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Points de vue

Election présidentielle : les pièges de l’ethnicisation de la question sociale

Par Abdelaziz Chaambi*

Rédigé par Abdelaziz Chaambi | Lundi 31 Octobre 2011 à 00:00

           


La date de 1492 qui correspond à la « purification » de l’Europe chrétienne, marquera la fin d’une période unique en son genre et une référence en termes d’humanisme, de vivre ensemble et d’enrichissement mutuel : l’Espagne andalouse.

A partir de cette date fatidique, le Vieux Continent est parti à la conquête du monde et à son pillage pour asseoir son développement et sa supériorité jusqu’à ce jour. Le prix de cette politique de conquête a été l’esclavage, les colonies et l’impérialisme culturel qui ont rendu le reste de l’humanité dépendant pour des siècles du bon vouloir de ces nouveaux maîtres.

C’est ainsi que nous avons vu émerger la notion des races supérieures grâce à un pseudo-étayage scientifique et beaucoup de préjugés psychoculturels. Puis le capitalisme émergent a instauré une hiérarchisation des classes sociales pour donner les pleins pouvoirs et l’ensemble des richesses à la classe dominante, qui continue depuis plusieurs siècles à décider du sort de l’humanité.

La période contemporaine et particulièrement le siècle dernier ont vu l’arrivée massive de travailleurs immigrés pour contribuer à l’essor industriel et économique des puissances coloniales, avec lesquels ont été importées des pratiques coloniales et une conception usuelle de l’Autre, surtout s’il était indigène. Et ces conceptions continuent à régir les rapports sociaux et l’altérité européenne jusqu’à ce jour.

C’est ainsi que le racisme anti-Italiens, anti-Polonais, anti-Juifs puis anti-Arabe a vu le jour, au gré des luttes et des mouvements sociaux et anticoloniaux qui ont émaillé le siècle dernier. Le patronat français, en particulier, a tout fait pour morceler la classe ouvrière, dont nos parents étaient une composante importante, sous-payée et discriminée.

Puis la classe ouvrière sera renvoyée, grâce à la complicité de la classe politique et de la gauche en particulier, à son origine ethnique et à sa confession religieuse dès lors qu'elle a commencé à réclamer ses droits et l’égalité de traitement dans l’industrie française (Pierre Mauroy, Premier ministre du Parti socialiste (PS) dira : « Ce sont des intégristes khomeinistes, ils ne font pas partie de la réalité sociale. »)

Il en sera de même lorsque les enfants de ces travailleurs immigrés descendront dans la rue lors de la Marche de 1983 pour réclamer leur droits : on les traitera alors de deuxième génération, puis de troisième, et certains iront même les baptiser les Beurs pour mieux faire fondre leurs revendications politiques et légitimes dans la soupe de gauche et de ses satellites.

L'islam, un fonds de commerce électoral

C’est ainsi qu’un grand boulevard a été ouvert au Front national (FN), agrandi par le non-respect de la promesse de Mitterrand d’accorder le droit de vote à nos parents immigrés, jetés alors en pâture à la xénophobie et au racisme anti-Arabes montants. Nous verrons alors déferler, à chaque période électorale, la mise au banc des accusés des enfants d’immigrés, qui, au bout de quatre générations, ne sont toujours pas traités par le droit commun ni traités comme Français à part entière mais entièrement à part (le Bureau international du travail, par exemple, a démontré qu’ils étaient 5 fois plus victimes de chômage que les autres jeunes).

Viendra enfin la montée du FN avec l’exploitation politico-médiatique des affaires du foulard, à partir de 1989, et de la visibilité de l’Islam de France, qui deviendra un véritable fonds de commerce électoral et sera investi par l’ensemble de la classe politique, y compris les Verts, le NPA ou le PS. Et les cas sont multiples où on verra même des femmes et des hommes de gauche se retrouver à l’extrême droite et dans des organisations ouvertement islamophobes.

