Politique

Élections 2012 : Think tanks, une révolution silencieuse

Rédigé par Nadia Henni-Moulaï | Samedi 14 Avril 2012 à 00:05

En France, le phénomène des think tanks, cercles de réflexion, bousculent les lignes du débat public. Les politiques n’hésitent plus à s’appuyer sur ces nouveaux réseaux d’influence.



On recense 6 480 think tank dans le monde. La France en compterait 160, l’Allemagne 190, le Royaume-Uni 300 et les États-Unis 1 500.
Question think tank – comprenez laboratoire d’idées –, il y en a pour tous les goûts. À droite, l’Institut Montaigne, créé en 2000 par Claude Bébéar, est à l’initiative de la Charte de la diversité. Parmi ses membres, Guillaume Pepy, à la tête de la SNCF, ou encore le juriste Guy Carcassonne. Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, définit la Fondapol comme « progressiste, libérale et européenne ». Attention, ce professeur à Sciences Po « se défend bien de se référer à un seul camp ».

L’iFRAP, fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, se situe comme le think tank de la société civile avec, à sa tête, Agnès Verdier-Molinié. Parmi ses adhérents, on compte un grand nombre de patrons de PME. À gauche, la fondation Jean-Jaurès est née en 1992. Parmi les figures clés, Pierre Mauroy.

Mais c’est Terra Nova qui tient le haut du pavé. Olivier Ferrand, son fondateur, a été conseiller de Lionel Jospin à Matignon, notamment. Chez Terra Nova aussi, on vante toutefois son caractère indépendant. Mehdi Thomas Allal, responsable du pôle anti-discriminations de la fondation et conseiller pédagogique à l’École nationale d’administration (ENA), est clair : « Nous ne sommes pas affiliés au PS. Nous sommes même en porte-à-faux avec le parti », explique-t-il. Principal point d’achoppement ? Le traitement de la diversité. « Les stratégies militantes vont à contre-courant de la diversité », déclare-t-il sans ambages, ajoutant dans la foulée avoir rendu sa carte du parti, il y a quelques mois déjà…

Les politiques n’ont pas la science infuse

Enfin, l’innovation vient aussi des « petits » think tanks. Comme le Club Jade, fondé par Mehdi Benchoufi. Ce jeune médecin porte des valeurs « socio-libérales ». Surtout, il mise sur le numérique. Au-dessus de la mêlée politique, il propose aux candidats « un pacte numérique ». Avec 30 000 € de budget annuel, le think tank dispose de peu de moyens. Mais son écho commence déjà à se faire entendre, malgré la multiplication, ces dernières années, de ces laboratoires d’idées.

« Il n’y a pas de concurrence entre think tanks », souligne Marie-Cécile Naves, vice-présidente de l’Observatoire français des think tanks. « Le CAS, qui a remplacé le Commissariat général au plan et bien que rattaché à Matignon, est un vivier d’idées pour tous les partis. Les think tanks sont davantage dans un travail de mutualisation. » En novembre dernier, le 2e forum des think tanks réunissait la plupart d’entre eux à la Sorbonne.

Car les politiques n’ont pas la science infuse. Et il est fréquent de les voir piocher des propositions dans les diverses productions de ces cercles… « François Hollande s’est, par exemple, engagé sur la création d’un récépissé délivré après tout contrôle de police », annonce Réda Didi, président-fondateur de Graines de France, un think tank tourné vers les quartiers populaires. Réunissant une trentaine de chercheurs, il propose notamment des formations et des tables rondes sur les problématiques liées à la banlieue. « L’an dernier, nous avons monté une dizaine de rencontres autour des relations citoyens-police. » Détail d’importance, « nous sommes indépendants politiquement. Ce qui nous intéresse, c’est de faire avancer les choses à partir des conclusions de nos experts », précise-t-il. Pour autant, difficile de ne pas se positionner. Surtout pour les grandes formations.

