données financières principales).

(4) L’opacité en matière d’investissement crée de l’inquiétude : en ce sens, des articles de la presse économique relayent les doutes qui subsistent : Les Echos, ou bien contra : L’Expansion.

(5) Les débats autour de la fusion : blogs.lesechos.fr et www.lesechos.fr.

(6) Financé par l’emprunt, le FSI est faussement catalogué comme étant un fonds souverain. Son activité démontre aussi une activité plus axée sur les PME-PMI.