Toutes les questions sociales, économiques et urbaines jusqu’aux explosions de colère dans les banlieues des 20 dernières années seront réduites à une dimension ethnique ou religieuse. C’est ainsi que lors des révoltes de 2005 on verra des hommes et femmes politiques accuser tantôt la culture, tantôt la religion, tantôt le modèle familial de ces familles, dont certaines viendraient de la brousse africaine et ne s’adapteraient pas au milieu urbain ! L’occultation des problèmes de chômage, de justice à deux vitesses, de bavures et de violences policières, de la misère sociale, de l’école au rabais, du cadre de vie dégradé, etc., seront camouflés derrière des discours de stigmatisation et d’essentialisation des musulmans et des habitants des quartiers, réduits aux qualificatifs d’islamistes ou de trafiquants pour mieux les réprimer dans les quartiers.

Et ce ne sont pas les quelques miroirs aux alouettes des campagnes électorales qui vont nous leurrer. Les arguments avancés pour justifier cette islamophobie ne sont plus d’ordre biologique comme le préconisait Gobineau mais, sous prétexte de laïcité et d’identité nationale, sont devenus d’ordre culturel. La hiérarchisation civilisationnelle pronée par Jules Ferry trouvera son aboutissement dans les propos des chefs d’Etat tels que Sarkozy, Chirac ou Berlusconi, qui encouragent de fait ce déchaînement islamophobe auquel on assiste depuis plusieurs années à l’échelon de l’Europe. Car l’Europe est en crise et, à défaut d’apporter des solutions à la crise économique, ses dirigeants préfèrent désigner les musulmans comme étant le mal et le danger par excellence, ce qui a contribué à une montée de l’extrême droite sans précédent.

Le combat politique, seul garant de notre dignité et de nos droits

Pour terminer et proposer quelques pistes pour mettre fin à cette escalade dangereuse, qui peut se terminer en temps de crise par des massacres collectifs, il faut impérativement sortir le combat anti-raciste de sa dimension paternaliste ou morale et l’amener sur le champ politique car seule une volonté politique peut mettre en place un dispositif éducatif pour former les générations futures à la fraternité, à l’humanisme et à l’universalisme du genre humain.

Nous devons nous battre pour l’amélioration de nos conditions de vie et pour l’avenir de nos enfants, tout en évitant de tomber dans le piège tendu par nos dirigeants incompétents qui voudraient nous réduire à notre dimension religieuse ou ethnique pour mieux détruire notre place et notre rôle de citoyens égaux avec les autres. Jean Jaurès disait qu’il fallait ranger la question religieuse pour s’occuper de la question sociale, alors que Nicolas Sarkozy nous dit qu'il faut s’occuper de la question religieuse pour mettre sous le tapis la question sociale.

C’est pourquoi il nous faut, tout en menant le combat sur les questions de discriminations, de racisme et d’islamophobie, déjouer ces pièges de l’ethnicisation de la question sociale. Au-delà des structures classiques de lutte contre le racisme, les discriminations et l’exclusion (qui peuvent durer une éternité et indirectement renforcer les discriminations systémiques en s’attaquant aux symptômes et non pas à la racine du mal), nous devons accompagner les habitants de nos quartiers et donner de la visibilité à leurs revendications et à leurs luttes.

Et si besoin s’engager avec eux sur le champ politique pour obtenir les transformations nécessaires et éviter encore des explosions de violences qui seront réprimées de plus en plus violemment par le pouvoir qui se fascise en temps de crise.

Nous devons faire un travail sur la prise de conscience des potentialités qu’ont les habitants des quartiers lorsqu’ils sont organisés et décidés à se prendre en main. Il nous faut faire converger nos efforts pour notre existence et notre combat politiques, seuls garants de notre dignité et de nos droits.

Exister, c’est exister politiquement, comme avait dit Abdelmalek Sayad.


* Abdelaziz Chaambi est président de la Coordination contre le racisme et l'islamophobie (CRI).





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