L’argent, le nerf des think tanks

Si les lignes de fracture entre think tanks sont parfois ténues, c’est la question des moyens, et donc de la capacité à faire entendre leurs propositions auprès des décideurs, qui change la donne. « Les sources de financement sont assez similaires d’un think tank à l’autre », note Olivier Urrutia, vice-président de l’Observatoire français des think tanks. « En gros, l’argent vient des cotisations d’adhérents, de donations privées ou publiques. »

Avec un budget prévisionnel culminant à 1,8 million d’euros en 2012, la Fondapol est parmi les mieux lotis. Côté financements, ils proviennent de deux sources. D’abord, une dotation publique : 1,2 million d’euros lui est versé au titre de son statut de fondation. Ensuite, des dotations privées : « Cette année, nous avons reçu 600 000 €. »

Terra Nova, elle, a bouclé 450 000 € de budget de fonctionnement en 2011. Et l’Institut Montaigne déclare un budget annuel de 3 millions d’euros, sans subventions publiques. Des sommes faramineuses mais incomparables au regard de celles qui sont versées aux fondations allemandes. Proche du mouvement démocrate, la fondation Konrad-Adenauer dispose de 120 millions d’euros de budget annuel.

Une question se pose : quelle place ces milieux intellectuels accordent-ils au citoyen lambda ? Un point qui mérite d’être éclairci. « Une vue de l’esprit », contrecarre Olivier Urrutia. « Terra Nova a, par exemple, proposé l’idée des primaires socialistes. Un succès qui a permis à tous les Français de participer au choix du candidat socialiste. »

Casser les codes, une démarche iconoclaste

Si ces cercles de réflexion semblent réservés à des initiés, c’est surtout que l’univers politique français est marqué par une forte relation entre savants et politiques. Et c’est là que le bât blesse.

Contrairement aux idées reçues, les think tank dépoussièrent toutefois la façon de penser et de faire la politique. Car la plupart sont composés de membres de la société civile : journalistes, professeurs, fonctionnaires, acteurs associatifs... tous sont proches du terrain. Terra Nova compte ainsi 1 000 contributeurs bénévoles. En 2007, un groupe d’anciens hauts fonctionnaires socialistes avaient fondé, sous couvert d’anonymat, les Gracques, soutenant une alliance entre le Parti socialiste et l’UDF.

Une démarche iconoclaste qui colle parfaitement à l’esprit des think tanks. Casser les codes et s’emparer de l’univers politique. À l’heure où la méfiance à l’égard des élus prédomine, les think tanks entendent bien être un outil majeur à la rescousse d’une démocratie en pleine crise de confiance. « Ces nouveaux cercles de réflexion rencontrent encore des résistances », constate Olivier Urrutia. « Car les think tanks, c’est un peu l’inverse de la politique élitiste ! » Et de rappeler : « Aujourd’hui, difficile pour les partis d’en faire l’économie. Souvenons-nous que Jean-François Copé a essayé de mobiliser certains think tanks lors de réunions collectives pour produire des idées en vue de la présidentielle… »


LES THINK TANKS AU SERVICE DE LA DIVERSITÉ ?

Logement, emploi ou éducation, l’appel lancé par Terra Nova avec Respect Mag, en janvier dernier, s’adresse à tous les candidats à l’élection présidentielle. Au total, 16 propositions en faveur d’une « France plus métissée ». Englobant la question de l’islam en France, le texte rappelle que la deuxième religion de France est dorénavant à placer au patrimoine de la République.

Rejetant le « multiculturalisme de séparation », la Fondapol prône, quant à elle, une « diversité reconnue et protégée ». Concrètement, l’Institut Montaigne, initiateur de la Charte de la diversité en 2004 et signée par 3 357 entreprises, propose d’offrir des bourses aux élèves issus des zones d’éducation prioritaire (ZEP) inscrits en classe préparatoire.

Le Club Jade suggère de revenir aux enseignements fondamentaux, « en enseignant la philosophie médiévale arabo-islamique dans les établissements scolaires ». Le tout dans « un cadre laïc » : il s’agit de « montrer que toutes les civilisations se doivent les unes aux autres ». Une idée à relayer au moment où l’on parle de la valeur des civilisations…