Economie

Femmes et hommes dans l’entreprise : les stéréotypes ont la vie dure

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 28 Mai 2012 à 07:33

Bleu pour les garçons, rose pour les filles. Les stéréotypes sur le genre se construisent dès l’enfance. C’est donc naturellement qu’on les retrouve par la suite dans le monde de l’entreprise. IMS-Entreprendre pour la Cité et Patrick Scharnitzky, chercheur en psychologie sociale, ont voulu savoir quels étaient ces stéréotypes dans l'entreprise. En effet, les connaître est indispensable pour « les déconstruire et changer les mentalités et les pratiques », alors que les femmes peinent à accéder aux postes à hautes responsabilité et sont toujours moins payées que les hommes.
Les résultats de l'enquête* dévoilés, jeudi 24 mai, démontrent notamment que la prise en compte de la vie privée des femmes pourraient leur permettre d’accéder plus facilement à une position hiérarchique élevée.



L’IMS, association spécialisée dans les questions de responsabilité sociétale, a mené son enquête auprès de 1 200 salariés dans 9 entreprises partenaires (Accor, Capgemini, Egide, Pôle Emploi, Renault, Sodexo, Sogeti, TNT et Total), sur une période allant de septembre 2011 à février 2012. Des questionnaires et des entretiens collectifs et individuels ont permis d’établir les stéréotypes qui existent sur les hommes et sur les femmes.

Premier résultat : les managers interrogés, hommes comme femmes, sont d’ accord pour dire que les hommes et les femmes ont des compétences professionnelles différentes. Les hommes seraient dotés d’une intelligence logique et d’un esprit de synthèse, alors que les femmes auraient une intelligence intuitive et créative. On attribue aussi aux hommes le leadership, l’autorité, le charisme, la confiance ou encore le sens de la communication. Les femmes se voient attribuer des compétences d’organisation, de rigueur, de polyvalence et des capacités d’écoute et d’empathie.

En résumé, les compétences attribuées aux hommes seraient celles qui sont associées au management et au pouvoir, car elles englobent des qualités comme le leadership, et les compétences attribuées aux femmes sont associées à de l’assistanat ou à des fonctions d’appui.

En clair, l’image du patron et de son assistante règne encore dans les esprits.

Le patron idéal : mi-homme, mi-femme

Si les compétences des hommes correspondent dans l’imaginaire au statut de cadre dirigeant, l’étude révèle que le manager idéal n’est pas un homme mais est un « modèle androgyne ». En effet, pour les managers sondés, un bon manager ou un bon cadre dirigeant est une personne qui a des compétences associées aux hommes comme le charisme mais aussi des compétences associées aux femmes comme la rigueur.

Autre enseignement de cette étude : les hommes et les femmes ont une bonne image d’eux-mêmes. Chaque individu a une image positive de son groupe.

Mais alors que les hommes ont une bonne image des femmes, ces dernières ont une mauvaise image des hommes. Pourquoi ? Tout simplement, parce que les femmes pensent que les hommes sont à l’origine de la discrimination dont elles font l’objet. Ainsi, « 57,5 % des femmes pensent que si les femmes sont moins représentées que les hommes dans des postes à responsabilités, c’est que leurs supérieurs hiérarchiques favorisent les hommes. » Elles sont méfiantes à leur égard alors que les hommes ont d’elles une bonne image. Reste que les hommes apprécient moins les femmes qui ont des responsabilités élevées. Un sentiment que l’on retrouve chez les femmes. Elles aussi ont « un stéréotype moins positif sur les femmes dirigeantes que sur les femmes managers ».

Il faut dire que les femmes cadres dirigeantes pâtissent plutôt d’une mauvaise image. Pire, pour plus de la moitié des managers, ces femmes finissent par se comporter comme des hommes, ce qui renforce la mauvaise image qu’elles offrent. 85,1 % estiment qu’elles sont parfois plus dures que les hommes dans leur façon de manager.

Autocensure des femmes

Se « masculiniser » ne plaît pas aux femmes. Alors, elles ont dû mal à se projeter à des postes à hautes responsabilités. Mais ce n’est pas la seule raison qui fait que les femmes sont moins candidates à ce type de poste. L’autocensure est grande. Elles ne se voient pas dans ces positions pour plusieurs raisons.

Les contraintes familiales sont la première des raisons. Les femmes ne souhaitent pas sacrifier leur vie de famille car elles ont l’impression qu’elles doivent choisir entre une vie professionnelle et une vie familiale, note l’étude. Pour 86 % des femmes et 91,5 % des hommes, c’est la principale raison de leur faible représentation à des postes à hautes responsabilités. « Elles culpabilisent d’être ou de devenir de "mauvaises mères" quand elles passent beaucoup de temps au bureau, mais aussi de ne pas mettre toutes les chances de leur côté (…) si elles ne consacrent pas tout leur temps au travail. »

A Pôle Emploi, l’une des entreprises du panel, déjà signataire d’un accord égalité hommes-femmes, on a décidé à l’issue de ces résultats, d’« agir sur l’autocensure », indique Catherine Fournier, la responsable du département Diversité et Conditions de travail. Pour cela, l’agence va « développer les modèles féminins, détecter les potentiels féminins et communiquer sur l’évolution de carrière », explique-t-elle. Mais il va falloir « intégrer les hommes car ils ne se sentent pas concernés du fait que l’entreprise est déjà féminisée avec 74 % d’effectifs féminins ». « Il va falloir travailler sur les aspects de la parentalité avec la mise en place de temps partiel ou encore de congé paternité », précise Claire Vercken, la responsable projet Diversité.

Concilier vie privée et vie professionnelle

Les dispositions prises par Pôle Emploi vont dans le sens des préconisations émises par l’IMS. L'association note, en effet, qu’il est nécessaire de lutter contre l’autocensure en coachant les femmes et en érigeant des modèles pour qu’elles s’identifient à des positions hiérarchiques très élevées. De plus, l’entreprise doit associer au cadre dirigeant recherché des qualités féminines pour permettre aux femmes de se projeter à ces postes. Et il ne faut laisser passer aucun langage ni comportement sexiste.

Repenser l’organisation du temps de travail est également très important car, comme on l’a vu, beaucoup de femmes s’autocensurent : elles ont peur de délaisser leur famille. Pour effacer cette contrainte familiale, l’entreprise se doit d’équilibrer les temps de vie de ses salariés. D’autant plus que les jeunes d’aujourd’hui, « la génération Y, ne veut plus se consacrer à son travail. Les jeunes veulent concilier leur vie privée et leur vie professionnelle. On retrouve même cela chez les hommes qui n’ont plus le même investissement dans leur travail que les générations précédentes », note Inès Dauvergne, la responsable diversité de l’IMS-Entreprendre pour la cité. Un avis partagé par beaucoup de sociologues comme Olivier Galland.

L’entreprise doit évoluer en même temps que cette évolution des mentalités et permettre aux femmes d’accéder à des postes à responsabilités tout en se gardant du temps pour leur foyer.

En 2011, les femmes représentaient seulement 7,9 % des comités de direction et des comités exécutifs des grandes entreprises, rappelle l’IMS. Elles ne dépassent que rarement ce « plafond de verre » qui les écarte des plus hautes responsabilités dans le monde de l’entreprise. Dans ces instances, la parité est encore loin mais, du côté du monde politique, on constate une évolution. Le nouveau gouvernement respecte la parité : sur 37 ministres, 14 sont des femmes.


* Voir les résultats de l'enquête Les stéréotypes sur le genre : comprendre et agir dans l'entreprise ici